ENGINEERINGNET.BE - A la maison, il était évident que Catherine serait un jour ingénieure au vu des bons résultats obtenus en mathématiques pendant ses études secondaires. De plus, la technique était la langue parlée à table, lors des fêtes de famille.
«Certainement du côté de mon père où les ingénieurs et les mathématiciens ne manquent pas. La famille a plutôt été surprise que j’y ajoute l’architecture», dit-elle en souriant. «Cela fait de moi l’enfant de mes parents. Je tiens ma créativité des gènes de ma mère.»
Une pionnière à Bruxelles
De Wolf choisit la formation ingénieur civil-architecte à la Vrije Universiteit Brussel. «Ce n’était pas volontaire. À dix-huit ans, on ne connaît pas grand-chose du monde. Étant moi-même bruxelloise, j’avais gardé une bonne impression des journées portes ouvertes. Il y avait de la place à l’expérimentation pour tester des choses à grande échelle. C’est ce qui m’a attiré. Et on s’intéressait déjà à l’environnement et à la circularité.»
Plus tard, lors de son doctorat, elle réalise à quel point c’était exceptionnel pour l’époque. Nous étions dans les années 2000 et la collecte sélective des déchets ménagers n’en était par exemple qu’à ses balbutiements. «A l’époque, la VUB était à l’avant-garde de la transformation durable des bâtiments.»
La passion toujours présente
Le microbe l’a mordue en un rien de temps. «Une passion qui a peut-être toujours été là. Mon père enseigne la gestion de l’environnement, un thème qui concerne aussi mes amis», se dit-elle. À l’école, elle avait entendu que le secteur de la construction était le plus polluant au monde. N’y avait-il pas un moyen de changer cela ? Elle se rend au célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT). «Je n’étais pas la première étudiante de la VUB à faire la traversée. Les Belges y ont une bonne réputation dans le domaine de la recherche.»
Elle décroche un PhD en Technologie de bâtiment. Le thème de sa recherche était ‘Carbone intégré et analyses du cycle de vie’. «J’ai beaucoup appris là-bas. Des connaissances et une expertise que j’aurais pu trouver en Belgique mais en étudiant à l’étranger, on découvre d’autres perspectives, d’autres cultures. En tant qu’architecte et ingénieure, ces expériences sont inestimables. On veut être au cœur de la vie.»
Oser échouer
De Wolf apprécie l’approche pratique des Américains. «Il ne faut pas avoir peur d’essayer, d’échouer. Si vous avez une idée intéressante, ils vous suivent et vous demandent ce que vous avez besoin au lieu de soulever 101 contre-arguments». Leçon numéro 2 au MIT: l’esprit d’entreprendre et apprendre à être devant une classe.
«Il faut pouvoir raconter une histoire. Une explication scientifique peut faire mouche lors d’une conférence mais dans une salle de classe ou en tant qu’entrepreneur, il faut transmettre un message au public. Son expérience de la scène l’a aidée. De Wolf a en effet fait du théâtre dans des centres culturels et même une fois au Théâtre du Parc à Bruxelles. «Enseigner, c’est s’investir dans un rôle. Il ne faut pas se contenter de soumettre un document, il faut détailler son importance et les étapes. Il faut communiquer sa passion aux étudiants.»
Un impact plus large
Après l’Amérique, De Wolf part à Cambridge, à Durban, au Cape Town, à San-Francisco et à Paris. «J’ai travaillé pour un grand bureau d’ingénierie sur le réemploi du vitrage du Centre Pompidou lors de sa rénovation.» Et reste sur sa fin. «Je voulais faire de la recherche, réfléchir aux grands défis sociétaux et apporter des solutions créatives.
En tant qu’ingénieur dans un bureau d’études, vous avez un impact sur chaque projet auquel vous collaborez mais à l’université, je pouvais aller plus loin. Aujourd’hui, j’oriente plusieurs cabinets d’architectes simultanément et, je l’espère, l’ensemble du secteur vers un avenir plus vert. J’ai aussi rencontré des jeunes ambitieux et des idéalistes sur le terrain. Les ingénieurs peuvent changer le monde, mais mon talent réside dans la recherche et l’enseignement. C’est là que je peux avoir le plus d’impact.»
L’opportunité d’être plus créatif
Après une année à la TU Delft Eindhoven, De Wolf rejoint l’ETH à Zürich pour diriger le laboratoire CEA (Circular Engineering for Architecture), une équipe interdisciplinaire qui travaille à l’automatisation du réemploi des matériaux de construction.
«La circularité est une opportunité d’être créatif. Il est certes plus évident d’extraire des matières premières de mines. Le réemploi de matériaux disponibles présente davantage de défis. Mais si nous réussissons, nous créerons simultanément des opportunités pour renforcer l’économie locale.»
MIT innovator under 35
Ce projet lui a valu d’être sélectionnée parmi les ‘MIT’s ‘Innovators Under 35’, des personnes qui changent l’avenir des sciences et de la technologie. «Une reconnaissance que je dois en partie à l’intégration de l’intelligence artificielle dans mes recherches. C’est un sujet qui retient l’attention aujourd’hui, mais dans l’histoire des bâtiments circulaires, c’est une compétence nécessaire pour reconnaître les matériaux, savoir lesquels sont éligibles au réemploi, et comment les démanteler.»
L’avantage numérique repose sur deux piliers: une base de données pour tracer les matériaux et l’impact environnemental des bâtiments et un réseau pour rassembler les parties prenantes dans une économie circulaire. C’est ce qui fait de son équipe un cas un peu particulier. «Parce que les étudiants qui ont des connaissances en intelligence artificielle trouvent aujourd’hui facilement un emploi bien rémunéré. Nous leur proposons un travail intéressant où nous appliquons ces connaissances pour essayer de rendre le monde un peu meilleur.»
Connexion
Si la VUB a joué un rôle de pionnier dans la construction circulaire au cours de ses études, De Wolf n’est pas pour autant restée inactive en Suisse. Le laboratoire CEA surfe sur la vague et se développe. «Beaucoup de choses bougent autour de la circularité. Dans le domaine de la recherche mais aussi dans le secteur de l’industrie et de la construction.» La recherche se concentre sur l’intelligence artificielle pour connecter les matériaux de construction.
«Si nous voulons vraiment évoluer vers une construction circulaire, il faut réunir les acteurs du processus de construction, des démanteleurs aux architectes, en passant par les inspecteurs et les entrepreneurs. Il existe une demande de réemploi des matériaux. Des places de marché poussent comme des champignons un peu partout. Pour passer à une économie de construction circulaire et sortir de la niche, nous aurons besoin de technologie. On peut considérer cela comme un système de rencontre numérique, un Tinder pour les matériaux de construction réutilisables, les projets de construction circulaire et les professionnels de la construction.»
Obstacles juridiques
D’après De Wolf, le coût n’est pas la principale pierre d’achoppement. «Le cadre juridique est par exemple crucial. Qui est responsable des matériaux en cas de problème? Qui doit valider leur conformité aux exigences techniques ? Si toutes ces questions sont résolues, le reste suivra.
Davantage de personnes oseront franchir le pas vers le réemploi et cela deviendra automatiquement moins cher. En fait, c’est fou que nous ayons eu besoin du Green Deal pour commencer à penser à la circularité. Dans de nombreux pays, les matériaux sont réutilisés par nécessité. Il y a 100 ans, c’était encore la norme ici. Les combustibles fossiles ont facilité l’accès aux matières premières et les ont rendues moins chères. Il est temps maintenant de s’en défaire.»
Recruter des profils spécifiques
Faut-il repartir de zéro ? Pas du tout. «Il faut revenir à la manière de construire d’antan mais avec les techniques et les normes d’aujourd’hui.» Et c’est là que le CEA veut apporter sa contribution. Fondé en 2021, le laboratoire compte 25 esprits brillants. À terme, neuf autres devraient s’y ajouter.
«Le recrutement n’est pas facile car nous exigeons des étudiants des compétences spécifiques et nous sommes en concurrence avec les salaires plus élevés qu’ils peuvent obtenir ailleurs, en particulier ceux qui sont compétents en intelligence artificielle. De plus, ils doivent avoir la bonne attitude. Au laboratoire, nous pensons que l’on peut encore gagner la bataille contre le réchauffement climatique, et nous avons besoin de l’industrie pour y parvenir. Il n’y a pas de place pour le cynisme.»
Swircular
L’un des projets en cours s’appelle Swircular. «C’est un nouvel écosystème numérique suisse pour la construction circulaire», résume De Wolf. Swircular comprend huit sous-projets interconnectés. L’objectif est d’effacer les frontières traditionnelles et de jeter des ponts entre l’ingénierie, les aspects juridiques, l’architecture et la production de matériaux de construction.
«Si chacun reste sur son île et fait ses propres affaires, nous n’y arriverons pas. En créant une plateforme, nous mettons en relation les instituts de recherche et les partenaires industriels. Nous pouvons apprendre les uns des autres et appliquer les connaissances dans la pratique. Il ne faut pas s’en tenir à la théorie. Le temps est au changement.»
Savoir pourquoi
Pour De Wolf, la direction qu’elle souhaite donner au CEA - et par conséquent à l’ensemble du secteur de la construction - est claire. «Que l’on travaille en tant qu’ingénieur, professeur, … il faut avant tout savoir pourquoi on s’investit. Le travail n’est alors plus ressenti comme tel. Pour les membres de mon laboratoire, cette motivation est claire : nous voulons faire quelque chose pour l’environnement, pour la société.»