ENGINEERINGNET.BE - Steve Levine travaille depuis 15 ans à la virtualisation du corps humain.
« C’est l’un de nos piliers stratégiques. » Dès le départ, l’objectif de créer un monde meilleur par l’harmonisation des produits, de la vie et de la nature, est ancré dans le projet. Le premier sous-projet était un ‘cœur vivant’, un jumeau virtuel du cœur.
La vie professionnelle et privée de Steve Levine sont étroitement liées. Sa fille, Jessie Levine, est née avec une malformation cardiaque. Ses ventricules gauche et droit sont inversés. À deux ans, elle reçoit un pacemaker. Les médecins ne peuvent garantir l’évolution de son état. « Je voulais la maintenir en vie, et Dassault Systèmes voulait étudier ‘la vie’. »
Le projet ‘The living heart’ était né. Steve Levine estime aujourd’hui que sa fille avait une chance sur 23 milliards de survivre à la phase cruciale de la croissance. Aujourd’hui, elle est médecin et termine des études en neurologie pédiatrique.
« Le corps obéit aux mêmes lois physiques que les machines que nous construisons », explique l’ingénieur Levine. « On part de l’existant et on poursuit la construction. » Est-ce aussi simple que cela ? Non. Steve Levine constate que les informations nécessaires à la création d’un jumeau virtuel du cœur sont réparties entre des spécialistes/experts en électricité, mécanique, dynamique, etc.
« Le fait que ces spécialités soient si éloignées les unes des autres complique la tâche. » Il ne s’agit pas vraiment d’un problème technique mais plutôt organisationnel car les personnes possédant l’expertise ne communiquent pas entre elles. Le processus ne consistait pas tant à construire un jumeau mais à apprendre à le faire. « Le plus difficile était de réunir des scientifiques – les médecins ne sont pas formés de la même manière que les ingénieurs – et de les faire travailler ensemble autour du même individu. « See one, do one, teach one », ajoute Steve Levine.
Aujourd’hui, 165 organisations de 28 pays et plus d’un millier de personnes actives dans la communauté de la recherche médicale travaillent ensemble. « Elles utilisent le même modèle de référence, utilisé pour d’autres organes. » Dassault Systèmes fait office de hub. Aujourd’hui, 13 ans plus tard, Dassault Systèmes s’intéresse à l’ensemble du corps humain.
Toutefois, si vous voulez passer - avec les conclusions et les expériences d’un projet scientifique - à quelque chose de plus concret, à des applications et des traitements, il faut alors suivre la réglementation. « Après cinq ans, la FDA a estimé qu’un modèle virtuel était possible et a publié un fil conducteur. Grâce à l’enrichissement des données, il faut désormais tester moins de personnes. »
« A l’école primaire, j’apportais des vieux pacemakers pour en parler en classe. Je n’ai jamais eu peur d’aller chez le cardiologue », raconte Jessie Levine. Étudiante, elle a choisi des études de pédiatrie. Elle est aujourd’hui neurologue en résidence, en dernière année de ses cinq années d’études. Elle espère poursuivre avec une année fellowship.
« Son existence est une source d’inspiration, tout comme son attitude. Elle s’est laissée tentée par l’expérimentation, mais pas aveuglément. Très jeune, elle demandait des preuves que le traitement proposé allait l’aider », explique son père Steve Levine. « Mon déclic a eu lieu lorsqu’elle est allée à l’université et que le médecin lui a demandé de passer une IRM du coeur. Elle a répondu : « J’ai du métal dans le corps, qu’allez-vous faire avec le scan ? » Le médecin n’a pas su lui répondre. Peut-être qu’il aurait la réponse aujourd’hui. »
Il y a six mois, le père a appelé sa fille. Un CT scan a révélé qu’il souffrait d’une tumeur au cerveau. D’une taille de 5 cm, elle est située autour du nerf optique. « Je devrais être aveugle. Une fuite de liquide céphalo-rachidien a provoqué des infections et c’’est comme ça qu’on l’a découvert. » Sa maladie a marqué le début du projet ‘Living Brain’ chez Dassault Systèmes.
En tant qu’ingénieur, Steve Levine comprend la situation, mais il doit aussi y faire face en tant que patient. « J’avais besoin d’une personne de confiance », explique-t-il. « Ma fille a compris et a pris les choses en main. Elle m’a expliqué quels étaient les risques, les interventions possibles et a organisé le rendez-vous avec le chirurgien. »
Lors de l’intervention, qui a duré douze heures, le chirurgien a utilisé le jumeau virtuel de sa tête. Une opération mini-invasive a permis de retirer la tumeur par le nez. « Pas besoin de m’ouvrir en deux. Je suis en vie. » Six semaines plus tard, il était sur pied. « Tout ce qui vient maintenant est cadeau. »
Steve Levine ne pense pas à ‘lever le pied’. « Tout mon corps me dit d’aller plus vite. ( …) Plus on en sait sur son corps, mieux on se porte. » Il enregistre toutes sortes de données de capteurs. « Chacun de nous devrait collecter ses données », préconise-t-il. Mieux vaut le faire avant que les symptômes ne deviennent problématiques.
Cette année marque le dixième anniversaire du projet ‘living heart’. Au départ, le cœur était reproduit à la main. « Depuis la dernière version du modèle, nous disposons d’une version paramétrique permettant de modifier la taille, la forme et la profondeur d’une simple pression sur un bouton. Ce modèle parle le langage informatique et permet de traiter une population entière et de simuler mille interventions sur un patient pour définir la meilleure approche. »
L’ingénieur travaille de manière systématique ces dernières années. Après le ‘cœur vivant’, le ‘poumon vivant’ puis le ‘foie vivant’ ont suivi. « De nombreux traitements contre le cancer sont nocifs pour le foie, les reins, les articulations, les yeux …. « Au Space Health Center de Houston, nous travaillons sur la cécité spatiale. Toute personne séjournant longtemps en apesanteur perd progressivement l’acuité visuelle. Nous examinons l’arrière de l’œil, les capteurs – les cônes et les bâtonnets dans la rétine - et la circulation sanguine. Nous pouvons créer des jumeaux virtuels et des simulations de l’œil sous une zéro gravité. »

Dans le jumeau virtuel, on peut activer et désactiver la gravité. L’objectif est de comprendre le phénomène. La pression sanguine dans les veines des yeux est-elle plus faible sans l’attraction terrestre ? « Nous observons un phénomène similaire avec le cœur. La circulation sanguine est nécessaire au maintien en vie des tissus cardiaques. »
« La question est de savoir comme créer des jumeaux virtuels à un stade très précoce. Au cours de la prochaine décennie, nous voulons couler le processus de recherche clinique – qui teste l’efficacité des nouveaux traitements médicaux chez l’homme – dans un cadre réglementaire. Nous commencerons par la pédiatrie. »
La prochaine version du cœur virtuel intègrera l’IA et permettra une approche personnalisée, adaptée au patient. Steve Levine prévoit qu’un jour, les résultats d’une IRM apparaîtront le lendemain sur le smartphone du patient avec un traitement recommandé, et que le patient pourra ensuite consulter son médecin.
Comment commercialiser cela en tant que jumeaux virtuels ? « Dans un premier temps, il faut discuter avec des entreprises qui produisent des pacemakers et autres appareils. Il y a également l’aspect réglementaire. Nous voulons générer des revenus grâce aux tests virtuels sur des modèles humains. »
Steve Levine pensait que l’industrie pharmaceutique aller évoluer vers des tests sur des animaux virtuels, puis vers des tests sur des humains virtuels. « Mais elle veut abandonner les tests sur les animaux et passer directement à l’humain virtuel. » Il reconnaît toutefois que les tests sur animaux restent pertinents dans certains cas.
« Nous avons appris à produire un cœur, un foie, un cerveau, un poumon, un œil fonctionnels. Le prochain objectif est de développer un modèle systémique qui relie les organes entre eux », poursuit Steve Levine.
Un protocole de communication standard entre les organes, en quelque sorte. Un modèle systémique des systèmes. « Notre système médical n’est toutefois pas en mesure de traiter les problèmes systémiques » fait remarquer Steve Levine. Les spécialistes ne communiquent pas entre eux …
La manière dont les cellules – aux niveaux moléculaire et atomique – interagissent avec les médicaments est également à l’étude. Aujourd’hui, cela se fait presque toujours physiquement, avec des tests sur les animaux. Des tests sur les humains ont ensuite lieu. « A terme, ces tests se feront sur des jumeaux virtuels », prévoit Steve Levine. Les tests virtuels sont réalisés à différentes échelles.
« On utilise le modèle qui correspond le mieux à l’échelle. » Steve Levine est optimiste. Le corps est heureusement ‘bien fini’. « En d’autres termes, c’est ‘faisable’. Nous pouvons visualiser systématiquement le corps. Il n’y a que quelques modèles de systèmes à faire. »
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