ENGINEERINGNET.BE - L’entreprise conçoit des lignes de tri automatiques pour récupérer les métaux présents dans les épaves de voitures, les appareils électroménagers et électroniques.
Matvision prévoit plusieurs capteurs. Les rayons X distinguent par exemple l’aluminium et le zinc selon la densité du matériau. Une caméra hyperspectrale infrarouge travaille sur la couleur du métal : rouge, jaune et gris. La Laser Induced Breakdown Spectroscopie (LIBS) sépare divers alliages au sein d’une même famille de métaux, comme l’aluminium, l’inox et le zinc. « Nous combinons les données des capteurs avec l’apprentissage automatique pour obtenir un tri le plus précis possible. C’est la seule manière de rendre le recyclage économiquement viable. » Une caméra 3D placée au début du tapis convoyeur reconnaît les formes et les volumes de déchets et transmet chaque position au bon robot en ligne, lequel saisit la pièce avec un préhenseur et la dépose dans le bon bac. La vitesse du tapis est supérieure à un mètre par seconde.
Les systèmes de tri classiques séparent deux familles de matériaux par itération. « Notre innovation et argument de vente unique est que tout est trié sur une seule machine, lors d’un seul passage sur le tapis convoyeur. Chaque robot peut trier cinq groupes de matériaux différents. Avec 18 robots, on pourrait en trier près d’une centaine. » Dans la pratique, il s’agit plutôt d’une vingtaine de groupes de matériaux qui sont séparés en un seul passage.
Il était temps de commercialiser
Robert Baudinet a travaillé pendant 7 ans sur des machines de tri au laboratoire GeMMe - Géoressources, Minéralurgie & Métallurgie Extractive - de l’Université de Liège. Le laboratoire était dédié aux minéraux plus rares et plus chers. À partir de 2000, on constate un intérêt croissant pour le recyclage de flux de déchets comme nouvelle source de matières premières. Les chercheurs caractérisent, récupèrent et refonctionnalisent les minéraux et les métaux. Le laboratoire développe une vision plus holistique. Diverses disciplines ont travaillé sur des projets d’économie circulaire. Plusieurs spin-offs sont issues du laboratoire GeMMe: Metheore, Occhio et Matvision depuis mi-mars.

En 2015, le consortium Pick-iT – rassemblant l’ULiège-GeMMe, Citius Engineering (aujourd’hui Cilyx) et Comet spécialisé dans le recyclage et le négoce de métaux et possédant plusieurs filiales en Wallonie – était lancé. « A l’époque, Comet n’était pas capable de trier des métaux non ferreux. » Ils étaient envoyés à l’étranger... Il a fallu cinq ans de R&D pour développer un système permettant de garder un recyclage efficient dans le pays.
Les ingénieurs liégeois ont conçu un premier prototype de machine capable de résoudre le problème. Après des tests concluants en laboratoire, Comet Traitements a demandé un premier démonstrateur. « Il a été placé chez eux à Mons (Obourg). » Avec les bâtiments, l’investissement s’élève à 10 millions d’euros. La Wallonie a contribué pour moitié sous forme de subvention dans le cadre du projet Reverse Metallurgy de 41,5 millions d’euros du pôle Mecatech et avec le soutien du FEDER (via le programme COOPILOT). Depuis 2023, le projet Multipick fonctionne 24/24 et trie divers métaux déchiquetés provenant d’épaves de voitures, d’appareils électroménagers et électroniques (Waste Electrical and Electronic Equipment WEEE). Le système, fourni par l’intégrateur Citius, possède 16 robots qui trient environ 20.000 tonnes par an à un rythme de 16 pièces par seconde. Metheore, autre spin-off de GeMMe, est responsable de la vision industrielle. Sa technologie LaserSieve mesure les pièces qui passent au début du tapis convoyeur et enregistre leur position.

« Il était temps de passer à la commercialisation, de se lancer dans l’entrepreneuriat », ajoute Robert Baudinet qui recevait des demandes plus spécifiques de l’industrie pour trier certains métaux. Fin 2023, les chercheurs prennent le taureau par les cornes. Les fondateurs apportent 160.000 euros. « Le premier prix de l’European Innovation and Technology (EIT) Jumpstarter Award 2023 en apporte 10.000 euros de plus. » Robert Baudinet rejoint l’entreprise en tant que collaborateur à temps plein en septembre 2024. Trois mois plus tard, Matvision trouve un tremplin au sein du programme start-up imec à Liège et obtient 50.000 euros. Cette année encore, l’entreprise veut lever un million d’euros.
Brevet, apprentissage automatique, robots
En tant que spin-off, Matvision obtient une licence de la technologie de l’université. « Nous voulons déposer des brevets nous-mêmes. L’innovation réside dans l’intégration de différents capteurs », explique Robert Baudinet, qui a déjà contacté des experts en brevets. « Nous poursuivons le travail, mais l’absence de brevets pourrait poser un problème pour nous et les investisseurs. » La recherche de financements supplémentaires se poursuit. « Nos machines coûtent relativement chers et il y a quatre ingénieurs. Il faudrait plus d’un million d’euros. Nous allons affiner tout cela avec le programme de démarrage de l’imec, qui nous oriente vers d’éventuels subsides européens. »
La stratégie de l’entreprise est de trouver des recycleurs et des entreprises de démontage automobile prêts à trier 100% des matériaux, ce qui demande pas mal de robots. Les transformateurs d’acier qui souhaitent s’orienter vers le métal recyclé sont également des clients potentiels. Ils doivent souvent trier des matériaux contaminés. « C’est un autre modèle économique où deux robots peuvent suffire. » A chacun son budget.
La technologie de Matvision peut être étendue modulairement d’un à vingt robots. Il faut aussi trouver un optimum entre les capteurs et les robots. « S’il faut manipuler des matériaux coûteux, nous pouvons opter pour des capteurs plus coûteux. Le nombre de robots nécessaires dépend des matériaux à trier. Parfois, quelques-uns suffisent. Il faut compter sur un budget de 400.000 à 4 millions d’euros. »

Le constructeur a le choix parmi les robots. « Nous avons déjà intégré des robots ABB, Staubli, … Il n’y a aucun problème, il faut juste trouver un robot qui a la bonne taille pour l’application. Nous travaillons avec des déchets calibrés déjà dimensionnés. » Les robots prélèvent des pièces de 1 à 20 cm. « Bien entendu, plus les pièces sont grandes et lourdes, plus le travail devient rentable. »
« Pour le moment, chaque machine a son intelligence », poursuit Robert Baudinet. « Dans une phase suivante, nous voulons les connecter pour l’apprentissage. » L’apprentissage automatique est déjà en cours mais il est souvent statique. « Nous voulons utiliser les données plus dynamiquement pour déployer chaque amélioration de tri chez les autres utilisateurs. »
Tout en même temps
« Notre plus grand défi? Aujourd’hui, il faut être sur tous les fronts », poursuit Robert Baudinet. En 2018, le titulaire du master en ingénierie – mécatronique, robotique et automatisation - a travaillé six mois sur le projet Pick-IT en tant ‘qu’interne’ chez Citius Engineering. Il a ensuite passé six ans comme ingénieur de recherche au laboratoire GeMMe. En décembre 2023, il devient l’un des quatre fondateurs – deux sont désormais des équivalents temps plein – de Matvision. « La technologie est très complexe et implique de la mécatronique, de la mécanique, des logiciels, l’apprentissage automatique, … En tant que startup deeptech, nous ne sommes pas dans la position plus confortable d’une startup ‘software as a service’. » Parallèlement, l’entreprise doit assurer la maintenance et le dépannage de la machine chez Comet, discuter avec les investisseurs et prospecter. Pour le moment, Matvision ne vend pas ses propres systèmes mais espère en déployer une dizaine d’ici 2028.
Y a-t-il un marché pour cela ? « Il y a environ 350 recycleurs en Europe qui sont autant de clients potentiels. Notre technologie s’adapte à toutes les industries travaillant le métal qui utilisent une part croissante de matériaux recyclés. Nous pourrions utiliser les mêmes capteurs pour les plastiques. Nous voulons nous focaliser sur les tâches plus complexes. » L’intégration des technologies est confiée à des partenaires comme Cilyx de Seraing.
Fin novembre, Matvision avait un stand au salon Pollutec à Paris. En juin, la jeune équipe se rendra à Francfort à l’E-Waste World Conference & Expo 2025. « Nous visons l’international, d’abord les pays voisins puis l’Europe occidentale. »
Tarifs, coûts énergétiques, politique de l’UE
Le 10 mars, l’UE annonçait son European Steel and Metals Action Plan contenant des mesures visant à renforcer la compétitivité du secteur et à le durabiliser. Le même jour, le ReArm Europe Plan/Readiness 2030 était publié. L’acier et le métal sont essentiels pour la sécurité de l’Europe. Il s’agit de garantir un approvisionnement énergétique abordable et sûr pour le secteur, mais aussi de prévenir les fuites d’émissions de CO2 et le greenwashing. La commission veut éviter que la capacité de production de l’Europe ne soit compromise par une concurrence déloyale. Elle veut promouvoir la circularité et le recyclage, va fixer des objectifs de réemploi de l’acier et de l’aluminium dans de nouveaux produits et envisage des mesures concernant l’exportation de déchets métalliques. Elle souhaite soutenir la décarbonisation et l’électrification de la production d’acier via divers fonds et protéger l’emploi dans le secteur.
« Nous voulons conserver le plus de déchets métalliques possible en Europe », déclare Robert Baudinet, CEO de Matvision, qui souligne que le recyclage permet de faire d’une pierre plusieurs coups. « Le recyclage de l’aluminium demande moins d’énergie que sa production à partir de minerai et émet jusqu’à 13 fois moins de CO₂ . »