ENGINEERINGNET.BE - Nous y avons rencontré Andries Krüger (40), responsable Technologie depuis début 2023. Parallèlement à ce nouveau pôle, doté de 350 m² de laboratoires, un pôle d’innovation pour la filtration (400 m²) a vu le jour.
«Bekaert est actif sur le marché de l’hydrogène depuis plus de 20 ans. En 2022, nous avons créé une business unit dédiée à l’hydrogène pour renforcer notre position. Aujourd’hui, 150 personnes y travaillent », résume Andries Krüger. L’activité hydrogène de Bekaert est issue de l’activité Filtration qui utilise l’acier inoxydable et ses dérivés pour les applications de filtration. La division Hydrogène utilise la même technologie, mais avec du titane. Quatre personnes y testent des nouveaux concepts de produits dans des applications réelles. Il y a aussi les trajets parallèles du groupe. La stratégie consiste à croître progressivement avec le marché. Bekaert a déjà investi environ 3,5 millions d’euros dans les équipements et l’infrastructure des deux pôles. Globalement, l’entreprise a consacré 74 millions d’euros en 2024 à la R&D avec des centres en Belgique, aux Royaume-Uni et en Chine.
Crosse de hockey
« Alors que l’industrie connaît une croissance modérée à moyen terme, le marché a suivi ces dernières années une courbe en forme de crosse de hockey. L’hydrogène est bien implanté en Europe et en Amérique du Nord », poursuit Andries Krüger. « En Asie aussi, voyez la Chine. Mais là-bas, on opte principalement pour l’autre technologie, plus mature, qui produit de l’hydrogène à partir d’eau alcaline. Nous nous focalisons sur la PEMWE (Proton Exchange Membrane Water Electrolysis) utilisant un milieu acide. Nous disposons d’une offre unique sur le marché avec notre PTL en titane. »

La PTL est une membrane poreuse ou un voile composé de fibres de titane entrelacées et frittées. Commercialisé depuis 2019 sous la marque Currento PTL, le matériau est disponible dans plusieurs épaisseurs et porosités. « Nous utilisons une technologie similaire à celle de notre division Filtration. Celle-ci utilise toutefois de l’acier inoxydable. Nous avons adapté le processus au titane. » Les pores entre les fibres de titane doivent être petits et répartis uniformément. Le titane assure la résistance nécessaire sous des pressions variables.
Bekaert part d’un cylindre ou d’un lingot de titane acheté. À partir de là, des fibres de titane sont produites dans une suspension huileuse. Lorsque les fibres sont empilées les unes sur les autres, elles s’entremêlent activement. Le résultat est fritté dans un four. La PTL doit présenter une surface lisse avec des petits pores réguliers. Vient ensuite le post-traitement : un revêtement de platine améliore les propriétés électriques et allonge la durée de vie, permet la découpe sur mesure de feuilles de PTL, etc.
Technologie PEM
La PTL est combinée à un électrolyte polymère puis placée dans une ‘batterie’. Lorsqu’un courant est appliqué à la batterie, la molécule d’eau (en milieu acide) se divise en oxygène et en hydrogène (et deux électrons) à l’anode (borne positive). Seuls les ions hydrogène traversent la membrane et forment, avec les deux électrons, du H2 ou hydrogène gazeux, côté cathode (borne négative).
La technologie PEM offre de nombreux avantages mais il y a des défis. Elle nécessite par exemple des matières premières plus coûteuses, comme le platine et l’iridium. « Nous travaillons sur la diminution de la quantité des matériaux utiles. » A cette fin, Bekaert a signé un accord de licence avec Toshiba qui a développé une technologie de coating réduisant la quantité de catalyseur à l’iridium requise à un dixième. « Il s’agit d’une technologie de revêtement standard bien connue, similaire au dépôt physique en phase vapeur (PVD), qui peut être réalisée avec les équipements disponibles sur le marché. Nos équipes se consacrent à l’industrialisation de la technologie. Tout est dans les détails, la mise au point précise pour garantir un coating robuste et fiable. Les chercheurs veulent réduire le besoin en platine de la même manière, en s’appuyant sur les ressources internes et les connaissances des clients.

Pour évaluer les performances de ses PTL standard et la technologie de coating avec le catalyseur à faible teneur en iridium, Bekaert a investi dans des capacités d’assemblage de cellules simples. Les assemblages d’électrodes à membrane (MEA) sont produits par formage à chaud de composants (PTL et membres). Outre les PEM, Bekaert développe des membranes échangeuses d’anions (AEM) en nickel et acier inoxydable, pour des applications électrochimiques en milieu alcalin et à pH plus neutre.
Défis liés à l’application
Le pôle doit relever plusieurs défis. « La validation par les clients », cite Andries Krüger en premier. Il faut en effet du temps avant qu’une solution ne soit testée en termes de durabilité. « Les clients visent une durée de vie de dix ans. Comment effectuer rapidement les tests nécessaires pour que les clients puissent s’y fier ? Par ailleurs, les clients ont des besoins variés. Leurs électrolyseurs ont par exemple des dimensions différentes. « Il faut donc personnaliser et être flexible dans les dimensions », poursuit Andries Krüger.

La PTL en titane est disponible en plusieurs tailles, allant de la sous-échelle -10 à 25 cm2 pour la validation précoce de la technologie à 2.000 et 5. 000 cm2. La plus grande PTL de Bekaert dépasse les 10.000 cm2. « Il est important pour nous de pouvoir proposer plusieurs tailles. » Les clients proviennent du monde entier, d’après nos informations. Leurs implémentations, mais aussi les niveaux TRL, varient considérablement. Certains optent pour des applications d’électrolyse de 20 et 30 MW.
Plusieurs laboratoires
Le pôle abrite plusieurs laboratoires, conçus comme ‘des chambres dans la chambre’, chacun ayant une fonction propre. Il y a le laboratoire de découpe, le laboratoire d’assemblage et d’analyse, le laboratoire d’essais d’électrolyse et un laboratoire de revêtement. Au laboratoire de découpe, les PTL sont découpées sur mesure pour des applications spécifiques. Au laboratoire d’assemblage et d’analyse, la membrane et l’électrode sont assemblées. Les instruments utiles (des microscopes) permettent d’avoir une meilleure compréhension. La longue salle de test d’électrolyse abrite neuf machines pour tester les cellules PEM et AEM à petite échelle.
La semaine dernière, deux appareils supplémentaires ont été mis en service. Les tests d’endurance sur les échantillons de PTL développés se déroulent automatiquement dans une configuration modulaire. « Cela nous permet de tester plusieurs concepts en même temps. » Chaque machine achetée a ses propres contrôleurs et dispositifs de sécurité multicouches. Au laboratoire de revêtement, les traitements de surface et les techniques d’électrodéposition sont affinés. Il s’agit d’améliorer la conductivité et la durée de vie des PTL, qui fonctionnent sous diverses pressions et milieux. Bekaert participe à des projets de recherche européens (HYScale et ECO2Fuel).
Le co-développement, pas un laboratoire à louer
Ces derniers mois, le marché de l’hydrogène a connu un net ralentissement. « Malgré le ralentissement et l’incertitude, Bekaert continue d’investir dans la décarbonation. Notre technologie de l’hydrogène produit du H2 et de l’électricité verte », explique Andries Krüger, responsable Technologie du Bekaert Hydrogen Innovation Hub. Le pôle se focalise sur le co-développement de produits à ‘court terme’, d’un an ou deux. « Nous pouvons également travailler à plus long terme – 4 à 5 ans – mais nous nous concentrons sur les priorités de nos clients. » Les clients se développent et leurs besoins en développement de produits évoluent. « Ils veulent réduire leur CAPEX et être plus efficients. Le pôle nous permet de réaliser des tests avant de nous rendre chez le client. Cela renforce nos liens avec l’ensemble de l’écosystème. » Le co-développement est une démarche collective.