Agnès Flémal: «Le plus important est de réaliser de vraies ventes»

«Plus une entreprise vend vite, plus rapide la génération de revenus et plus rapide la croissance est durable et ciblée», a déclaré la PDG Agnès Flémal (60 ans).

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Ingénieurs de haut niveau

( Photo: LDS )

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Le 8 juillet, était inaugurée la nouvelle aile HydrO du site du Val Benoît le long de la Meuse à Liège. L'université y formait auparavant des ingénieurs. Aujourd'hui, l'incubateur/accélérateur technologique WSL y a son siège. En parallèle, WSL clôturait sa première session de formation CRLBooster. Cette dernière enflammait et exaltait commercialement une dizaine de start-ups et entreprises techno wallonnes et bruxelloises.

WSL, fondée en 2000, accompagne environ soixante-dix starters technos et pôles de croissance. Une douzaine de nouveaux projets voient le jour annuellement. Au cours des vingt dernières années, l'incubateur a accompagné des entreprises réalisant un chiffre d'affaires cumulé d'environ un milliard d'euros. L'organisation, avec une équipe permanente de onze personnes, fonctionne sur un budget de 2 millions d'euros.  « Nous ne donnons pas d'argent, pas de poisson. Nous apprenons aux entreprises à pêcher », explique la directrice Flémal. Le passage par le WSL confère aux entreprises un label de qualité, une marque de fabrique. Pensez Lasea (lasers à impulsions ultra-courtes), Lambda X (systèmes optiques), Cefaly (électrodes adhésives contre la migraine), Coretec Engineering (optimisation des coûts énergétiques), Aerospacelab (exploitation intelligente des images spatiales), Micromega Dynamics (capteurs/mesures vibratoires), V2I (mesure /simulation/modélisation vibratoires) … WSL accompagne des projets qui sont plus qu'une idée, plus qu'un prototype. Il est crucial que le projet soit wallon, qu'il ait une forte orientation technologique et des chances de succès. « Notre objectif est donc de créer de la valeur pour la région, de l'emploi, de la recherche … Nos actions commencent à TRL3. Nous tirons le projet vers TRL7. Au Customer Readiness Level également, nous virons de CRL3 vers CRL7. »

Sélections
Un outil logiciel propriétaire (MatMax) scanne à la fois le niveau de maturité technique et commercial du projet candidat. « Cela permet d'avoir un discours commun. » MatMax fait émerger les besoins spécifiques de l'entreprise. « Il y a beaucoup d'intelligence sous-jacente. Nous l'utilisons depuis cinq ans », explique Flémal. L'outil gratuit MatMax est désormais utilisé mondialement. Un sur quatre réussit la première sélection. Un tiers jusque la moitié réussit à passer la deuxième et la troisième sélection. Chaque projet a son propre coach. L'âge moyen des chefs d'entreprise qui frappent à la porte est d'environ 35 ans. « Ce sont des ingénieurs ou des chercheurs qui ont d'abord obtenu leur doctorat ou des techniciens qui ont acquis de l'expérience ailleurs et cherchent leur indépendance. » Croître, avec la technologie, dans son propre pays, signifie avant tout ‘exporter’. « Il faut des années pour percer sur le marché de la technologie. Initialement, WSL fournissait des conseils pendant presque dix ans. Aujourd'hui, la norme est entre six et sept ans. » La performance des projets est évaluée régulièrement. Lorsque le projet dérape, l'équipe fait souvent preuve d'un manque de motivation. « La technologie peut-être le facteur limitant, mais la plupart du temps, l'humain est en défaut. »

Expérience en entreprise
À dix-sept ans, elle est la première femme à recevoir une licence de radioamateur. « J'étais complètement scotchée par la technologie. Je construisais déjà des oscillateurs à l'époque. » Son père était aussi radioamateur. L'ingénieur industriel, cependant, n'aimait pas les ingénieurs civils. « Mon choix d'études en tant qu'ingénieur civil était probablement une ‘provocation’. » Elle hausse les épaules. Elle était l'aînée de trois frères. « Quatre enfants en quatre ans. Les Daltons. » Elle a appris à tenir le haut du pavé. Le sourire. Simplement. « J'adorais les mathématiques appliquées. C'est ce qu'on appelle actuellement l'intelligence artificielle. » Lorsqu'elle obtenait son diplôme, l'entreprise familiale faisait faillite. « Je lui ait réinsufflé vie. La vie a fait en sorte que je ne puisse pas me poser d'autres questions à ce moment-là. » Elle a pris les devants pendant dix ans. Puis elle a vendu l'entreprise. Ayant rebondit, elle en démarrait une autre (TechPlus) qui construisait et vendait des instruments de mesure optique dans le monde entier. « Après le 11 septembre 2001, tous les investissements s'évanouissaient soudainement. Mes actionnaires étaient inquiets. Dès lors, j'ai décidé de faire autre chose. » Elle était aussi fatiguée des voyages incessants. Un chasseur de têtes l'a approchée pour démarrer un ‘incubateur’. Elle faisait le saut quelques mois plus tard.

Wallonia Space Logistics
WSL s'appelait initialement Wallonia Space Logistics et se concentrait sur les entreprises technologiques du secteur aéronautique et spatial. Aujourd'hui, seule une minorité d'entreprises accompagnées sont actives dans ce secteur. « L'acronyme est resté. Nous avons largement ouvert notre groupe cible aux sociétés d'ingénierie dans les dispositifs médicaux, la santé, l'industrie 4.0, l'informatique et les TIC, les technologies vertes, l'agroalimentaire et la biotechnologie. » Au départ, l'accent était principalement mis sur les entreprises issues des universités. « Je devais passer à la postérité. Je n'ai pas trouvé de véritable esprit d'entreprise dans les universités à l'époque. Les chercheurs cherchaient de l'argent pour leurs recherches. À chaque fois. Initialement, il était difficile d'expliquer qu'un bon ingénieur n'est pas forcément un bon entrepreneur. L'ingénierie et les affaires nécessitent des compétences différentes. » Flémal ouvrait les portes à d'autres jeunes pousses. « J'ai affiché le chiffre d'affaires des meilleurs sur un grand tableau, basé sur leurs chiffres de ventes réels, sans compter les subventions. Les universités étaient très mécontentes lorsqu'il s'est avéré que dans le monde des affaires les ingénieurs ordinaires prestaient mieux que les 'grands' scientifiques. Cela a donné matière à réflexion. Les subventions sont un plus, mais le plus important est de réaliser de vraies ventes. »

Élargissement
L'évolution vers les start-ups a duré près de vingt ans mais s'est soudainement transformée très rapidement, selon Flémal. « Nous sommes donc passés assez rapidement à d'autres secteurs. » Lasea a été l'un de ses premiers projets de start-up. L'élargissement a également été pleinement soutenu par l'actionnaire, la Région wallonne.  « Notre objectif est d'aider à la création d'entreprises technologiques qui se développeront dans la région. Telle est notre mission. » Si le WSL n'avait à l'origine qu'un pied dans le Parc scientifique de Liège, « le W a toujours représenté la Wallonie et le L jamais Liège. » Vu l'existence de la fédération Wallonie-Bruxelles, Bruxelles fait également partie du champ d'action. « Notre deuxième spin-off était autrefois Micromega, issu de l'ULB. » WSL recherche également des investisseurs pour les scale-ups. « Nous ouvrons des portes. Nous veillons à ce que leur pitch soit de haute qualité. Nous pouvons aussi assister aux négociations, mais nous ne décidons pas à leur place. Pour tout cela, il est indispensable d'être ingénieur. Sans connaître la technologie, je n'aurais pas pu évaluer la valeur des projets. Toute notre équipe n'est qu'ingénieurs. Cela nous démarque probablement des autres. Notre personnel peut valider et tester les projets et leur technologie, sans avoir à chercher un spécialiste ailleurs. »

Pas d'agence immobilière
WSL possède des biens immobiliers historiques, mais « nous ne sommes pas une agence immobilière. Nous avons des partenaires qui fournissent des infrastructures à bon prix. Les locaux par exemple. Nous disposons également de salles blanches pour les WSL Labs du Parc scientifique de Liège depuis maintenant quatre ans. » WSL n'y dispose pas de ses propres machines. « Nous manquons de ressources pour un fablab. Les projets sont également si divergents que nous ne pourrions pas amortir cet équipement. » Partage de machines ? « Il s'agit d'innovateurs technologiques. Il y a la propriété intellectuelle, la confidentialité … Désormais, HydrO peut également proposer des espaces de coworking. Ces derniers sont des lieux de rencontre, de pause-café, de réseautage … L'utilisateur paie à la journée. Les gens loueront de moins en moins pendant longtemps. » Flémal s'attend à une forte évolution à cet égard. Avec la Covid-19, il y a beaucoup moins de demande d'espaces de bureau. Il y a aussi la transformation digitale. « Beaucoup achetaient des écrans et des chaises pour travailler à domicile. Certains ont peut-être eu du mal à la maison, mais en attendant, ils ont arrangé leur vie différemment. »

Créativité
« En Wallonie, les PME comptent de trois à cinq personnes. Si l'on pouvait faire grimper ce nombre à dix, le paysage entier serait très différent ici. Mais rien à ce sujet dans le plan de relance du gouvernement wallon. Ce saut d'ailleurs n'est possible que si l'on vend, l'on génère des revenus et que l'on innove. Pour réaliser un tel chiffre d'affaires, il faut passer à l'international. Il n'y a pas de miracles. » Flémal veut faire prospérer les pôles de croissance. « La simple ‘survie’ n'est pas un KPI intéressant. Ce qui m'intéresse, ce sont les entreprises à la croissance de 20 à 30% par an. Nos entreprises génèrent rapidement du chiffre d'affaires. Mais si l'on accroît la production dans l'industrie de 10 à 150 unités, cela requiert aussi des investissements. Avec un produit physique, l'évolutivité est très différente de celle d'un logiciel pur. Les courbes exponentielles n'existent alors plus. C'est également le cas en medtech. Nous sommes en constante évolution et chaque année nous lançons un nouveau programme. Deux fois par an, nous plongeons dans notre base de données et détectons rapidement où se trouvent les nouveaux besoins. Où cela coince- ou frotte-t-il ? Nous cherchons alors les solutions », déclare Flémal. « Avec l'appui de mon conseil d'administration et du ministre, je peux être créative. Mais avec trois fois le budget, je pourrais faire dix fois plus », calcule-t-elle fermement. Non, elle n'affiche aucune conviction politique. « L'orange est ma couleur. » C'est aussi la couleur du logo WSL.

Cadre 1: Accélérateur
Le CRL Booster de WSL suit deux pistes: d'une part pour les starters et d'autre part pour les scale-ups. Ce sont deux niveaux de maturité très différents. Il y a toujours de la place pour dix entreprises. La formation guide les entreprises pour qu'elles arrivent plus rapidement sur le marché. Elle met en lumière les ventes B2B et complexes, validant les premiers clients … « Atteindre les clients et faire du chiffre ! Nous savons que c'est le plus dur. Le 8 juillet, nous avions nos premiers diplômés », raconte Flémal.

Cadre 2: Startech : semer pour l'avenir
«La Wallonie manque encore d'entre-preneuriat », reconnaît Flémal. WSL a développé des antennes à Louvain-La-Neuve, Charleroi (ULB), Mons, Gembloux et Namur (informatique) et, avec son programme de sensibilisation Startech, elle s'est développée dans toutes les villes ayant une faculté d'ingénieur. L'incubateur d'étudiants en touche environ annuellement 500. « Notre message est qu'ils ne doivent pas forcément travailler pour de grandes entreprises. Des alternatives existent, comme créer sa propre entreprise et y construire une belle carrière. Nous construisons de cette manière en amont. C'est semer pour l'avenir. » Cela a un impact. L'entrepreneuriat des ingénieurs a changé. Mais il y a pénurie d'ingénieurs. Les femmes ingénieurs sont également rares. « Pour attirer les filles sur la technologie, il faudrait plus précocement aborder l’enseignement STEM et travailler encore plus tôt en profondeur. Les parents sont aussi à convaincre. Tout cela vient en surplus de notre travail quotidien. Le temps nous manque.»

Cadre 3: Relation limitée avec la Flandre
L'activité vis-à-vis des start-ups et des scale-ups en Flandre et en Wallonie  est-elle comparable ? Un benchmark est-il possible? «Difficile. Agoria et Sirris sont très concentrés sur la Flandre», constate-t-elle. «Beaucoup d'études comparatives sont trompeuses. Qu'est-ce qu'une PME ? À maintes reprises, différents paramètres sont utilisés. Quelle est la différence entre une entreprise technologique et une entreprise innovante ? La différence entre l'IA et le digital ? Si l'on démarre un benchmark, il faut savoir que les entreprises d'IA en Flandre et en Wallonie diffèrent. Il est difficile de classer les entreprises selon leurs compétences de base. Nous le faisons désormais pour l'ensemble de la Wallonie. » Les relations avec la Flandre sont limitées. « Le paysage flamand des start-ups est fort différent du wallon », explique Flémal, qui a eu des contacts ponctuels avec le VITO et qui entretient de bonnes relations avec l'imec. « La collaboration entre notre accélérateur Medical Devices avec Medtech Flanders, le réseau flamand d'entreprises de dispositifs médicaux, de partenaires de recherche, de fournisseurs et d'organisations partenaires, s'est bien déroulée. Nous recommencerons en 2022.»