ENGINEERINGNET.BE - Les idées novatrices qui s’écartent de la norme mettent de nombreuses années à s’imposer d’abord sur le plan clinique puis au stade de la commercialisation. Ce processus réclame des efforts considérables. Dirigeant d’Idevax (Wijnegem), Koen Beyers se fait un plaisir de prendre part à ce débat.
Ces onze dernières années, notre développeur de produits s’est livré, avec d’autres partenaires, à la mise au point d’une seringue intradermique VAX-ID, dont la profondeur de pénétration de l’aiguille dans la peau est inférieure à 1 mm. Non contente d’améliorer le confort du patient, cette seringue permet de réduire d’un facteur dix la quantité de substance active indispensable pour assurer une vaccination/immunisation efficace.
La peau absorbe lentement la substance active. En attendant, les investissements consentis s’élèvent à 5,3 millions d’euros, dont un million d’euros de subventions accordées par la VLAIO et l’UE. Mais la fin n’est pas encore en vue. Objectif visé avant la fin du Q4 2022 : obtenir une dérogation de marquage CE.
Un pas de trop
Ces onze dernières années, Voxdale, Novosanis et Idevax ont œuvré successivement au développement de trois variantes de cette seringue intradermique. Exécutée en matière synthétique recyclable, la première variante était préchargée et pourvue d’un mécanisme inédit qui permettait d’en contrôler le débit avec précision, indépendamment de la pression exercée sur la seringue par le prestataire de soins.
« Nous voulions nous singulariser par une innovation hors normes, mais nous avons rapidement compris que nous étions allés trop loin », relate Beyers. En effet, une seringue préchargée ne manquerait pas d’imposer au secteur pharmaceutique de modifier ses lignes de remplissage ... une contrainte rédhibitoire. Dès lors, la deuxième version de cette seringue intradermique se devait d’être parfaitement compatible avec les seringues standard et les processus de production usuels.
« C’est à ce stade que nous avons enregistré les premières manifestations d’intérêt. Désormais, il ne nous restait qu’à démontrer le bon fonctionnement de notre seringue. » Des essais portant sur l’inoculation du vaccin contre l’hépatite B ont été menés sous la supervision du prof. Pierre Van Damme à l’Université d’Anvers. « Nous n’étions subordonnés à aucune injection intramusculaire et nous avons constaté de surcroît que le patient bénéficiait d’un confort accru », souligne Beyers.
« Ça fonctionne »
Jusqu’à présent, les injections intradermiques classiques étaient très douloureuses. La méthode Mantoux constitue la référence en la matière. Cette méthode prévoit l’utilisation d’une seringue moyenne pour enfoncer l’aiguille selon un angle très aigu (10°) à une profondeur de 6 à 7 mm dans le derme.
« Cette méthode ne se contente pas d’être douloureuse. La profondeur d’injection de près de 70% de ces piqûres est trop élevée. Notre solution n’est pas douloureuse. L’aiguille s’enfonce perpendiculairement à une profondeur de 1 mm et ce, sans déroger à la méthode usuelle. Ça fonctionne. » La troisième version de la seringue VAX-ID se définit comme une évolution qui vise essentiellement à faciliter le passage à la production de masse. La seringue VAX-ID résulte de l’assemblage de trois composants de précision : deux demi-coquilles constitutives du corps de la seringue, lequel repose sur le cône ou la base de l’aiguille et enfin une bague de serrage qui verrouille le mécanisme d’injection incorporé.
La structure de l’assemblage garantit l’exécution d’une injection perpendiculaire à la peau. Après tout retrait de la bague de serrage, indépendamment de la pression exercée sur le piston, une différence de frottement prévient toute pénétration de l’aiguille originale à une profondeur supérieure à 1 mm tout en respectant une vitesse d’injection préprogrammée de 2 m/s. Ce ‘rail de friction’ est breveté.
Processus lent
Toute version inédite réclamait bien entendu un minimum d’ingénierie pour obtenir, en définitive, un produit moins gourmand en matière synthétique. Réduit de moitié entre la version deux et la version trois, le poids des composants est passé de 9 à 5 g. Mais ces seringues n’en sont que plus robustes et faciles à monter. Leur conception en garantit la stabilité de fonctionnement.
« Il nous fallait aussi tester les techniques de production définitives afin d’en maîtriser les tolérances. » De qualité médicale, les composants constitutifs de cette seringue sont exécutés en polypropylène (corps de la seringue) et en polycarbonate (pied ou cloche en contact avec la peau). La base de la cloche est cylindrique, mais elle peut aussi prendre une autre forme. En raison de la pression exercée par la cloche sur la peau, on observe la formation d’un léger renflement de la peau présentant une ‘surface d’injection’ régulière.
L’avènement de toute version inédite requiert l’exécution d’une étude comparative visant à démontrer que la nouvelle variante est au moins aussi efficace que la précédente. Ces études doivent être approuvées par l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). En tant que site clinique, le Centre d’évaluation des vaccins (CEV) doit, à son tour, soumettre à l’approbation du Comité d’éthique le dossier éthique associé à l’étude clinique.
En queue de peloton
Le processus d’obtention d’une marque CE est relativement long. De plus, un nombre appréciable de services sont surchargés à cause de la pandémie. Par ailleurs, des mesures dérogatoires ont été prises en raison de la pandémie dans le but d’accélérer le traitement des demandes portant sur toute technologie médicale innovante. « Nous avons immédiatement déposé un dossier », souligne Beyers. En réponse, les autorités compétentes nous ont demandé, durant l’été 2021, de fournir des informations complémentaires concernant le passage d’une évolution à l’autre. Par conséquent, nous leur avons soumis un surcroît de données chiffrées concernant les cycles, essais de chute, essais de remplissage, tests sur des animaux ... « Ces études clôturées en janvier seront versées dans notre nouveau dossier technique. » Ce dossier vise à obtenir une dérogation autorisant la vente en Belgique et ultérieurement un marquage CE en tant que dispositif médical de classe 2a. « L’année dernière, le nouveau cadre réglementaire régissant les dispositifs médicaux (2017) est entré en vigueur. La transposition de la directive correspondante dans le droit belge a donné lieu à une série d’interventions de dernière minute auprès des autorités de certification. Les petites entreprises telles que la nôtre sont toujours en queue de peloton ... »
Nouvelle structure
Mais le retard subi est également imputable à une série de développements internes. Premières évolutions internes : collaborations avec l’Université d’Anvers, plus précisément avec Vaxinfectio, l’Institut des Vaccins et Maladies Infectieuses de la Faculté de médecine et des sciences de la santé, avec le département Développement de produits de la Faculté des sciences de la conception ainsi qu’avec le bureau de conception et d’ingénierie Voxdale dont Beyers occupait alors les fonctions de CEO.
Le bureau Voxdale a œuvré au développement de plusieurs produits à vocation médicale, au nombre desquels la plate-forme Colli-Pee, conçue pour recueillir et conserver l’urine des patients selon une méthode normalisée. Ces deux produits (VAX-ID et Colli-Pee) ont été transférés à Novosanis, une société détachée de l’Université d’Anvers. Toutefois, il y a trois ans, la société Novosanis a été reprise par OraSure Technologies Inc., une entreprise américaine spécialisée dans les tests diagnostiques, le prélèvement d’échantillons et les dispositifs de stabilisation sur le lieu d’intervention.
Nous avons attendu pendant un an de nouveaux développements du VAX-ID. En définitive, les fondateurs de Novosanis, au nombre desquels Beyers et le dr. Vanessa Vankerckhoven (CEO de Novosanis), ont racheté la technologie de la seringue intradermique et repris le flambeau au sein de la nouvelle structure Idevax.
Divers marchés dans le collimateur
Forte de son VAX-ID, Idevax vise d’entrée de jeu les campagnes de vaccinations préventives à grande échelle. « Avec un vaccin rare, nous sommes à même de procéder à dix fois plus de vaccinations que ne le permettent les inoculations intramusculaires classiques. »
L’entreprise s’était plutôt focalisée sur des vaccins relativement ‘bon marché’ tels que ceux employés lors de pandémies comparables à la Covid-19. « Mais aujourd’hui, notre attention se porte de plus en plus sur des vaccins thérapeutiques, personnalisés et très coûteux pour l’administration desquels notre méthode d’inoculation précise et l’action plus prometteuse qui en découle constituent un atout maître », selon Beyers.
Ce dernier s’est entretenu avec nombre de ‘testeurs’, surtout à l’international. « Aux États-Unis », précise Beyers, lequel estime que le marché y est plus innovant, parce que « soutenu par des compagnies d’assurances qui y voient leur avantage. Ces seringues intradermiques requièrent moins de matériel de vaccination et présentent moins de risque ... Ces parties prenantes bougent plus vite que les pouvoirs publics.
Bref, le lobbying y prend une autre tournure. » Eu égard à leur technicité et à leur fonctionnalité, les composants mécaniques du VAX-ID sont sensiblement plus chers qu'une seringue classique « mais ce surcoût est largement compensé par une économie de vaccin de l’ordre de 80 à 90%. Ce dispositif médical est d’autant plus intéressant qu’il s’attaque à la pénurie de vaccins », selon Beyers, lequel vise l’obtention d’une dérogation ou d’un marquage CE d’ici la fin de l’année.