ENGINEERINGNET.BE - La holding, avec des filiales en Arabie Saoudite, en Macédoine du Nord, en Roumanie, en Turquie et bientôt au Portugal, envisage une giga-usine d'ici mi-2025.
Elle aura une capacité annuelle initiale de 3 GWh pour monter en puissance vers environ 10 GWh d'ici 2030 ; elle sera sise à Seneffe-Manage dans le Hainaut. Ce projet, BE-VOLT Battery Systems, créera de 300 à 500 emplois.
« La globalité de notre capacité de production pour plusieurs années est déjà vendue actuellement », déclare le fondateur et directeur général de l'ABEE, le professeur Dr. Ing. Noshin Omar (40 ans).
«J'ai longtemps cherché, mais en Flandre, qui semble tournée vers l'hydrogène, aucune oreille attentive ne s'est déclarée. Soit les sites liégeois s'avéraient de trop grande envergure, soit le timing était imparfait. Nous avons choisi Seneffe-Manage où nous pouvons rapidement être opérationnels. » L'entreprise dispose désormais de 50.000 m² où elle peut évoluer de manière phasée. L'usine devrait être opérationnelle d'ici 2025.
« Le financement a été bouclé avec la participation des banques, de l'industrie, un peu de soutien gouvernemental et par des emprunts. Le projet représente un investissement de 35 à 40 millions d'euros. » Avec un chiffre d'affaires de plus de 20 millions d'euros, ABEE ne se présente plus comme une start-up sur le marché. « Nous avons une nombreuse clientèle en Belgique et dans les pays limitrophes. Actuellement, les batteries que nous avons développées étaient produites chez Imecar à Antalia (Turquie). »
L'entreprise dispose d'une capacité de production de 1,5 GWh. L'ABEE n'en achète qu'une partie, mais cela se serait vite avéré insuffisant pour la clientèle visée. « Cette dernière veut également être à proximité de la production. Elle veut voir l'usine, parler le même langage … »
Le coronavirus mais aussi la géopolitique mettent les choses à cran. Les transports étaient fort retardés à la frontière gréco-turque. Les camions ont mis de trois à quatre semaines pour effectuer le trajet. « La proximité des fournisseurs, tel le producteur de nanotubes de carbone Nanocyl de Sambreville, sera de nature à favoriser une chaîne d'approvisionnement circulaire à Manage. »
Filiales
L'ABEE érige depuis un certain temps des filiales. Il y a par exemple, depuis longtemps, la Modern Development Technologies C à Jedda, en Arabie Saoudite. Dans un premier temps, cette entité ABEE Middle-East devait démarrer la production au printemps 2021 pour produire annuellement 3 GWh de batteries d'ici 2023. « Nous avons mis ce projet on-hold pour permettre la concentration et l'expansion en Europe.
Aussi en termes de main-d'œuvre. » Début 2022, l'ABEE a créé une filiale près de Skopje (Macédoine du Nord) qui devait étudier les BMS (systèmes de gestion de batterie) et les systèmes d'électronique de puissance, qui produirait également environ 75.000 unités par an. L'entreprise, qui sera opérationnelle au deuxième trimestre 2023, devrait compter une centaine de salariés d'ici trois ans.
« C'est un choix stratégique que de se tourner vers des pays où les coûts salariaux et la fiscalité sont plus cléments. Toute la production est destinée à Seneffe. » En Roumanie, une filiale est implantée à Galaţi et Giurgiu.
« Romvolt est un projet d'envergure encore plus important qu'en Belgique. Ce sera l'une des plus grandes giga-usines de batteries d'Europe. » Omar a encore des desseins cachés. D'autres nouvelles devraient suivre au cours du premier trimestre de 2023. Il faut aussi attendre quelque peu pour avoir également des nouvelles d'une filiale portugaise. L'accent y sera mis sur la R&D, mais la technologie solid state y sera également produite.
« Ce sera un projet ‘copy-paste’ de l'usine belge sur un site de 20.000 m², localisé quelque part entre Porto et Lisbonne. » L'investissement de 70 à 100 millions d'euros devrait conduire à une capacité de production de 0,5 à 1 GWh. Plus encore ? D'ici l'été. A Izmir, en Turquie, une filiale de l'ABEE recycle environ 5.000 tonnes de batteries par an.
« La réglementation européenne impose aux producteurs de batteries de plus de 20 kg d'être responsables des retours et de leur recyclage. La Turquie peut ne pas faire partie de l'UE, mais l'on y trouve des usines de VW, Toyota, Nissan et Renault … Nous ne pouvons donc pas être en reste. »
Focus
ABEE est spécialisée dans les batteries lithium-ion conventionnelles, lithium-ion avancées, solid-state et dans le recyclage des batteries. « L'essentiel, c'est notre savoir-faire et notre propriété intellectuelle. Nous partageons cela avec nos filiales de production spécialisées. » L'accent est mis sur la production de packs de batteries au lithium-fer-phosphate (LFP) exempts de nickel et de cobalt.
Lors de la charge de la batterie, les ions lithium se déplacent de l'anode vers la cathode où ils sont stockés. Lors de la décharge, ils se déplacent de la cathode vers l'anode via l'électrolyte. Les performances de la batterie dépendent fortement des propriétés du matériau de la cathode. Les batteries usuelles au lithium contiennent généralement beaucoup de nickel ; il est garant de la densité énergétique.
Le cobalt, lui, empêche la surchauffe de la cathode. Les trois quarts environ de tout le cobalt est extrait au Congo. En raison de la croissance rapide de la demande, cette matière première (entachée également de sang) n'est plus disponible qu'en quantité limitée et chère. C'est pourquoi des matériaux alternatifs pour les cathodes sont recherchés ; tels l'oxyde de lithium-manganèse (LMO) et l'oxyde de lithium-nickel-manganèse-cobalt (NMC).
Les batteries LMO sont moins onéreuses et sont de densité énergétique moindre. Les cathodes NMC, telles celles d'Umicore, incorporent jusqu'à un tiers de nickel. Avec les cathodes nickel-cobalt-aluminium (NCA), ce pourcentage grimpe à 80%.
D'aucuns essaient d'interdire complètement le cobalt. « Les clients analysent également le TCO (coût global de possession). Nous n'optons donc pas pour les batteries NMC plus chères. » La Russie est le plus grand producteur de nickel … La chimie d'une batterie plus sûre et plus durable reste donc un défi.
Siège de R&D à Ninove
En attendant, les travaux de construction du nouveau siège de l'ABEE à Ninove vont bon train. « Nous espérons emménager fin février », explique Omar. 15 millions d'euros y ont été investis. L'intention est d'y faire de la R&D pure. Développer les connaissances et la propriété intellectuelle. « Nous espérons y attirer beaucoup de professionnels. »
En Belgique, l'entreprise compte actuellement une cinquantaine de collaborateurs dont 90% d'expatriés. Début janvier, dix nouveaux collègues ont débuté. « Tous allochtones. » Des extensions sur les 10.000 m² disponibles sont possibles. Fin décembre, une décision a été prise concernant de nouvelles installations de recherche à ce QG.
En août 2022, ABEE levait 15,5 millions d'euros pour le développement de cellules et de systèmes de batteries. La feuille de route de l'ABEE se décline des ‘pouches’ aux cellules prismatiques. D'ici fin 2023, la société envisage de réaliser une production en petite série de sa cellule de batterie solid state (pouch cells de 30 Ah) ; elle sera d'une capacité de 18 MWh/an. À cet effet, elle a mis en place une installation semi-industrielle de revêtement Roll-to-Roll. « Nous planifions d'accroître cette capacité à 50 MWh d'ici 2025. »
Outre le prototypage de ces pouches solid state, ABEE souhaite également développer d'ici début 2024 des cellules de batteries solid state prismatiques d'une capacité de 100 Ah sur la ligne pilote. « Nous ne travaillerons jamais avec des cellules cylindriques », assure Omar. Au salon de l'automobile de Bruxelles, ABEE présentait sa batterie à électrolyte solide avec anode au lithium-métal. Une première génération fait usage d'oxyde.
« ABEE sera le premier acteur européen à proposer fin 2023 un premier lot de batteries solid state de 4 MWh à ses clients en Europe », précise Omar. Plus tard, usage sera fait du lithium-soufre, « mais de nos jours, aucune chaîne d'approvisionnement n'existe en Europe à ce sujet ».
L'ABEE met également en place un laboratoire pilote à Ninove pour étudier le recyclage des batteries. « L'objectif est d'engranger des connaissances. »
Joint-ventures
ABEE a conclu plusieurs joint-ventures ces dernières années ; elle y apporte son expertise et sa technologie en matière de batteries. Début juillet 2021, une joint-venture était mise en place avec le fabricant lituanien de cellules/panneaux solaires Solitek et le fournisseur turc Imecar Elektronik. Il s'agissait de démarrer une nouvelle usine de batteries dans la région de Vilnius.
Solitek, producteur d'environ 1,5 GWh de PV par an, souhaitait élargir sa gamme avec des packs de batteries pour des applications industrielles. L'ABEE apportait ses connaissances en échange d'actions. Initialement, la capacité de production était de 200 MWh, mais elle passera bientôt à 1 GWh. Certains partenariats sont plutôt temporaires.
En mars 2021, ABEE signait un accord avec l'italien Automobili Estrema. Il s'agissait de construire des cellules de batterie à la pointe de la technologie pour les VE de pointe. La holding Estrema-ABEE Technologies s'est concentrée sur la production de cellules et de systèmes de packs de batteries ‘hybrides’ avec la technologie cell-to-pack pour une supercar qui devait être construite à Modène : la Fulminea. La batterie combine des cellules Li-ion avec un électrolyte solide et des ultra-condensateurs.
Les packs de batteries utilisent des cellules solid state d'ABEE ; elles ont été conçues et produites en collaboration avec la société turque Imecar Elektronik. La densité énergétique devait atteindre 450 Wh/kg (1.200 Wh/l). « Nous mettons fin à cette relation. Les coûts de développement étaient trop élevés. En effet, nous envisageons un volume de marché bien plus important que celui d'une poignée de supercars. »
Fin octobre 2022, l'ABEE signait un protocole d'accord avec les laboratoires américains Nanoramic pour développer et commercialiser conjointement des batteries Li haute performance et à faible coût. Ce partenariat stratégique s'articule entre autres autour d'une licence commerciale de la technologie d'électrode de Nanoramic appelée Neocarbonix® at the Core. « Nous explorons différentes applications et étudions comment elles peuvent faire monter en puissance notre technologie lithium-fer-phosphate. Les pourparlers sont toujours en cours. »
Transition vers le local
« J'enseigne encore quelques semaines par an », explique Noshin Omar, qui était professeur au groupe de génie électrique et énergétique (ETEC) de la VUB. De 2014 à 2019, il a dirigé le Battery Innovation Center du groupe de recherche MOBI « mais mon but n'était pas de rédiger des publications. » En 2019, il quitte le milieu universitaire pour fournir au travers d'ABEE des services d'ingénierie à l'industrie.
Il observait une forte demande pour la technologie des accus à semi-conducteurs ou solid state et … « Il existe diverses initiatives en Europe pour mettre en place des usines de batteries … mais toute cette capacité ne suffit pas encore pour répondre à la demande », comme le calcule Omar.
« En outre, au moins la moitié des giga-usines annoncées ne se matérialiseront tout simplement pas. Ou avec un retard prononcé. En effet, beaucoup avaient développé un business plan avant la Covid-19 et la crise énergétique. Nous avons fait le choix stratégique pour la LFP ; ce qui nous rend exclusifs. » Mais selon Omar, l'avenir est bien au solid state, technologie qu'il développe aussi déjà.
« L'Europe aura toujours un problème de matières premières et de matériaux de base. Nous resterons dépendants du lithium. En provenance de Chine aujourd'hui, demain d'Australie, de l'Amérique du Sud … » Le recyclage repose donc sur une évidence. « Mais le maintien des relations politiques avec les pays miniers d'origine est également crucial. J'observe également une évolution vers une approche plus locale chez les grandes entreprises chimiques (BASF, Prayon, Umicore ...) qui transforment les matières premières en matériaux pour les cathodes et les anodes.
Une leçon issue de la période de la Covid-19. » Un passeport batterie sera d'ailleurs exigé dans l'UE. Une étiquette doit attester que la fabrication de la batterie est conforme à la réglementation CO2. Outre la localisation et la production, le transport est également pris en compte dans la détermination de l'empreinte CO2 … « Le mix énergétique en Chine est encore très polluant. La réglementation crée des opportunités pour de nouvelles productions locales avec une approche plus durable. »
Projets EU
« Les projets de recherche de l'UE sont des outils d'importance majeure pour renforcer ses connaissances. Plus de ‘risques’ peuvent également être pris lors de tels projets. Ce sont des plateformes d'intérêt majeur. Elles nous mettent aussi en contact direct avec de nombreux fournisseurs », précise Noshin Omar ; il signale qu'ABEE est actuellement impliquée dans une quarantaine de projets en cours. « Grâce à ces projets, l'industrie a acquis une grande con-fiance en notre savoir-faire. »