Stockerons-nous bientôt nos données sous forme liquide?

Dans le monde entier, il y a une quête avancée de nouvelles technologies qui devraient aider à stocker la quantité toujours croissante de données sur une longue durée et à un coût raisonnable.

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( Photo: 123RF )

ENGINEERINGNET.BE - Dans cet article-ci, nous examinons comment nous pouvons stocker des informations dans un liquide et comment ces mémoires liquides peuvent gagner leur place à côté des supports de stockage existants à partir de 2030. Concrètement, zoom sur deux mémoires fluides innovantes : mémoires colloïdales et électrolytiques.

Pour répondre à la demande croissante de stockage de données, les experts en mémoire ont réussi au fil des années à augmenter systématiquement la densité mémoire des différents supports de stockage. Mais il devient de plus en plus difficile de maintenir cette tendance. Par exemple, la densité de mémoire des technologies de disque dur n'a pas augmenté le long de sa ligne de tendance historique depuis plusieurs années. Nous nous attendons à un scénario similaire pour les mémoires Flash NAND.

Représentation schématique des trois voies d'accès à la mémoire. (©imec)

Au moment où les Flash NAND n'évoluerons presque plus, le paysage des mémoires sera probablement différent au niveau du stockage. Plusieurs périphériques de stockage vont coexister, chacun à l'avantage particulier : là où l'un excellera en vitesse de lecture, l'autre aura une plus grande capacité de stockage. Ils ne remplaceront pas les supports de stockage existants, mais procureront un complément de ‘vitesse vs Go/prix de revient’ pour l'utilisateur.

Avec tous ces supports de stockage réunis, nous espérons être en mesure de répondre aux exigences de l'ère des données > 100 zettaoctets. Ces nouveaux concepts font actuellement l'objet de recherches approfondies. L'une des alternatives les plus discutées est le stockage de l'ADN. Les informations peuvent y être stockées des millions de fois plus densément que dans les dispositifs de stockage actuels.

Dans cet article-ci, nous examinons si nous pouvons également stocker des données dans un liquide. Plus précisément, nous examinons de plus près deux concepts de mémoire fluide étudiés par l'imec : la mémoire colloïdale et la mémoire électrolytique.

Représentation schématique de la mémoire colloïdale. (©imec)

La mémoire colloïdale : manipulation de nanoparticules 
Dans la mémoire colloïdale, au moins deux types de nanoparticules sont stockées dans un réservoir liquide, rempli d'eau par exemple. Ce système colloïdal est connecté à une rangée de nanocanaux. En appliquant des électrodes à l'entrée et au fond des canaux, on peut attirer les nanoparticules et les conduire plus profondément dans les canaux.

Si l'on s'assure que le diamètre des nanoparticules ne soit que légèrement inférieur au diamètre des canaux, il est alors également possible de conserver l'ordre dans lequel les particules sont introduites dans les canaux. C'est dans cet ordre (ou séquence d’octets) que les informations peuvent être codées. Le plus grand défi consiste à guider sélectivement différents types de nanoparticules dans les canaux, et d'ainsi ‘écrire’ l'information dans la mémoire. Les chercheurs de l'imec investiguent s'ils peuvent utiliser à cet effet la diélectrophorèse.

Représentation schématique de la mémoire électrolytique.. (©imec)

C'est un phénomène dans lequel les particules se déplacent dans un champ électrique hétérogène (dans ce cas, un champ alternatif généré autour de l'électrode). Que la particule soit attirée ou repoussée par l'électrode dépend, entre autres, du type de particule et de la fréquence du champ électrique appliqué. En choisissant deux particules qui réagissent différemment à la fréquence appliquée (attraction vs répulsion), l'on peut, théoriquement du moins, écrire la mémoire sélectivement.

Pour déterminer si cela est également réalisable dans la pratique, des puces de test spécifiques sont conçues et fabriquées dans la salle blanche de 300 mm d'imec. Les électrodes appliquées aux wafers de silicium agissent comme des ports d'accès. Une preuve de concept à l'échelle micrométrique a déjà démontré que nous pouvons diriger sélectivement plusieurs centaines de particules de polystyrène d'une solution vers un seul canal en utilisant la diélectrophorèse.

Des puces de test avec des canaux de 200 à 300 nm de diamètre et des particules de polystyrène d'environ 200 nm de diamètre ont récemment confirmé que nous pouvons également faire de même à l'échelle nanométrique. Des expériences sont actuellement menées avec des particules et des canaux encore plus petits.

La mémoire électrolytique : électrodéposition de films métalliques 
Tout comme la mémoire colloïdale, la mémoire électrolytique est constituée d'un réservoir de liquide et d'une matrice de nanocanaux. Mais maintenant (au moins) deux types d'ions métalliques (A et B) sont dissous dans un liquide électrolytique. L'écriture et la lecture se font par les techniques plus connues d'électrodéposition et d'électrodissolution. Chaque canal - rempli de liquide - est relié à une électrode à sa partie supérieure et inférieure. L'ensemble de ces composants forment une cellule électrochimique.

Sous une certaine tension (ou mieux : un potentiel) à l'électrode inférieure (l'électrode de travail), une couche de métal A est déposée sur l'électrode. On peut faire de même pour le métal B, sauf que cela impose une tension différente. En faisant varier la tension, l'on génère un empilement de couches métalliques en alternance de métal A et de métal B. Nous pouvons maintenant imaginer différentes manières d'encoder l'information. L'on peut jouer par exemple avec l'épaisseur des couches en allongeant ou en raccourcissant l'impulsion de tension.

(À gauche) Image de microscopie électronique à transmission de 10 couches de Cu délimitées par du Ni déposé dans un canal de 150 nm de diamètre ; (À droite) démonstration de l'écriture d'un schéma de codage possible. (©imec)

Là où 1 nm de métal A pourrait représenter le code binaire ‘0’, une couche de 2 nm d'épaisseur du même métal A représente alors le ‘1’ binaire. Une couche de métal B d'épaisseur fixe (0,5 nm par exemple) peut servir à séparer les deux octets. Là aussi, une preuve de concept avec des électrodes micrométriques a déjà démontré la faisabilité du principe. Récemment, des expériences ont été réalisées sur des puces de test avec des canaux de 1 µm de profondeur et de 80 à 150 nm de diamètre.

Après optimisation des conditions de la cellule électrochimique, l'opération d'écriture et de lecture de 10 couches de cuivre (délimitées par des couches de nickel) a pu être démontrée avec succès. Cela signifie qu'il est déjà possible d'écrire et de lire 10 octets par canal dans une cellule mémoire électrolytique. Ce nombre est systématiquement accru aujourd'hui.

En jouant avec la durée de l'impulsion de tension pour le dépôt de cuivre, les chercheurs ont également réussi à écrire et à lire un schéma de codage plus sophistiqué dans un seul canal. Mais il était également devenu évident que les temps d'écriture et de lecture sont encore trop courts aujourd'hui pour être utiles, pour les applications de stockage nearline par exemple.

La piste des applications industrielles 
Quoique le développement de ces nouvelles mémoires n'ait commencé que récemment, les premières étapes étaient franchies. L'industrie des puces montre aussi d'ores et déjà beaucoup d'intérêt. Nous anticipons à ce que ces mémoires liquides puissent éventuellement offrir une plus grande densité de mémoire que la Flash NAND 3D, avec certes un temps de lecture plus lent.

Sur base de ces propriétés, un déploiement serait possible à partir de 2030 pour des applications de stockage nearline exigeant une capacité de stockage ultra-élevée (> téraoctet/mm2). Elles pourraient par exemple en quelques secondes mettre à la dispositionde l'utilisateur des données ‘inactives’ archivées telles que des fichiers d'images et de sons ou d'autres documents volumineux.

Mais avant que ces mémoires ne soient prêtes à conquérir le marché, des étapes importantes doivent encore être franchies. Pour atteindre le cap du téraoctet/mm2 nous devons pouvoir placer les nanocanaux et les électrodes à moins de 40 nm les uns des autres. Le ratio d'aspect des canaux doit également être accru à 400:1 et 165:1 pour respectivement les mémoires colloïdales et électrolytiques.

Les applications de stockage nearline nécessitent également des caractéristiques de mémoire spécifiques. Tels un temps de lecture de quelques secondes, une endurance de 103 cycles, une consommation énergétique de l'ordre du pJ pour écrire un octet de mémoire, et plus de 10 ans de rétention.