L’ingénierie sans frontières

«J’ai toujours été dans la construction», lance Pierre Waterkeyn, ingénieur industriel en électromécanique, qui s’est rendu à Beni comme ‘ingénieur sans frontières’ pour construire un centre de soins et de formation en chirurgie et obstétrique.

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Ingénierie

( Photo: Ingénieurs sans Frontières )

ENGINEERINGNET.BE - Il a passé des contrats avec des entrepreneurs, suivi le chantier, les travaux d’électricité et supervisé le déploiement des techniques. Construit grâce aux dons, le centre a ouvert ses portes début juin et compte une vingtaine de lits. La prochaine étape sera la réalisation d’une unité mère-enfant.

« L’objectif est de préparer au maximum le travail ici puis de superviser la construction sur place au cours d’une ou deux missions », explique Waterkeyn. Son projet était cependant plus grand. Les missions à l’étranger durent typiquement trois à quatre semaines. Il l’a fait en six ou sept fois. Entretemps, il restait en contact avec l’entrepreneur via WhatsApp.

« Je m’occupais de l’électricité, de l’eau et de l’assainissement. » Il n’a pas abordé certains problèmes, comme internet. « Ce n’est pas mon domaine. J’ai fourni les prises et les fiches mais j’ai demandé à quelqu’un d’effectuer les branchements. »

Ingénieurs sans Frontières 
Waterkeyn a commencé sa carrière chez Cockerill Yards. Lorsque l’entreprise a fermé ses portes un an plus tard, il est entré chez Bell Telephone. Sept ans plus tard, il était responsable de l’ingénierie chez Gillain & Co qui construit des installations en inox. Après treize ans, il rejoint Genzyme (Sanofi) où il est responsable du département ingénierie durant dix-sept ans. Au cours des dernières années, il a travaillé sur la nouvelle usine à construire. « A l’approche de la fin de ma carrière, je me suis demandé ce que j’allais faire une fois en pension. »

Sur le site d’ie-net, il lit un article sur les Ingénieurs sans Frontières et prend contact. Et puis il y a eu le coronavirus. Il a fallu patienter puis reprendre contact et Reginald Moreels, alors secrétaire d’Etat et ministre de la Coopération au développement, avait un projet en République démocratique du Congo. Avant même de prendre sa pension, Waterkeyn est parti en janvier 2020.

Pratique 
Ingénieurs sans Frontières (IzG) a payé le vol, en général jusqu’à Entebbe (Ouganda) et le voyage se poursuit en voiture jusqu’à la frontière avec le Congo, soit environ 10 heures de route. Il est possible de s’y rendre par Kigali et Goma puis Beni. Waterkeyn voyageait habituellement avec l’architecte, également volontaire, mais il partait parfois seul. C’est assez tendu car le Nord-Kivu, où règnent les rebelles, peut être dangereux.

« Vous êtes un volontaire non rémunéré, vous apportez votre aide. Il y a un contrat entre l’asbl locale (Unichir), IzG et moi selon les règles convenues. Légalement, vous n’êtes pas responsable et vous n’êtes pas payé pour votre travail. » Il recevait à manger et on faisait sa lessive. Il était assuré par IzG. « En tant qu’ingénieur, cela ne vous coûte rien, mais on apprend aussi quelque chose et on assume sa part. »

Coûts minimaux et main d’oeuvre locale 
Le projet a été réalisé à moindre coût. « On investit dans ce qui est vraiment nécessaire. » Il y a les plans mais aucun cahier des charges n’est établi. « Les conduites souterraines sont notifiées sur un plan. Les dimensions figuraient sur le côté des bâtiments. » L’architecte a utilisé un logiciel. « J’ai répertorié dans un tableau Excel les utilisateurs d’électricité et les puissances à fournir. L’entrepreneur en électricité a ensuite peaufiné tout cela. » Difficile de se procurer les matériaux dans la région. « Environ 80% des matériaux ont été achetés en Ouganda. L’approvisionnement se faisait depuis Kampala. »

Des capacités matérielles limitées 
L’entrepreneur venait de Bukavu à 500 km de là. Il a amené avec lui que quelques chefs de chantier et des spécialistes. Les autres travailleurs étaient des locaux sans formation qui faisaient la file devant la porte chaque matin. L’entrepreneur faisait une sélection au jour le jour. « Ils peuvent faire énormément de choses. Ce sont des personnes fières, désireuses d’apprendre. Le travail nécessite des explications. Si vous construisez un mur ici, vous supposez qu’il sera vertical et à angle droit. Là-bas, ce n’est pas évident. »

Pierre Waterkeyn (67), ingénieur industriel en électromécanique et ‘ingénieur sans frontières’ a signé des contrats avec les entrepreneurs, suivi le chantier, les travaux d’électricité et supervisé le déploiement des techniques. (©IzG)

Les possibilités matérielles sont limitées. Sur le chantier, Waterkeyn n’a pas vu une seule échelle. Des travailleurs faisaient des soudures électriques avec des lunettes de soleil comme protection. Les fils électriques étaient collés entre eux. La qualité des matériaux varie. Parfois, on met trop peu de ciment au béton. « Mais on connait cela ici aussi. »

Sécurité 
Le prix du ciment a pratiquement doublé au cours des trois dernières années, et les rebelles ont entravé l’approvisionnement. Ils attaquaient les camions, après quoi l’armée fermait la route. Le sable et le gravier se trouvaient localement. Mais près de la rivière, les creuseurs craignaient d’être attaqués. 

« Je recherche encore des personnes pour le service technique de l’hôpital. J’ai interviewé des candidats, mais il y en a plus en ville car c’est plus sûr. La sécurité est un gros problème. Le projet a été retardé de six mois supplémentaires. Nous espérions terminer en septembre ’22, ce fut juin ’23. »

Instructif 
Ingénieurs sans frontières gère divers projets. Les projets énergétiques avec des panneaux solaires sont assez courants, tout comme les projets de construction, d’ingénierie hydraulique et de pisciculture. « C’est une expérience très enrichissante », poursuit Waterkeyn qui constate deux ‘cohortes’ parmi les ingénieurs.

D’une part, il y a la vieille garde, les personnes ayant l’âge de la pension, et d’autre part, les plus jeunes qui ont moins d’obligations familiales. Waterkeyn est pensionné depuis deux ans et demi. « Si je vais continuer pendant dix ans ? ». Il sourit.

Eau et électricité 
Sur le site, un château d’eau en béton, deux réservoirs de 5.000 l à 12 m de haut. L’eau est puisée à 85 m de profondeur et propulsée vers le haut à l’aide d’une pompe électrique. Tout est raccordé au réseau local alimenté par une centrale hydroélectrique située plus loin, derrière un barrage. « Reginald Moreels, qui souhaitait une construction aussi durable que possible, a pensé à l’énergie solaire. Investir dans des panneaux photovoltaïques et des batteries pour une période d’amortissement de cinq ans. Par rapport à un câble triphasé de 1,5 km de long, je trouvais cela relativement cher.

Il y avait un transformateur sur le site. De l’énergie verte. Nous disposons plus d’énergie que nécessaire. » D’autre part, le projet continue de se développer. Les batteries fournissent deux heures de backup pour tout et quatre heures pour les circuits critiques. Il y a aussi un générateur de secours qui n’a pratiquement jamais fonctionné, fourni par la protection civile de Courtrai. « Mais la tension n’était pas bonne. Nous l’avons rebobiné sur place. Les gens là-bas peuvent faire énormément de choses. Ils ont juste besoin d’instructions. »