ENGINEERINGNET.BE - Luc Van den hove, directeur général de l’Imec, innove depuis plus de 40 ans dans les technologies des puces et du numérique basées sur les semi-conducteurs.
La salle blanche et le laboratoire d’essais de puces de l’Imec sont parmi les meilleurs du monde. Il est convaincu que la combinaison de nouvelles technologies permettra de créer des solutions intelligentes qui ouvrent la voie à un avenir durable.
Il pensait devenir ingénieur civil-architecte. Classé parmi les meilleurs élèves, il excellait surtout en mathématiques et en sciences. Très tôt, il développa aussi une passion pour le design et l’art. « Je dessinais désespérément toutes sortes de plans », dit-il en souriant. Une formation d’ingénieur-architecte semblait donc un choix logique.
Mais avec l’arrivée des premiers PC et l’engouement pour la microélectronique et les puces, il s’intéressa à l’électronique et la haute technologie et opta finalement pour une formation de génie civil-électrique. Difficile de mieux choisir. « Traduire la technique en beauté, voilà ma vraie passion. Je pense que cette combinaison se reflète encore dans ce que je fais aujourd’hui. »
Superlab
L’Imec a vu le jour alors qu’il achevait sa thèse de doctorat. Roger Van Overstraeten, son professeur de génie électrique, et plusieurs autres professeurs de premier plan étaient de retour de la Silicon Valley, de Stanford et de Berkeley. Van Overstraeten a convaincu les autorités flamandes de créer un centre flamand avec le même esprit. Van den hove a rejoint l’initiative dès le premier jour.
La vision était claire: L’Imec deviendrait un centre de recherche de pointe en microélectronique. On l’appela d’abord le « Superlab », car l’ambition était grande. « J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment. C’était une période passionnante où de gros montants furent soudainement mis à disposition pour créer l’Imec. »
Phase d’apprentissage
Parmi les 70 employés que comptait l’Imec la première année, Van den hove était responsable des technologies d’interconnexion, incluant la métallisation des puces et la lithographie. À 25 ans, on l’envoya en Amérique pour négocier avec de grandes entreprises l’achat d’instruments pour leur salle blanche. « Cela fut pour moi une expérience d’apprentissage incroyable. J’y ai appris l’autre dimension de mon travail : la diplomatie, les techniques de négociation. C’est la combinaison de ces compétences commerciales et techniques qui m’ont façonné. »
Fidèle
Il est demeuré fidèle à l’Imec jusqu’à aujourd’hui. « Qui ne serait pas fidèle à une si belle entreprise », dit-il en riant. Il a rapidement gravi les échelons pour passer de jeune doctorant à chef d’une équipe de 30 à 40 personnes, puis progressivement responsable de tous les procédés de la salle blanche. Il a ensuite été nommé vice-président sous Gilbert Declerck, qui avait succédé à Roger Van Overstraeten en 1999 en tant que directeur général.
Il s’entendait bien avec Declerck, qui avait été son promoteur de thèse et le nomma rapidement directeur des opérations. Aujourd’hui, directeur
général de l’Imec depuis 15 ans, il dirige désormais l’entreprise et ses 5.500 employés. « Le premier bâtiment que nous avons construit était prévu pour 350 collaborateurs. À l’époque, selon la vision de Van Overstraeten, cette taille semblait adéquate pour créer une masse critique. Aujourd’hui, nous sommes plus de 10 fois plus grands, ce qui dépasse nos rêves les plus fous. »
Impact local
Pour L’Imec, le but a toujours été de placer la Flandre sur la carte mondiale en matière de technologie des puces. Mais en tant que centre de recherche recevant des fonds publics, nous devons aussi avoir un impact local. Cependant, pour avoir un impact économique important dans un petit pays, il faut des partenariats internationaux. L’Imec a été très créatif avec ce modèle d’entreprise, surtout au début.
En nouant dès le départ des partenariats avec des entreprises étrangères comme Intel ou Samsung, l’Imec a pu devenir la plus grande entreprise dans son domaine, et ainsi obtenir la masse critique et le potentiel d’innovation nécessaires. L’impact que cela permet d’avoir sur l’écosystème local est bien plus important que s’ils étaient toujours restés à l’échelle locale.
Ça n’a pas toujours été facile : surtout les premières années, l’Imec a été fort critiqué à cause de la priorité donnée aux partenariats internationaux au détriment des partenariats locaux. « J’estime pour ma part que notre stratégie a porté ses fruits, y compris en termes d’impact local », affirme Van den hove avec une certaine fierté.
Partenariats
Cette stratégie a permis d’impliquer des universités locales dans ces partenariats internationaux. L’Imec a ainsi ouvert beaucoup de portes pour de nombreux doctorants de toutes sortes. « Nous avons aujourd’hui près de 850 doctorants qui réalisent une grande partie de leur recherche à l’Imec. Mon ambition est de renforcer encore cette relation avec les universités.
En interne, nous avons pour objectif de doubler le nombre de doctorants ces prochaines années. » Pour l’Imec, cette relation avec le milieu universitaire est une priorité. L’Imec se développe, mais il est impossible d’être un spécialiste de haut rang dans tous les domaines d’application s’appuyant sur la technologie des puces. Nos partenariats avec les universités sont essentiels pour l’accès aux connaissances en matière d’applications.
C’est pourquoi l’Imec a fusionné en 2016 avec iMinds, un centre de recherche flamand spécialisé dans les technologies de l’information et de la communication. iMinds travaillait surtout au niveau des applications et, selon son modèle d’organisation, ses équipes étaient intégrées aux campus universitaires.
Incubateur d’entreprises
L’Imec agit de même dans ses partenariats avec les entreprises flamandes. Dans le cadre de programmes comme imec.icon, des entreprises flamandes et des groupes de recherche universitaires unissent leurs forces pour mener des recherches interdisciplinaires débouchant sur une valeur ajoutée économique. L’Imec met ses technologies et compétences à disposition des entreprises flamandes, en particulier des start-ups.
« Nous avons incubé plus de 300 start-ups via notre programme imec.istart, et créé plus de 120 spin-offs. L’Imec joue le rôle de facilitateur pour ces entreprises », explique Van den hove. L’Imec collabore avec les giga-usines de production de puces en Corée du Sud et à Taiwan. Impossible d’attirer l’attention de ces géants quand on est une petite start-up avec un nouveau design de puce.
Alors l’Imec réunit les demandes et, grâce à ses bonnes relations, peut faire fabriquer des lots de puces pour ces start-ups. Mais cela ne s’arrête pas là. L’Imec offre également un soutien dans la conception des puces, les tests, l’emballage, tout la chaîne de valeur. Grâce à cette stratégie d’internationalisation, ils ouvrent l’ensemble de l’écosystème aux entreprises locales.
Modèle pré-concurrentiel
La création de l’Imec en tant que centre de microélectronique interuniversitaire tire son origine dans le fait que la taille des investissements nécessaires dépassait les capacités d’une seule université. « Nous renforçons les liens entre universités en créant des partenariats entre elles. L’Imec intervient ici en tant que partenaire neutre », explique Van den hove.
Il en va de même pour l’industrie. L’Imec met en place des collaborations entre des entreprises supposément concurrentes. « C’est le cœur de notre modèle. La technologie devient si chère et complexe qu’il est impossible pour une entreprise d’en supporter le coût toute seule.
C’est pourquoi ils ont créé un modèle pré-concurrentiel sophistiqué qui fixe les règles pour ce qu’il convient d’examiner avec quelle entreprise et à quel stade. Car ce qui est pré-concurrentiel pour une partie de la chaîne de valeur peut être très concurrentiel pour une autre. « L’application de ce modèle d’innovation ouvert est aussi une partie du travail d’innovation de l’Imec. »
Valeurs et normes
La diversité des secteurs d’activité de l’Imec (soins de santé, IA, sécurité, etc.) peut poser des questions d’éthique. Bien que l’Imec en tant que telle ne développe quasi jamais de produits pour un utilisateur final, elle dispose de son propre comité d’éthique, fonctionnant indépendamment des entreprises qui font leurs propres évaluations approfondies.
« Nous sommes très attachés à nos valeurs. Deux valeurs essentielles pour nous sont l’intégrité et l’attitude à l’égard de la technologie et des personnes. Nous mettons aussi beaucoup l’accent sur la durabilité. » Dans le cadre de son vaste programme de durabilité, l’Imec collabore avec l’ensemble de l’industrie pour rendre le processus de fabrication des puces plus durable.
Partage des connaissances
Une énorme quantité de connaissances donc, mais diffuser celles-ci est un aspect tout aussi important de leur mission. « Depuis quelques années, nous mettons l’accent sur la communication scientifique. Faire prendre conscience de l’importance de la technologie pour relever nos grands défis sociétaux est une mission qui nous tient à cœur.
La technologie est indispensable pour faire face au dérèglement climatique, résoudre les grandes questions de durabilité, rendre les soins de santé plus abordables dans une société vieillissante, réduire le coût de l’alimentation pour plus de personnes sur la planète, etc. Autant de défis pour lesquels il sera essentiel d’utiliser davantage la technologie. Pourtant, beaucoup de personnes n’en sont pas conscientes. »
Diversité
La RVO-Society a été créée en 2001 en mémoire de Roger Van Overstraeten, fondateur de l’Imec. C’est au travers de cette société qu’ont été créés le Scivil (Centre de connaissances pour la science citoyenne) et le Brightlab, un laboratoire d’enseignement STEM. Le Brightlab mène surtout des actions ciblant la jeune génération. Il aide des écoles à renforcer l’enseignement technique en encourageant tous les enfants à s’intéresser à la technologie afin de favoriser la diversité.
« La diversité au sein de l’Imec est d’une grande importance. Nous avons ici 100 nationalités, les collaborateurs viennent du monde entier. La diversité est un excellent terreau pour la créativité, et je ne parle pas seulement de la diversité des cultures et des genres, mais aussi des disciplines. Les personnes qui arrivent avec des formations différentes sont essentielles pour stimuler la créativité. »
Lieu de rencontre
Le multiculturalisme se reflète aussi dans l’infrastructure, dans l’aménagement des espaces. Tout est fait pour favoriser les contacts aléatoires entre les départements. « Nous concevons actuellement un nouvel immeuble de bureaux où nous aurons au rez-de-chaussée un espace de rencontre dynamique et ouvert, conçu pour encourager les contacts entre différents départements. Je suis un fervent défenseur du travail sur site. Le télétravail a certainement aussi des avantages, mais dans un cadre créatif et innovant comme le nôtre, les contacts personnels non structurés sont très importants. »
Rester modeste
Interrogé sur ses rêves d’avenir, Van den hove souligne que leur principale motivation est de renforcer leur impact sur la société, tant locale que mondiale. L’Imec est une organisation sans but lucratif, et ne recherche donc pas « la croissance pour la croissance ».
« Nous devons toujours rester à la pointe. Nous voulons encore augmenter la valeur que nous offrons à nos partenaires et à la société. Ce n’est pas parce qu’on a réussi ces dix dernières années que le succès est garanti dans les dix prochaines années. Nous devons rester humbles. Nous n’avons atteint cette position que grâce au soutien de nos nombreux partenaires et des autorités.
La relation de confiance que nous avons établie avec eux est vitale. Notre crédibilité est le fruit de longues années de travail, mais elle peut disparaître très rapidement. L’Imec doit sans cesse se réinventer, car le monde évolue très rapidement. »