Michel Saint-Mard: "Travailler doit être un plaisir"

«Choisissez un travail qui vous plait», lance Michel Saint-Mard (54 ans), CEO de TaiPro Engineering. Il y a 15 ans, il fondait son entreprise, spécialisée dans la conception et le packaging (assemblage) de puces électroniques pour des marchés de niche.

Mots clés: #MEMS, #puces, #semi-conducteur, #TaiPro

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( Photo: LDS )

ENGINEERINGNET.BE - En 2019, il crée Sensorade et commercialise des capteurs de pression utilisant la technologie MEMS prêts à l’emploi. Depuis 2020, les deux entreprises sont hébergées dans le zoning industriel de Lambermont à Verviers. 

Le packaging d’une puce électronique protège le semi-conducteur et veille à la connexion entre les composants internes, le circuit intégré et le substrat. Au départ, TaiPro se consacrait majoritairement à la conception et au développement. Aujourd’hui, l’entreprise produit des solutions (micro)électroniques pour des marchés particuliers: la F1, le sport automobile, la pharmacie et le secteur médical, l’aéronautique et  l’aérospatial, la défense,…

Il y a quatre ans, TaiPro - alors basée au WSL - assemblait environ 20.000 pièces par an, un chiffre porté à 40.000 aujourd’hui. « Nos produits sont plus proches du marché qu’auparavant. Nous nous positionnons sur des segments plus rapidement accessibles comme la radiopharmacie, avec des détecteurs pour certaines longueurs d’ondes et des machines d’analyse notamment pour les hôpitaux. En termes de production, nous visons des produits/des productions plus récurrents pour les clients»

Un chercheur devient ingénieur d’études, puis entrepreneur 
Dès son plus jeune âge, Michel Saint-Mard se passionne pour la technique et le domaine aérospatial. Après des études d’ingénieur en électromécanique option aéronautique et aérospatial à l’Université de Liège, il rejoint l’Ecole Royale Militaire (ERM) en 1995. Chercheur, il calcule les trajectoires de lanceurs exotiques qui capturent l’oxygène en vol pour le réutiliser comme oxydant. « La technologie LOX ouvre des fenêtres de lancement plus larges que les quelques minutes pendant lesquelles on peut voler avec du carburant embarqué », explique-t-il. Il écrit un logiciel pour calculer la trajectoire la plus efficiente. « Nous avons aussi étudié les scramjets supersoniques mais nous nous sommes finalement tenus aux ramjets (statoréacteurs). »

En 1999, il rejoint GD Tech pour travailler sur le sitede Techspace Aero, aujourd’hui Safran, l’équipementier aéronautique, où il suit des projets de l’ESA, notamment le Future European Space Transportation Investigation Programme (FESTIP). Plus tard, il dirige la production des vannes cryogéniques pour les futurs moteurs-fusées. Pour Vinci, le moteur initialement prévu pour le troisième étage d’Ariane V, qui réalise finalement son premier vol sur Ariane 6… en juillet 2024. « Tout cela m’a semblé bien trop long, il y avait trop d’inertie », commente le project manager qui, au bout de sept ans, démissionne et retourne à l’université en 2005. « On m’a dit que j’étais fou de quitter un tel travail. »  
À l’Université de Liège, on lui propose de démarrer un laboratoire en microsystèmes – Microsys - et de lancer une entreprise commerciale issue de la spin-off. « En février 2009, TaiPro Engineering était née. » L’entreprise est fondée avec Fabrice Haudry. Tous deux détiennent 52% du capital après un management buy out en 2017 du partenaire d’investissement Meusinvest. Le reste est détenu par l’Université de Liège (30%) et des collaborateurs.

«L’argent est une chose mais un partenariat avec l’investisseur peut aller plus loin et être plus intéressant,» Michel Saint-Mard

Travail de niche et industrialisation 
« L’idée était de proposer de l’électronique autrement », explique Michel Saint-Mard. « Les grands fabricants de solutions électroniques font le choix de volumes. Les nouvelles entreprises se tournent vers des marchés de niche. » TaiPro conçoit des microsystèmes et assemble des puces électroniques, intègre les composants dans un « package ».  
« Cela nous donne de la flexibilité et une capacité d’innovation. » Au début, la startup réalisait 90% de son chiffre d’affaires dans la conception et le développement, le reste dans l’assemblage. Le chiffre d’affaires pour les activités packaging est réalisé en Flandre, notamment à l’imec, et en France. « Nous faisons partie d’un réseau d’entreprises comme STMicroelectronics et du centre de recherche Minatec à Grenoble. » L’activité en France n’a vraiment décollé qu’après le recrutement d’un Français et l’ouverture d’un bureau sur place. Le dernier tiers de l’activité se trouve en Allemagne. « Nous y avons des clients et nous aimerions être physiquement présents. La France est un marché fermé, l’Allemagne l’est encore plus. Pour s’implanter, il faut d’abord trouver des fournisseurs allemands … » TaiPro participe également à cinq projets de recherche ‘smart’ européens sur la radio fréquence.  
« Nous réalisons des prototypes mais aussi des séries de manière très spécifique. Le support n’a pas tellement  
d’importance. Nous pouvons par exemple conditionner des puces GaN.  Il y a une demande, mais pas régulière. »  
Au fil du temps, des investissements sont consentis dans des machines pour augmenter la production. « Ce qui nous oblige à trouver davantage de clients. Nous nous focalisons sur la production. TaiPro emploie 12 personnes. En 2025, nous engagerons deux personnes supplémentaires et construirons une nouvelle salle blanche. La salle blanche actuelle est ISO 7 et mesure 60 m². La nouvelle s’étendra sur 30 à 40 m² et sera ISO 5 pour doubler la production d’ici deux à trois ans. » Elle passera de 40.000 à 80.000 pièces par an. En route vers l’industrialisation.

Sensorade 
En 2019, TaiPro lance la filiale Sensorade dédiée aux capteurs de pression ultra-miniaturisés. « Nous avions les connaissances utiles pour construire un tel capteur de pression », poursuit Michel  
Saint-Mard. TaiPro se tourne vers la F1 et développe des capteurs de pression. « Nous nous sommes rendus compte que nous étions plus avancés que nous le pensions. Nous pouvions proposer un produit sans trop d’efforts. » La voie était ouverte. Le seul autre fournisseur au monde possédait des brevets sur les MEMS … « Les MEMS sont achetés car il y a déjà des fabricants. Notre expertise réside dans le packaging et le test de capteurs. Nous pouvons commercialiser rapidement les produits. » Sensorade peut les fournir en quelques semaines au lieu de mois. Un réseau de distribution est déployé dans le monde entier : Etats-Unis, France, Allemagne, Royaume-Uni, Inde, Chine, Corée,  … Contrairement à TaiPro qui se consacre aux services, Sensorade vend des produits à des clients qui effectuent des tests en soufflerie pour la F1 et le sport moto, l’aéronautique et l’aérospatial, à des fabricants de balles en caoutchouc,  … 
Chaque marché est différent et il faut bien comprendre ce que veut le client.  
« Les clients des divers marchés ont une autre idée de ce qu’est précisément un capteur de pression. S’agit-il d’une puce nue ou pas ? Bien souvent, c’est une question d’intégration. ‘Simple is beautiful’… mais c’est différent pour chaque client. » 
Cette année, Sensorade a fait une présentation à TurboExpo à Londres. « Nous voulons montrer que nous sommes là. » Quelle est l’ampleur du marché ? Michel Saint-Mard compte une centaine de capteurs par pays. « A terme, nous pensons pouvoir fabriquer 2.000 à 3.000 capteurs de pression par an. Cela nous prendra encore 3 à 4 ans. » Pour Sensorade, le défi consiste à ouvrir le portefeuille. « Les ventes augmenteront. Nous constatons que l’ensemble de la chaîne est important. Il manque toujours un maillon quelque part. Nous voulons combler les lacunes. » Parfois, il faut calibrer les capteurs. « Nous souhaitons fournir des outils, des cartes électroniques qui délivrent les données du capteur, bref, du prêt à l’emploi.Pas vraiment de pression sur les prix 
TaiPro participe à des projets clients. L’entreprise a travaillé sur un photodétecteur mesurant le rayonnement gamma. « Nous nous focalisons sur les spécifications du client. Chez nous, le prix n’est pas déterminant. Nous fixons un prix pour une mission que nous pouvons développer. Ce qui compte, c’est la valeur pour le client. Nous ne sommes pas vraiment soumis à une pression sur les prix. Il y a des indépendants qui réalisent des développements en design électronique. Il y a les ‘packaging houses’ qui peuvent être un concurrent en Europe. Mais c’est totalement différent et intéresse d’autres clients. » Pour Sensorade, la valeur de marché est déterminante.

«Notre expertise réside dans le packaging et le test de capteurs. Nous pouvons commercialiser rapidement les produits,» Michel Saint-Mard

Défis 
TaiPro a toujours été rentable, glisse Michel Saint-Mard. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de défis. Le packaging de produits électroniques n’est pas assez connu dans le monde. Cela demande de ‘l’enseignement’. « Il faut parler aux gens et cela prend du temps. Le contact a-t-il lieu au bon moment ? Le client souhaite-t-il ou voudra-t-il changer de fournisseur ? »  
« Il faut investir. » Dans une nouvelle salle blanche, par exemple. Faut-il trouver des investisseurs? « L’argent est une chose, mais un partenariat avec l’investisseur peut aller plus loin et être plus intéressant. » La pandémie a ouvert les yeux et clairement montré qu’il faut des partenariats forts et locaux. « Nous nous sommes bien développés pendant le Covid. Bien que rien ne soit vraiment facile dans une entreprise, il n’a pas été si difficile de constituer un stock. Avec le Covid, tout le monde était plus motivé, plus proactif … Avec un bon partenaire, on peut devenir plus fort. »  
Un autre défi consiste à développer davantage l’activité et la technologie.  
« Nous avons des séries plus importantes mais aussi des produits et des clients plus récurrents. » Outre les assemblages, des nouveaux produits sont nécessaires. Les niches technologiques sont à la fois rentables et fragiles. Il faut être capable de mettre en place des partenariats technologiques. » 
En 2020, Michel Saint-Mard a travaillé avec l’entreprise française Smart Equipment Technology (SET) qui construit des machines pour réaliser de l’assemblage ultra pécis, la connexionde puce retournée (FLIP CHIP) et les lignes d’assemblage. La salle blanche de TaiPro abritait une machine de démonstration de SET pour l’assemblage de composants électroniques selon une précision de 3 micromètres. « SET nous a prêté l’équipement et nous avons fait des démonstrations pour des clients potentiels. Nous avons réalisé des petites productions pour SET France, et généré de nouvelles activités. »

Participatif 
La pandémie a eu d’autres effets, poursuit Michel Saint-Mard qui la qualifie ‘d’opportunité de réflexion’. Elle a fait prendre conscience aux gens qu’ils doivent faire ce qu’ils aiment, même au travail. Dans un local, derrière l’entrepôt, se trouvent des appareils de fitness et un divan. Chaque semaine, un entraîneur y dispense une heure d’exercices musculaires, et les collaborateurs peuvent s’y rendre en semaine. « Faites ce qui est bon pour vous et le groupe. Les personnes portées par un projet ont une autre attitude, participative. »  
Depuis début août, les collaborateurs peuvent consacrer 10% de leur temps à leur projet d’amélioration personnelle. Toutes les propositions sont les bienvenues. Ce ne doit pas être un projet technologique ou d’ingénierie. » Deux projets sont en cours. Le premier rationalise les versions des projets et de la documentation de l’entreprise, le second est un projet purement comptable.

Michel Saint-Mard de TaiPro veut doubler la production de puces électroniques d’ici deux à trois ans et passer de 40.000 à 80.000 pièces par an. En route vers l’industrialisation. (Photo: LDS)

Innovation économique 
« Ce qui m’a peut-être manqué dans le cursus universitaire, c’est apprendre à gérer un projet et comment - en tant qu’ingénieur - se focaliser sur la demande et non sur ce qui est intéressant mais juste à côté », poursuit Michel Saint-Mard. L’équipe technique qui consacre trop de temps à un projet met en péril la rentabilité de de toute la société. Pour un entrepreneur, c’est difficile à gérer. Les ingénieurs, pendant leurs études, réalisent aujourd’hui davantage de projets qu’auparavant. Mais ce n’est pas évident d’inclure l’aspect économique. Qu’est-ce que ça coûte d’en faire un peu plus ? Travailler selon ‘l’offre’ demande un effort soutenu. « Pour les produits innovants, ce processus n’est pas assez connu. D’une manière – logicielle ? – ou d’une autre, il faut faciliter les choses. Peut-être qu’un ingénieur devrait d’abord travailler comme indépendant pendant six mois pour comprendre cela. »  
« Soyez orienté client tout en veillant à votre satisfaction et à celle de votre environnement, vos clients, votre équipe. N’oubliez pas que votre fournisseur est parfois aussi important que votre client. »  
A l’avenir, Michel Saint-Mard souhaiterait créer des filiales pour desservir des niches. « Nous n’en dirons pas plus pour le moment. Travailler doit être un plaisir. Le reste est moins important. »