ENGINEERINGNET.BE - Malgré une similitude du nom et des logos respectifs, cette entreprise est leader mondial du marché des coutils de matelas.
Nous avons rencontré cette ‘jeune indépendante’ au Centre d’innovation et de design à Waregem, où elle dirige une équipe de 20 personnes et façonne l’avenir.
Lors de ses études secondaires, Veerle Van Wassenhove appréciait les mathématiques qu’elle combinait avec le volley-ball en équipe nationale. Plus tard, elle hésite entre des études d’ingénieur civil ou d’ingénieur commercial. Elle réussit son examen d’entrée et s’inscrit à la formation d’ingénieur civil à l’UGent.
Après deux ans, elle s’oriente vers les textiles, une formation d’ingénieur à part entière avec énormément d’électrotechnique et de génie mécanique. « J’ai gardé mes options ouvertes et j’ai toujours choisi la filière la plus large. » Elle combine sa dernière année d’ingénieur civil avec sa première année – sur deux – de Master Textile Engineering européen. « J’ai pu suivre simultanément un parcours Erasmus et je me suis retrouvée sur le marché du travail un an plus tôt. »

L’ingénieure en textiles rejoint Bekaert en 2010 après avoir travaillé durant huit ans au prototypage et à la validation de machines et de logiciels au département R&D de Picanol, où elle était la première femme ingénieure. « C’était fantastique ! » Mais au bout d’une carrière plane et horizontale de huit ans, les défis avaient disparu. Percer en tant que femme dans un monde principalement masculin ?
« Lors des premières années chez Picanol, j’avais constaté que les collègues pensaient que je m’intéressais moins aux aspects purement techniques. » Elle parvient à rectifier l’image. « Une blonde portée sur l’intellect » dit-elle en riant. Chez Bekaert, elle est responsable de ses pairs, des collègues masculins, ce qui a également nécessité quelques ajustements. « Mais ils avaient remarqué que je défendais nos dossiers au plus haut niveau et les rangs se sont alors resserrés. »
Opportunités
Quinze ans, ce n’est pas rien. Chez Bekaert, jusqu’en 2017, Veerle passe la moitié de son temps à diriger des innovations de produits et à enregistrer des brevets, notamment pour les câbles d’ascenseur, les câbles d’acier flexibles pour renforcer la maçonnerie, etc.
Fin 2017, elle remet son dernier projet technique puis contribue à façonner la stratégie en dirigeant sept équipes dans divers domaines de recherche. Bekaert était un pilier en R&D. -
« J’ai eu de nombreuses opportunités de percevoir les choses dans une perspective plus large et j’étais responsable de projets globaux. C’était une période passionnante ; j’avais besoin de défis. » Mais fin 2018, les défis s’estompent. « L’importance de la recherche exploratoire a soudainement diminué. Mais pour rester captivé, un ingénieur a besoin de défis. »
La R&D était-elle toujours son truc ? Le doute s’installe. « Peut-être que j’en ai eu assez à l’époque », songe-t-elle, « et je voulais me lancer dans le monde des affaires. » Son champ d’action s’élargit. « J’étais impliquée du ‘devis à l’argent’, de l’offre à l’affaire conclue. Je travaillais avec la finance, des consultants, … Une période excitante, hors de la pure R&D. »
Bekaert prend alors la décision de décentraliser. En 2019, l’organisation est repensée en quatre business units mondiales, y compris la R&D. Qui pour diriger de manière centralisée la R&D restructurée ? « Une sorte de modèle hybride a suivi, et tout ce qui était à court terme, plus proche de l’entreprise ou du client, a été confié à des équipes décentralisées. Je suis devenue responsable des équipes restées centrales, au niveau du groupe, qui travaillaient à plus long terme », précise Veerle Van Wassenhove.
Sur les plus de 500 collaborateurs en R&D, la moitié est affectée aux équipes de développement réparties dans les quatre business units. Les 250 autres restent actifs au niveau du groupe, répartis pratiquement à parts égales entre la Chine et la Belgique (Deerlijk). Il y avait des chercheurs en chimie (composants, revêtements, etc.), en corrosion, des laboratoires mécaniques, les métallurgistes (alliages, éléments), … « En tant que VP Research and Innovation, j’étais responsable du portefeuille central des projets. »

Veerle Van Wassenhove hérite du ‘pilote hall’ à Deerlijk où les processus de Bekaert avaient un jumeau physique : il y avait des machines à l’échelle pour le tréfilage, la fabrication de câbles, une ligne de revêtement pour l’électrodéposition, etc. L’objectif de la ligne pilote était de déterminer si ce qui avait été conçu à l’échelle du laboratoire était réalisable sur le plan physique.
Les projets étaient amenés à maturité puis lancés en production. La structure employait plus de 80 ouvriers. « Mais avec la restructuration de 2019, ce n’était plus possible. Il a fallu restructurer et se focaliser sur le profil d’experts. » La plupart des ingénieurs et des techniciens sont restés mais il a fallu réduire le nombre d’ouvriers. « Cela m’a donné des nuits blanches, tant sur le plan émotionnel que stratégique. » Mais cette décision était nécessaire pour un nouveau départ.
Toujours aussi captivant
C’est alors le début de deux-trois années captivantes. Veerle passe en revue le pipeline de l’innovation à court et à moyen terme. « Nous nous sommes immergés dans les futurs produits vedettes », dit-elle. Des ‘key learning plants’ ont été mises en place, suivies de projets de développement et d’essais pour appliquer les connaissances et l’expertise plus larges, par exemple en matière de corrosion, de modèles d’entreprise de services, etc.
« Nous avons finalement trouvé une bonne méthode de travail entre le corporate et les quatre business units. » Veerle rendait compte au Chief Strategy Officer. Dans la nouvelle organisation, Bekaert n’avait plus de CTO … et cela fonctionnait aussi. « Sans CTO au niveau de la direction, je pouvais toujours me tourner vers des membres du conseil compétents comme Stijn Vanneste et Curd Vandekerckhove. » Toutefois, lors d’un changement ultérieur du CEO, plusieurs personnalités clés du comité de direction sont parties.
« Je me sentais seule et en 2022, j’ai pensé à arrêter. J’étais en haut de l’arbre, mais quand les branches et les ailes sont coupées, on ne bouge plus et on piaille. » Veerle demande alors un budget pour un projet disruptif à moyen terme, mais l’accent était mis sur le court terme. « Je me sentais impuissante. Je ne pouvais plus faire la différence. La satisfaction au travail est importante. J’étais peut-être arrivée au bout de quelque chose chez Bekaert. »
Passionnant jusqu’au dernier jour
Veerle avait déjà un pied hors de l’entreprise quand François Desnél, business unit leader de Steel Wire Solutions, lui demande d’explorer le renouvellement de produits au sein de l’unité et de créer de la distance avec la concurrence. « J’ai travaillé avec lui pendant deux ans pour mettre en place un pipeline d’innovation autour des énergies renouvelables », explique-t-elle.
Steel Wire Solutions est la business unit qui gère notamment la cage métallique en fil de fer des bouchons de champagne, les bras d’essuie-glace pour l’automobile, les tendeurs dans l’agriculture, des câbles de grands diamètres pour la construction et l’énergie, le blindage des câbles électriques, … Veerle apporte de la clarté dans le développement de produit de la business unit.
Steelwire solutions est la force motrice du groupe et Veerle connaissait les processus et les technologies, les produits, les marchés et les experts. Cependant, la pression d’une société cotée en bourse est forte et le rendement de la recherche restreint. « Les dépenses étaient limitées et je ne voyais plus de défi à relever.
J’étais dans une cage dorée mais je n’étais plus heureuse. Je n’avais pas d’autre alternative et je voulais partir. » Elle finalise l’exercice de stratégie puis se penche sur le plan quinquennal que la business unité doit actualiser chaque année. « Et mon départ a été annoncé. » Elle démissionne fin juillet 2024.
Innovation & Technology Manager indépendant
Veerle est immensément reconnaissante de ce parcours de pratiquement 15 ans. Elle s’est donnée six mois pour récupérer et rebondir. « Je me suis trop impliquée. » Mais le monde réel la tire tout autant. En septembre, elle fait son entrée sur le marché en tant que Innovation & Technology Manager indépendante au sein de son entreprise XceLinnk.
Le nom englobe l’innovation et l’interconnexion de l’expertise et des disciplines, de l’excellence et de l’orientation client. Sa mission : aider les organisations à voir ce qu’elles peuvent faire avec leur ‘savoir’ dans l’avenir. « Je recherche des entreprises qui souhaitent mettre une équipe d’experts sur les rails. Je veux engager le dialogue avec les chercheurs. Qu’ont-ils dans leur portefeuille pour innover ? Je veux voir s’ils sont capables de le faire, si le produit est demandé sur le marché, s’il a de la valeur pour le client … »
C’est par hasard qu’elle rencontre Dirk Verly, qu’elle a connu lorsqu’il était Vice-President Human Resources & General Services chez Picanol. Aujourd’hui, il est Executive Vice President & Chief HR Officer chez Bekaert Deslee. Il lui fait part des défis à relever. « Peut-être pourrions-nous organiser une séance de réflexion pour aborder ces questions ? » La graine est plantée.
« Je suis désormais responsable R&D et il y a une vingtaine de collaborateurs au sein du groupe R&D/Innovation. Ici aussi, la configuration est hybride. Dans les trois business units, il y a une équipe R&D pour les petits changements », résume Veerle. « Etre une sorte de gestionnaire de crise en R&D m’attire et me plaît énormément. »
Faire innover un leader mondial du marché
Bekaert Deslee a connu une période captivante. Il y a 25 ans, le fabricant de textiles et de coutils de matelas employait 1.500 personnes à l’usine de production de Waregem. Mais en 2009 l’usine ferme, ne laissant que le siège social et un petit département de développement. Depuis la mi-2015, l’entreprise fait partie du groupe allemand Franz Haniel & Cie.
Le groupe de fusion Bekaert Deslee est formé plus tard, lors de la reprise de DesleeClama (Zonnebeke) par Bekaert Textiles en 2016. Bekaert Deslee est aujourd’hui le leader mondial du marché des coutils de matelas avec 27 sites dans 19 pays, répartis sur tous les continents, et plus de 4.000 collaborateurs. Les plus grands sites de production se trouvent en Turquie, en Roumanie, au Mexique et en Indonésie.
« Je ne voulais pas être qualifiée de ‘consultante’. Un consultant regarde de l’extérieur vers l’intérieur et n’entre pas dans l’histoire, moi bien », poursuit Veerle. « Je ne suis pas une conseillère envers le management. J’apporte une idée, je joins le geste à la parole et je suis coresponsable. » Elle a signé un contrat à plus long terme.
Bekaert Deslee produit les housses en tissus qui recouvrent le matelas et les oreillers, après la confection. « C’est de la haute technologie », assure Veerle. C’est différent de la toile de parachute mais il y a une composante différentielle dans la technologie. » Il s’agit de faire des choix : tisser ou tricoter, et d’ajouter des propriétés : finitions chimiques, antibactériennes, antiacariennes, dispositif haptique, …
“La personnalisation, l’ajout de caractéristiques comme la lavabilité et les fermetures éclair, je n’ose même plus appeler cela de la R&D. En fin de compte, c’est toujours selon le contexte du client. Qu’il s’agisse de la capacité de charge, de l’haptique, du fil et de la trajectoire du fil, … Un tel travail sur mesure n’est pas toujours calculable. « Mais c’est fascinant de voir où l’on peut faire opérer la magie. » Veerle est convaincue qu’une invention n’est jamais le fait d’une personne. « Voilà pourquoi j’aime travailler en équipe. Personne n’y arrive seul. »
Le livre ‘The never normal’ de Peter Hinssen est une lecture obligée pour Veerle. « Le monde est peut-être très complexe mais il ne sera jamais aussi simple qu’aujourd’hui. Il faut s’attendre à ce que la concurrence vienne de partout. Les frontières sectorielles ne sont plus très nettes. Le challenger de demain pourrait être quelqu’un qui n’a rien à voir avec le secteur. Le business développe des nouveaux leaders. »