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Pour éviter les interférences entre les signaux, chaque fréquence dans une zone donnée est généralement attribuée à une technologie/un opérateur. Mais cela crée de l’inefficience : si un opérateur n’est pas temporairement actif sur une fréquence particulière, personne d’autre ne peut l’utiliser. L’avènement de la technologie 5G rend le problème plus aigu.
Les opérateurs mobiles sont-ils en difficulté?
Les opérateurs mobiles seront-ils bientôt à court de bande passante ? Pas nécessairement. Les applications mobiles qui consomment le plus de bande passante sont souvent utilisées à la maison, via le wifi.
C’est cependant susceptible de changer avec la 5G et toute une série d’applications ayant des exigences plus strictes. Pensez aux applications de RA et RV, ou à un stade de football et aux milliers de spectateurs qui veulent se connecter simultanément au réseau de caméras (haute définition) pour zoomer l’action sur le terrain.
Il n’y a pas que la pénurie du spectre. Tout opérateur qui souhaite aujourd’hui diffuser des événements dans et autour d’un stade doit déployer son propre réseau. Celui-ci doit être capable de gérer les pics, même s’il n’est utilisé que sporadiquement.
Tous ces facteurs poussent donc les opérateurs à faire preuve de créativité avec les fréquences disponibles et à mieux collaborer.
Rôle du régulateur: partager ou réaffecter le spectre
Les régulateurs, comme l’IBPT, qui supervisent la répartition et l’exploitation du spectre ont deux options pour faire face à la pénurie de spectre.
Tout d’abord, ils peuvent réaffecter les fréquences. Un bon exemple en Belgique est ce qui s’est passé avec la bande 3400-3800 MHz. À l’origine, cette bande était utilisée pour la télévision analogique, un service largement remplacé ces dernières années par la télévision par câble, internet et le satellite. L’IBPT a donc jugé pertinent de réserver cette fréquence à la 5G.
La seconde approche, le partage du spectre, est plus complexe. L’idée est que plusieurs applications (ou opérateurs) puissent partager une fréquence, tant que l’utilisateur (primaire) à qui cette fréquence est initialement attribuée n’en souffre pas.
Pour partager le spectre efficacement et à plus grande échelle, une coordination automatisée s’impose, et c’est ce que permettent les réseaux radio intelligents collaboratifs (CIRN) qui balayent le spectre en permanence et prennent des décisions intelligentes et autonomes. Pour ce faire, ils utilisent des algorithmes IA avancés qui apprennent à prédire les modèles de transmission des utilisateurs primaires. Une nouvelle page dans l’histoire du partage du spectre.
Spectre partagé, succès partagé?
Les opérateurs peuvent se montrer réticents à partager les fréquences, mais cette approche peut s’avérer payante. Imaginez un centre commercial où trois opérateurs mobiles concurrents n’utilisent jamais la capacité maximale de leur réseau. Ils pourraient collaborer et partager le spectre pour travailler plus efficacement, proposer un service optimal et réaliser des économies. Mais pour coordonner tout cela, il faut un CIRN.
Un CIRN nommé ‘SCATTER’
Des chercheurs d’IDLab – le groupe de recherche de l’imec affilié à l’UGent et à l’Université d’Anvers – ont conçu et validé expérimentalement une architecture CIRN innovante de ce type appelée ‘SCATTER’, qui comprend des radios intégrant une IA avancée et auto-apprenante.
Dans un premier temps, il s’agit de collecter et de partager des données de localisation, des mesures d’interférence et des paramètres de fréquence pour faciliter la collaboration entre les applications/opérateurs. Ensuite, les algorithmes IA apprennent à reconnaître les transmissions existantes et à les prédire avec précision et presque en temps réel. Cette approche semble être très efficace pour éviter les interférences.
L’ingrédient secret de SCATTER: un modèle informatique sur mesure
Une rapidité d’action est indispensable pour identifier les transmissions de télécommunications, comprendre les modèles de transmission et réagir aux changements.
Cependant, des recherches antérieures ont montré que les modèles informatiques existants – même s’ils étaient conçus pour reconnaître et classifier les modèles de signaux radio – sont incapables d’effectuer cette tâche en temps réel (moins d’un seconde). L’équipe SCATTER a donc développé un modèle moins complexe et offrant de meilleures performances.
SCATTER parvient à reconnaître et à prédire les transmissions radio en moins de 300 ms selon une précision de plus de 95%. Les opérateurs qui utilisent la même fréquence pourraient donc fournir à leurs clients une bande passante suffisante et sans conflit à 95%, ce qui constitue un excellent point de départ.

Étape suivante : la standardisation
Que sera l’avenir de SCATTER et des autres CIRN basés sur l’IA? Nous constatons aujourd’hui que l’organisation 3GPP a déjà commencé à intégrer des composants et des fonctionnalités radio intelligentes dans les prochaines versions. Cela n’a rien de surprenant car intégrer davantage d’intelligence dans le réseau – notamment sur base des CIRN basés sur l’IA – est finalement dans l’intérêt des opérateurs mobiles. Une nouvelle page de l’histoire du partage du spectre est donc en train de s’écrire !
Miguel Camelo est chercheur chez IDLab, le groupe de recherche de l’imec à l’UGent et l’Université d’Anvers. Ses recherches portent sur le développement de l’intelligence artificielle appliquée dans les réseaux de communication.
Encadré:
Pourquoi les opérateurs devraient-ils se limiter au partage du spectre ?
Si les opérateurs disposent d’outils pour partager efficacement le spectre, le déploiement des prochaines générations de réseaux de mobiles nécessitera des investissements lourds. Dans les villes animées, comptant des milliers d’utilisateurs payants, ce business case est positif à terme, mais dans les régions rurales (le même investissement pour une fraction du nombre d’utilisateurs), le modèle de retour sur investissement est sous pression.
Dans le cadre du projet imec.icon ‘5GECO’ récemment achevé, des recherches ont été menées pour déterminer si d’autres actifs du réseau peuvent être partagés intelligemment, allant des mâts d’antenne et des stations de base proches des utilisateurs aux éléments plus profonds du réseau.
Miguel Camelo: « En partageant leur infrastructure, les opérateurs peuvent trouver un meilleur équilibre entre les coûts et les revenus, les ressources étant utilisées plus efficacement. Le partage de réseau peut se faire à différents niveaux. Avec le projet ‘5GECO’, nous nous sommes focalisés sur deux éléments: une première approche où un réseau radio et de transport est utilisé par plusieurs fournisseurs et un second cas où un hôte dit neutre est central. Cet acteur neutre est responsable du déploiement, de l’exploitation et de la maintenance du (de certaines parties) réseau, et le met à la disposition – moyennant paiement – des opérateurs mobiles d’une région donnée. »
Il va sans dire que gérer un tel système – en veillant à ce que chaque opérateur reçoive sa juste part – est un exercice complexe. Cela nécessite une intelligence supplémentaire dans l’ensemble du réseau afin que les différents composants puissent échanger des informations entre eux en continu. Des technologies comme SCATTER seront donc fondamentales pour réussir la mise pratique du principe de partage du réseau.
Miguel Camelo: « Nous sommes enthousiastes à l’idée d’avoir pu démontrer avec le projet ‘5GECO’ – et nos partenaires Accelleran, Citymesh et Nokia Bell Labs – que le partage de réseau, sous ses différentes formes, est une solution viable. Le fait de prendre l’initiative dans ce domaine en Flandre est unique. C’est un témoignage de l’expertise ancrée ici, qui fournit à l’écosystème local une grande quantité de matériel et de perspectives sur lesquelles on peut s’appuyer. »
Cependant, et malgré les résultats positifs du projet, le partage de réseau n’est pas pour demain. D’autres questions sont soulevées.
« La nécessité de modèles économiques adaptés en est une. Sans une analyse de rentabilité claire (qui paie quoi ?), aucune technologie ne pourra s’imposer. L’absence de cadre réglementaire constitue un obstacle à l’heure actuelle : avec le projet 5GECO, nous savons ce qui est techniquement possible en matière de partage de réseau, mais le régulateur doit maintenant réfléchir à la manière d’implémenter tout cela dans la pratique. Ce n’est qu’alors que nous pourrons combler le fossé entre la recherche et la pratique », conclut-il.