Petits réacteurs nucléaires modulaires: économiquement ‘d'échelle’ en ‘série’

Malgré les vents contraires de milieux politiques et industriels, il semble que les plus jeunes réacteurs nucléaires, Tihange 3 et Doel 4, seront arrêtés en 2025. Pour un production alternatif les petits réacteurs nucléaires modulaires sont considérés.

Mots clés: #nucléaire, #réacteur, #énergie

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( Photo: industryandtravel - 123RF )

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ENGINEERINGNET.BE - Le plus gros problème actuel des énergies renouvelables est la nature erratique des sources d'énergie, telles que l'irradiation solaire et l'éolien.

Il y a bien de plus en plus pléthore d'installation de panneaux solaires et d'éoliennes, mais les possibilités de stockage de l'électricité produite restent limitées et surtout coûteuses. Introduire plus de flexibilité dans le rythme de production des réacteurs nucléaires actuels est une des pistes de réflexion, au même titre que construire ou réactiver des centrales au gaz naturel.

Mais en France, le président Emmanuel Macron s'était déjà prononcé en octobre 2021 en faveur des ‘small nuclear reactors’ (SMR). Dans son plan France 2030, il alloue un milliard d'euros à leur développement. C'est un signal important, car la France est le pays qui détient le plus grand quota (75%) d'énergie nucléaire dans sa production d'énergie totale.

Actuellement, la Belgique est également fortement dépendante de l'énergie nucléaire. Comparée à la France, elle ne dispose que d'un nombre limité de centrales hydroélectriques, mais elle a réussi à fermer sa dernière centrale à charbon (Genk-Langerlo) en 2016. De nombreux autres pays européens, dont l'Allemagne, sont encore dépendants du charbon et/ou de la lignite très polluants.

Des réacteurs à refroidissement à l'eau   
« Il existe différents types de SMR », explique Peter Baeten, professeur de technologie des réacteurs nucléaires à la VUB et à l'Université de Hasselt. Il est également directeur général adjoint du Centre d’études de l’Énergie Nucléaire (SCK CEN) à Mol et vice-président de la plateforme européenne de recherche nucléaire SNETP. « Les réacteurs avec de l'eau comme réfrigérant sont soutenus par une technologie mature et l'expérience de plus de 400 grands réacteurs nucléaires dans le monde.

Plusieurs de ces SMR sont en construction ou sous licence dans le monde, notamment en Argentine, aux États-Unis. et en Corée du Sud. Et en Russie, il y a le réacteur de 35 MW sur le navire arctique Akademik Lomonosov. » Baeten considère 2030 comme l'horizon temporel du déploiement de tels réacteurs. « D'ici là, il y aura suffisamment d'installations opérationnelles pour servir d'exemples pratiques. Les É.-U. sont un marché potentiel d'envergure. Le régulateur américain NRC y délivre un certificat de conception. Ce certificat est immédiatement valable dans l'ensemble des É.-U. Contrairement aux É.-U., chaque pays européen est individuellement responsable de ses procédures de licence. Cela complexifie un déploiement rapide. »

Nouveaux réfrigérants   
« Un deuxième type de réacteur utilise un caloporteur différent de l'eau, comme du plomb liquide, du sodium liquide ou du sel fondu. Ces technologies n'ont pas le même niveau de maturité que l'eau: des recherches supplémentaires sur ces agents réfrigérants innovants sont donc encore nécessaires. Nous étudions par exemple toujours l'influence éventuelle de la corrosion de ces fluides caloporteurs sur les parois métalliques des réacteurs. Ils sont prometteurs, car grâce à de tels réfrigérants, nettement moins d’éléments sont générés à durée de vie nettement réduite et hautement radiotoxiques - les soi-disant actinides inférieurs dans les déchets hautement radioactifs - que dans les réacteurs refroidis à l'eau. » Baeten s'attend à ce que les premiers réacteurs de ce type ne soient opérationnels qu'en 2035.

Le centre de recherche nucléaire SCK CEN étudie, entre autres, l'utilisation de l'eutectique Pb-Bi comme fluide caloporteur. (Photo KM)

Les gros réacteurs trop chers   
Plus encore que le soutien social limité, le coût élevé est un facteur inhibiteur pour la construction de nouvelles grandes centrales nucléaires. La Finlande construit depuis 2005 Olkiluoto-3, un puissant réacteur nucléaire d'une capacité de 1.600 MW. Ce projet a déjà été fortement retardé. Ce réacteur devrait couvrir à terme 15% des besoins énergétique finlandais. Toujours en France (Flamanville) et au RU (Hinkley Point C), la construction planifiée de centrales électriques à gros réacteurs a déjà subi des retards importants.

Les « SMR peuvent contourner ce problème », pense Baeten. « Il faut interpréter ‘modulaire’ comme l'utilisation de petits modules en série, d'une capacité de 50 à 300 MW électrique chaque par exemple. Les compagnies de distribution d'énergie peuvent alors commencer avec un seul réacteur pour progressivement passer à une plus grande série. Cela nécessite beaucoup moins de capital de base et les bénéfices entre-temps générés par les premiers modules peuvent être utilisés pour les levées de fonds ultérieures. »

'Economy of series'   
« Les projections estiment que l'Europe dispose d'espaces pour une vingtaine de SMR d'une capacité électrique de 150 MW    
d'ici 2035. Là où les centrales nucléaires existantes ont été construites sur la base d'une ‘economy of scale’, le SMR peut être construit selon une ‘economy of series’. Les réacteurs existants ont de nombreuses caractéristiques individuelles. Leur assemblage a été grandement réalisé sur le site même. Les SMR sont construits avec le plus possible de modules ex-usine prêts à l'emploi : de cette manière, ces lignes de production peuvent être standardisées et donc opérer à moindre coût. »

Ce raisonnement s'applique bien entendu également à la construction des réacteurs. « J'estime que l'érection d'une installation de 300 MW nécessitera un investissement de l'ordre d'1,5 milliard d'euros. C'est jouable sur un marché privé occidental. Lorsque de telles installations sont réalisées en série, le prix peut même baisser de 20%. » D'une puissance de 400 MW chacun, Doel 1 et 2 sont les plus petits réacteurs nucléaires existants en Belgique. Tihange 3, le plus grand, a une puissance de 1.046 MW.

Les spécifications les plus courantes de SMR stipulent une limite supérieure de 300 MW de puissance électrique. « À plus long terme, nous envisageons un SMR d'environ 200 MW », estime le député flamand Andries Gryffroy (N-VA). « Ils peuvent parfaitement être implantés sur les sites nucléaires actuels, qui seront en partie déclassés dans un avenir proche. Des projets pilotes dans ce domaine sont déjà en cours au Canada. »

Pologne   
La Pologne cible également fortement les SMR. Grzegorz Wrochna du Centre national de recherche nucléaire polonais et actuellement membre du gouvernement polonais considère les petits réacteurs refroidis au gaz d'une puissance d'environ 165 MW comme le cœur à la fois des installations électriques et celles productrices de chaleur. Leur flexibilité réside dans le fait qu'elles dégagent principalement de la chaleur et produisent exclusivement de l'électricité en cas de demande suffisante.

Cela permettrait à la Pologne de réduire sa consommation problématique de charbon très polluant. Wrochna considère un système de stockage de chaleur local à proximité du réacteur comme un moyen peu coûteux d'absorber les fluctuations de la demande d'énergie sur une période de 24 heures. « Il existe un vaste marché pour de tels réacteurs de cogénération », dit-il. « Une puissance de production combinée d'environ 6.500 MW est installée sur les treize plus grands sites industriels chimiques polonais. 

Aujourd'hui, cette puissance est produite avec du charbon ou du gaz. » Il tient compte du fait que les coûts pour les émissions de CO2 augmenteront à l'avenir, car les gouvernements les taxeront de plus en plus. Wrochna pense qu'il devrait y avoir une distance physique suffisante et même une barrière entre réacteur et entreprise chimique. « 600 m à 1 km suffisent. De cette manière, il n'y a aucune d'interférence entre le producteur et le consommateur d'énergie. La barrière peut être un talus ou une colline.

La plupart des gaz chimiques sont plus lourds que l'air. Une butte peut les arrêter en cas d'incidents à l'usine. » Selon la société néerlandaise Energeia, la société énergétique polonaise ZE Pak a déjà des plans concrets pour la construction de quatre à six réacteurs à la capacité combinée de plus de 1.000 MW. La société minière KGHM souhaiterait commander quatre à douze réacteurs de 77 MW, dont le premier devrait être opérationnel d'ici 2030.

Trop de chaleur ?   
Ronnie Belmans, professeur émérite à la KU Leuven et conseiller au centre de recherche Energyville, est réservé. « De tels réacteurs ont un rendement de 30%, donc pour 200 MW d'électricité, l'on produit 400 MW de chaleur en continu. Je ne saurais pas quoi en faire dans vingt ans. D'ici là, presque toutes les maisons seront bien isolées.

De plus, la plupart des entreprises chimiques produisent elles-mêmes de la chaleur résiduelle. » Il souligne également l'acceptabilité sociale : « Comme la chaleur ne peut pas être transportée trop loin en raison des inévitables pertes, ces centrales doivent être à proximité des consommateurs. » En plus de la production d'électricité et de chaleur, Baeten envisage également la possibilité que certains types de SMR puissent être utilisés pour la production d'hydrogène. »

Expertise   
« Je ne m'attends pas à ce que l'exploitation et la maintenance des réacteurs SMR refroidis à l'eau nécessitent des compétences essentielles autres que pour celles des réacteurs actuels. La fréquence d'entretien pourrait être réduite. Lors de l'utilisation de réacteurs avec d'autres réfrigérants, nous devrons importer l'expertise nécessaire là où elle se trouve et fournir la formation nécessaire. » Aujourd'hui, les connaissances sont élaborées à Mol sur un alliage eutectique de plomb-bismuth liquide comme réfrigérant.

Lignes aériennes à haute tension non démantelées   
Le réseau belge actuel de lignes aériennes à haute tension s'appuie fortement sur les principaux centres de production, les centrales nucléaires de Doel et Tihange. Une production d'électricité plus décentralisée à l'avenir peut nécessiter la construction de lignes supplémentaires ailleurs. Cela ne signifie pourtant pas que les câbles issus des sites nucléaires actuels seront partiellement démantelés. « Nous continuerons d'avoir besoin de toutes les infrastructures existantes », a déclaré Elia, le gestionnaire de réseau de transport d'électricité belge.