Comment lire l’activité cérébrale avec 10.000 capteurs

Les signaux qui commandent nos mouvements sont enfouis dans un enchevêtrement de plusieurs milliards de cellules cérébrales. Pour les étudier, il faut avoir les bons instruments. La technologie avancée des puces électroniques est la solution.

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( Photo: imec )

ENGINEERINGNET.BE - Que pensez-vous d’un superordinateur mobile comptant 86 milliards de commutateurs assez intelligents pour construire  
une fusée ? Un modèle qui pèse 1,5 kg, consomme à peine 20 W et qui a la consistance d’un pudding?

Notre cerveau est une merveille d’ingénierie biologique. Hélas, il n’existe pas de plan directeur. Il n’est pas non plus possible de voir les microcircuits en action car le cerveau est protégé dans la boîte crânienne. Les nouvelles technologies qui mesurent l’activité cérébrale nous rapproche un peu plus du décryptage du cerveau mais elles ont leurs limites.

Les neurosondes, des implants cérébraux en forme d’aiguille, enregistrent l’activité neuronale. (Photo imec)

Les électrodes ou capteurs ont peu de résolution et ne détectent que la somme de modèles d’activité car les os du crâne et la peau font obstruction. Et l’IRM fonctionnelle ne peut suivre la vitesse des signaux dans le réseau. Pour capturer les interactions entre les neurones, il faut se trouver dans la zone d’où proviennent les signaux: le cerveau.

Booster les neurosciences 
Il faut donc un implant qui puisse aller en profondeur, mais qui soit suffisamment étroit pour ne pas blesser les tissus fragiles, et robuste pour enregistrer les signaux dans le corps durant plusieurs semaines voire des mois. Des chercheurs actifs en Belgique, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Portugal se sont unis pour relever ce défi.

L’objectif est de capturer chaque signal de chaque neurone dans un circuit cérébral local. Cette riche source d’information permettrait d’accélérer la compréhension du fonctionnement du cerveau ou des maladies du cerveau. Les neurosondes sont l’une des technologies courantes : les implants en forme d’aiguilles et les capteurs (électrodes) capturent les petits pics électriques des neurones. Depuis la révolution de la microélectronique dans la seconde moitié du siècle dernier, les composants ont été réduits en taille et le nombre de capteurs a doublé.

Deux sondes Neuropixels 2.0 peuvent être combinées sur 1 carte d’interface pour donner accès à 10.000 électrodes. (Photo imec)

Les meilleures sondes pouvaient enregistrer simultanément l’activité de 100 neurones dans les couches superficielles et 10 à 15 dans les couches plus profondes. Le consortium international a réussi à améliorer ces chiffres d’un ordre de grandeur. La nouvelle sonde, qui donne accès à 1.000 électrodes, a été présentée en 2017 dans la fameuse revue Nature. En 2021, une publication a suivi dans Science suite au lancement de la seconde version comptant pas moins de 10.000 électrodes: Neuropixels 2.0 est aujourd’hui la crème de la crème dans la recherche neuroscientifique.

10.000 électrodes pour enregistrer l’activité cérébrale 
La neurosonde comprend une partie implantable (la tige en forme d’aiguille) avec un certain nombre d’électrodes et une partie non implantable (la base). La seconde génération répartit plus de 5.000 électrodes sur quatre tiges ultrafines en forme d’aiguilles (largeur et épaisseur par tige : 70 x 24 µm2) et atteint plusieurs centaines de neurones simultanément.

Ensemble, les quatre tiges peuvent enregistrer l’activité cérébrale dans un plan de 1 x 10 mm perpendiculaire à la surface du cerveau. La version 2.0 a également réduit la carte d’interface qui contrôle les implants et transmet les données numériques (largeur et longueur de la carte d’interface: 10 x 14,3 mm2). Le système est compact et léger, la sonde pèse un peu plus de 1 g et une carte d’interface peut supporter deux sondes ou plus de 10.000 électrodes d’enregistrement. La base et la tige de la sonde sont réalisées en une pièce via le procédé CMOS aluminium silicium sur isolant de 130 nm. 

La première génération Neuropixels (en haut) et la seconde (en dessous). La dernière génération est plus compacte et comprend cinq fois plus d’électrodes. (Photo imec)
Les composants de la sonde Neuropixels. (Photo imec)

La base (8,67 x 2,2 mm) renferme l’électronique pour traiter notamment les signaux capturés par les électrodes. Les signaux sont ensuite transmis à la carte d’interface via un câble flexible d’une longueur de 4 cm, qui établit une connexion avec la plateforme d’instrumentation haut débit (carte PXIe) et finalement l’ordinateur.

Problème de câblage résolu  
Le défi a consisté à connecter chacune des 1.280 électrodes par tige à l’ordinateur tout en gardant la partie implantable aussi étroite que possible pour éviter d’endommager les neurones. Les sondes passives ne peuvent réaliser cela car elles nécessiteraient un câble par électrode. Pour relever le défi du câblage, Neuropixels applique donc une architecture ‘active’ où l’électronique est intégrée à la sonde et permet la commutation des électrodes. 

Dès lors, des signaux de diverses électrodes peuvent voyager le long du même fil. Neuropixels 2.0 a donc 384 interconnexions pour les 1.280 électrodes d’une tige. Chaque électrode de 12 x 12 µm2 possède un commutateur. Cela permet aux scientifiques de sélectionner un ensemble de 384 électrodes devant être activées simultanément. Les commutateurs peuvent être réinitialisés en moins d’une seconde.

Comme on peut sélectionner une combinaison de pixels de manière pratiquement aléatoire, il est possible d’enregistrer des signaux neuronaux de plusieurs zones du cerveau simultanément.

Un système avancé et miniaturisé 
Comme les signaux des neurones sont petits et sensibles au bruit, il faut les amplifier et les numériser. Au lieu de faire cela sur l’ordinateur et de risquer une perte de signal via les câbles, les chercheurs ont opté pour un circuit de lecture optimisé sur la sonde, proche de la source du signal.

Il en résulte une meilleure qualité des signaux neuronaux. Le circuit de lecture à la base comprend un amplificateur qui couvre toute la bande de fréquence et un ADC haute résolution 12 bits adapté à la plage dynamique des signaux d’entrée.

La forme rectangulaire de la base et la tige en forme d’aiguille de Neuropixels sont réalisées en une pièce et abritent l’électronique. (Photo imec)

Enfin, un bloc de gestion de l’alimentation est intégré à la base pour générer les tensions d’alimentation et de référence. L’électronique de base consomme peu de courant (36,5 mW) afin de limiter l’échauffement du tissu cérébral.  

Avantages et défis de CMOS 
La clé du développement de cette neurosonde avancée est l’utilisation de la dernière technologie CMOS-MEMS. Mais l’électronique compatible CMOS est souvent rigide alors que la cerveau a la consistance d’un pudding. Comment concevoir des tiges de sonde qui restent droites lors de l’implantation, mais suffisamment souples pour rester intactes durant plusieurs mois dans un cerveau en mouvement sans endommager les cellules cérébrales ?

Les options disponibles (or ou platine pour les électrodes et un polymère organométallique pour les tiges) ne sont pas compatibles avec la fabrication CMOS. Finalement, le consortium est parvenu à une forme de nitrure de titane. Après de nombreuses recherches sur les matériaux, les concepteurs ont réussi à maîtriser les contraintes internes, créées lors de la fabrication de tiges en silicium et des électrodes en nitrure de titane, de sorte que les tiges restent pratiquement droites.  

Comment suivre les neurones dans le temps ? 
La différence dans l’élasticité du cerveau et les tiges compatibles CMOS ont présenté une autre difficulté. Après des mois d’activité, une neurosonde peut se déplacer jusqu’à 500 µm dans le cerveau. Comment suivre les neurones individuels si les sondes se déplacent constamment dans le cerveau en mouvement ? 

Gros plan de la tige en silicium, recouverte d’électrodes en nitrure de titane. Neuropixels utilise une nouvelle forme de nitrure de titane qui est compatible avec la fabrication CMOS et le cerveau. (Photo imec)

C’est comme si on essayait de filmer quelqu’un avec une caméra instable. On pourrait stabiliser l’image en suivant les mouvements de la personne. Selon ce principe, les chercheurs de Neuropixels ont développé un logiciel de stabilisation pour suivre les neurones en mouvement en fonction de leur comportement électrique.

Le logiciel de stabilisation applique automatiquement des correctifs lorsque les neurones se déplacent sur une ou quatre tiges. Neuropixels 2.0 peut donc collecter en continu des données du même neurone pendant plus de six mois.

Vers la génération 3.0 
La prochaine génération, Neuropixels 3.0, est en développement et en bonne voie pour un lancement vers 2025. Dans cette version, les chercheurs veulent à nouveau augmenter le nombre d’électrodes et permettre l’enregistrement de l’activité de sans doute 50.000 à 100.000 neurones. L’objectif est de tripler ou de quadrupler la largeur de brande, tout en réduisant la base d’un facteur deux.

Des chercheurs actifs dans plus de 650 laboratoires dans le monde utilisent Neuropixels et une communauté open source florissante s’est avancée pour développer une application et le logiciel. Cela a également permis la réalisation de plusieurs projets fascinants.

L’Allen Institute for Brain Science à Seattle a récemment utilisé Neuropixels pour concevoir une base de données de l’activité de 100.000 neurones impliqués dans la perception visuelle. Un groupe à la Stanford University a utilisé les implants pour cartographier la manière dont la perception de la soif se manifeste dans le cerveau. Entretemps, les premiers tests fructueux de Neuropixels dans le cerveau humain ont eu lieu.

Les neurosondes pourraient être utilisées pour mieux positionner les stimulateurs implantés qui contrôlent les tremblements dans la maladie de Parkinson avec une précision de 10-µm. Elles pourraient aussi aider à déterminer les régions qui déclenchent les crises d’épilepsie afin que la chirurgie corrective n’intervienne que dans la zone problématique.

Katrien Mols est rédactrice scientifique au centre de recherches imec. Elle est entrée à l’imecs Life Sciences Department en 2010 dans la recherche de rythmes cérébraux (MSc. Sciences biomédicales, KU Leuven) et la réponse biologique et les performances à long terme des neurosondes de l’imec (Ph.D sciences biomédicales, KU Leuven, une étude conjointe de l’imec et du Neuro-Electronics Research Flanders (NERF)). Fascinée par toutes les facettes de la technologies des puces électroniques, elle s’est lancée en 2017 en tant que rédactrice scientifique chez imec, au département communication. Katrien a également une formation en journalisme (MA Journalisme, KU Leuven) et en Histoire (MA Histoire moderne, KU Leuven).