Promper et Stalmans: être à deux est parfois la norme

Ce que démontrent Christophe Promper (54 - photo à droite) et Rudy Stalmans (57). Les deux ingénieurs créaient au début de l'année dernière la société SCouP. Elle fournit des conseils de commercialisation relatifs aux métaux à mémoire de forme

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ENGINEERINGNET.BE - Les métaux à mémoire de forme sont très élastiques et faciles à déformer 'en dessous' d'une certaine température. Ils conservent aussi cette forme mais chauffés, ils reprennent leur forme d'origine.

« Le seuil de température entre le froid et le chaud, et donc également le comportement du métal, peuvent être maîtrisés. Le type d'alliage est important. La ‘déformation à froid’ est suivie d'un traitement thermique approprié. Le matériau est inséré dans le four à environ 500 °C. Un peu plus ou un peu moins ou plus ou moins longtemps ... la différence peut être énorme. »

Raccord souple
L'optimisation de ce process est la compétence et l'expérience de Stalman. Son partenaire, Promper, le connaissait depuis quinze ans ; lors du suivi de projets dans sa vie bien remplie dans l'aéronautique et le spatial, en Belgique et à l'étranger pour Safran. Ayant à peine débuté comme consultant indépendant en intérim/innovation/gestion du changement … il remarquait que l'ESA, l'organisation spatiale européenne, lançait un appel d'offres pour des raccords de tuyaux en alliages à mémoire de forme.

« J'appelais Rudy. Je suis très occupé cette semaine, mais … » Tous deux se sont retrouvés, cherchaient et trouvaient également le soutien de Belspo. Ils soumettaient une proposition à l'ESA pour finalement remporter le contrat en décembre 2015. Ils créaient SCouP srl. Le nom fait référence à leur premier projet commun : ‘Shape memory alloy COUplings for Pipes’. Grâce à leur technologie à mémoire de forme, ils ont réussi à raccorder deux tubes en inox d'1/4" comme s'ils étaient soudés. Sans fuite et sans les inconvénients ou risques du soudage. La technologie raccorde également tout aussi facilement des métaux de nature différentes.

Néophyte
« Nous remportions ce premier contrat car les principaux concurrents manquaient de connaissances en matériaux et de culture R&D créative », estime Stalmans. Le traitement cryogénique d'un alliage nickel-titane nécessite des connaissances spécifiques issues de l'expérience, ce dont il dispose. « Mais aussi parce que la technologie des métaux à mémoire de forme était jusque-là entre les mains d'entreprises américaines telles que Raychem et plus tard Aerofit et CAM. L'ESA cherchait une alternative européenne. » Des versions plus anciennes de ces raccords existaient déjà aux États-Unis dès les années soixante. Le F-14 Tomcat en avait près de 800 à bord.

« Nous avons maintenant réalisé ces raccords avec d'autres matériaux. » Le raccord est fabriqué dans le matériau choisi et traité cryogéniquement. La pièce croît de 5 à 10%. Lorsqu'elle est chauffée, elle reprend sa forme d'origine. Le raccord de tubes et de tuyaux avec des manchons à mémoire de forme présente des avantages uniques. L'on n'est pas obligé d'être soudeur. Le raccord se fait sans projection d'étincelles autour ou dans les tuyaux. Les tuyaux très proches l'un de l'autre sont également faciles à raccorder. Le raccord est exempt de fuite.

« En soudure classique de tube, le temps de soudage dépend du diamètre ou de la circonférence du tube. Plus gros le tube, plus long le temps de soudure. Avec notre technologie, le ‘temps d'exécution’ est une constante. Pour les petits diamètres, le coût est légèrement plus élevé. Notre process cependant, est toujours aussi simple dans ce cas et aucune radiographie n'est requise. Nous réalisons les raccords de plus gros diamètres nettement plus rapidement et cela conduit à des économies globales », stipule Promper.

Logistique à température ambiante
Une autre raison est fort probablement que la solution de SCouP est d'une logistique plus simplifiée. Les produits américains traditionnels requièrent un transport dans de l'azote liquide jusqu'à ce que les raccords soient réalisés. Ils sont ensuite retirés du liquide réfrigérant et ils sont équipés d'un manchon isolant qui prolonge le temps d'application. Ensuite, ils sont mis en place où ils y rétrécissent progressivement.

« Nous pouvons transporter notre produit à température ambiante. Cela nécessite bien un chauffage supplémentaire pour rétrécir le raccord autour du tuyau. » La méthode de production de la nouvelle solution est plus complexe.

« Il y un savoir-faire accru dans ce process », explique Stalmans. Bien entendu, SCouP peut également proposer la solution la plus classique. En fait, il se peut même dans le futur que les clients opteront toujours dans la plupart des cas pour le transport sous azote liquide, « simplement parce qu’ils connaissent le process. »

Mini satellites
Le duo se répartit naturellement les tâches. Promper connaît les clients et dispose d'une expérience dans le développement de produits et l'industrialisation dans l'aéronautique et le spatial, tandis que Stalmans gère les aspects matériaux extrêmement critiques. Entre-temps, ils ont déjà engrangé plusieurs contrats avec l'agence spatiale ESA dans le cadre du programme ARTES et du General Support Technology Programme (GSTP). Après un premier projet ESA, SCouP travaille actuellement sur un projet de suivi qui se poursuivra jusqu'à la fin de l'année.

L'entreprise a investi en capacité de production. « Cette année, nous fournirons des petites séries. La demande provient principalement des clients de l'industrie aérospatiale », déclare Stalmans. De nombreuses entreprises sont sur ce marché aujourd'hui. « Contrairement à nos concurrents qui travaillent avec un catalogue fixe, nous voulons répondre de manière flexible à la demande des clients. En plus d'un raccord standard de 6,35 mm (1/4"), nous pouvons également proposer du 3,2 mm (1/8"). » Il pense par exemple à des applications pour le nombre croissant de mini satellites.

Qualification intelligente
Travailler avec l'ESA ouvre également des portes ailleurs. Un transfert de technologie vers des applications dans d'autres domaines est en vue : les conduites hydrauliques d'hélicoptères, les applications médicales … Cela requiert de la ‘market intelligence’ pour pénétrer de nouveaux marchés. « Il existe de nombreuses niches possibles.

Chacune a ses propres codes et normes. Il faut bien les comprendre et les appliquer intelligemment », déclare Promper. Dans l'aéronautique, où moins de grandes séries sont produites, il s'agit plus de ‘qualification intelligente’ que de certification selon les normes. « De cette manière, nous avançons parfois plus vite que dans l'aviation, par exemple. D'autre part, il faut invariablement passer par Belspo qui n'investit que lorsqu'il y a aussi un solide retour national (emplois) à attendre. »

Transfert de technologie
« L'année dernière, les constructeurs de satellites et les avionneurs étaient fort intéressés. Beaucoup de NDA (accords de confidentialité) sont signés. Tant avec des entreprises belges qu'étrangères. Entre-temps, nous sommes en discussions avancées pour élaborer des normes européennes spécifiques basées sur nos raccords », déclare Promper. Les deux entrepreneurs-ingénieurs y travaillent avec l'aide de l'incubateur wallon WSL. Ce dernier a été initialement créé comme incubateur d'entreprises dédiées aux technologies spatiales, pour en assurer le coaching.

Mais ils travaillent aussi via l'ESA BIC (représentée par IDELUX via Galaxia Space Innovation) et l' Agence belge de transfert de technologie (Verhaert) de l'ESA. « Nous cherchons maintenant également à exploiter la technologie ailleurs, pour les installations fixes de l'industrie chimique, les installations d'eau et de gaz, le refroidissement, l'hydrogène ... pour y fournir probablement des milliers d'unités par mois. » SCouP peut s'adresser aux fournisseurs belges.

« Nous construisons également nos propres machines. Jusqu'à présent, il s'agissait de productions à l'échelle du labo. Nous montons actuellement en puissance sur un parcours de mise à l'échelle industrielle et de productions en série. » L'intention est de faire appel à des marchés à croissance stable, ‘des marchés à valeur ajoutée confirmée’, pour que dans cinq ans, dix à vingt personnes puissent être employées. Stalmans voit également de nombreuses possibilités de production, mais « d'abord, il y a encore du pain sur la planche. Les prototypes de raccords peuvent coûter plus de 100 euros par pièce. Si je réussis à améliorer nos méthodes de production, le prix de revient se réduirait considérablement. »

Monde médical
Les métaux à mémoire de forme peuvent être travaillés très précisément afin qu'ils se déforment de manière prédictible au dixième de degré. « C'est pertinent pour les applications médicales, comme par exemple pour les stents », souligne Stalmans. Cette précision à haute température est moins requise pour les applications actuelles chez SCouP.

« Mais c'est possible. Au cours des vingt dernières années, le secteur médical a occupé environ 95% du marché mondial des métaux à mémoire de forme. Plus que jamais, l'accent est désormais mis sur les alliages en nickel-titane pour les instruments laparoscopiques. » Comme les paniers endoscopiques pour extraire les calculs rénaux, les préhenseurs, les stents ... Tout ce qui doit changer de forme et passer par un petit orifice.

« Les matériaux à mémoire de forme offrent des solutions particulièrement réussies là où il n'y a pas d'alternative. » Il y a vingt ans, une Mercedes avait une soupape d'alimentation d'huile en métal à mémoire de forme. Elle a été remplacée par une solution électronique moins chère. Mais actuellement, l'on utilise à nouveau des valves aux ressorts en métal à mémoire de forme. De nombreuses recherches ont été menées sur les préhenseurs de robots chez PMA à Louvain « mais entre-temps, beaucoup de progrès a également été accomplis dans ce domaine avec d’autres solutions. »

Fils à mémoire
Il existe des capteurs en métal à mémoire de forme. L'on mesure la résistance des ‘fils à mémoire’. Stalmans a travaillé sur l'imbrication de fils/tissus à mémoire de forme dans des composites. Par exemple pour les applications qui modifient la forme des ailes d'avion en vol. Il a également travaillé sur un casque avec un tissu en métal à mémoire de forme. « Ce dernier est capable d'absorber beaucoup d'énergie d'impact. »

Dans le domaine militaire des ‘boîtes d'impact’ en métal à mémoire de forme ont été développées comme blindage supplémentaire à accrocher sur des chars et des véhicules de transport. Cependant, les matériaux de base restent très chers. Les applications les plus réussies sont ‘petites’. « Le matériau reste complexe et donc coûteux. » Un prix de revient d'environ 500 €/kg représente un frein sérieux pour les applications plus importantes et plus durcies. Stalmans voit même une miniaturisation croissante. Des stents plus petits pour les petites veines, par exemple. Les métaux à mémoire de forme sont désormais progressivement imprimés en 3D. Stalmans y trouve quand même à redire. « Les alliages ne peuvent pas contenir d'impuretés. S'ils contiennent du carbone ou de l'oxygène, les choses tournent mal. »

Il ne s'attend pas à ce que la technologie d'impression avec ces matériaux devienne vraiment industrielle dans les proches années. Il a également remarqué que l'activité de recherche, auparavant enthousiaste sur les métaux à mémoire de forme, semble s'être calmée. « Les ‘matériaux intelligents’ étaient dans le passé un domaine de recherche très populaire qui attirait beaucoup de financement. Actuellement, les étudiants ingénieurs entendent peut être trois phrases relatives aux métaux à mémoire de forme au cours de leurs études. »


par Luc De Smet

Cadre: Rudy Stalmans
Rudy Stalmans (57 ans) se penche depuis trois décennies sur la technologie des métaux à mémoire de forme. En tant que consultant/développeur, il présente avec son entreprise unipersonnelle Flexmet des références exceptionnelles : bijouterie, aéronautique et spatial, actionneurs … et il a plusieurs brevets à son actif. « Après ses études d'ingénieur, il travaillait pour le FNRS (Fond national de la recherche scientifique) au MTM (Département de génie des matériaux) de la KULeuven. Il s'y concentrait sur la modélisation du comportement des métaux à mémoire de forme. Puis, également sur la CAO (Conception assistée par ordinateur) et le réglage fin des paramètres significatifs pour les applications concrètes avec les métaux à mémoire de forme. Il passait un an à Lausanne en Suisse, à l'EPFL, quelques mois à Stockholm à l'Institut royal de technologie et même à l'Université Kansai d'Osaka au Japon. Pourtant, après quinze ans de spécialisation, une titularisation à l'Université de Louvain ne se dessinait toujours pas. « Il faut alors voler de ses propres ailes. » En juin 2000, il devient indépendant au sein de l'entreprise unipersonnelle Flexmet. Il conseille les entreprises sur les métaux et produits à mémoire de forme, en adaptant les process pour obtenir des propriétés spécifiques. Mais il participe également à l'optimisation des process en production des produits en nitinol, dont celui de l'électropolissage. Il a également développé ses propres produits, notamment pour le secteur médical. Néanmoins, il est peut-être mieux connu pour ses réalisations fascinantes chez le bijoutier Holemans. Ce dernier lançait en 2001 un collier en platine. S'y trouvaient serties environ 4.000 pierres (3.731 pierres précieuses et 256 diamants jaune vif), soit 173,16 carats représentant plus de 4.000 heures de travail. Le bijou s'appelait Metamorphosis. Les trois plus grosses pierres précieuses formaient chacune le cœur d'une fleur qui s'ouvre et se ferme. Les six pétales étaient mises en mouvement par la réaction du métal à mémoire de forme à la température corporelle de la porteuse du bijou. « Aujourd'hui, j'essaie de trouver des solutions simples pour des questions applicatives. »

Cadre: Christophe Promper
Christophe Promper a construit sa première radio à l'âge de neuf ans. Devenir ingénieur était sa vocation. Son grand-père l’inspirait, il construisait des turbines en Allemagne. Au cours de ses études, son penchant pour l'électronique s'est déplacé vers une affinité à tout ce qui vole. Erasmus l'amenait à Aix-la-Chapelle. « Les Allemands sont un peu plus concrets, un peu plus 'hands-on'. » Après sa maîtrise en génie aérospatial à l'Université de Liège, il suivait un MBA aux HEC à Liège. Ensuite, il entrait à l'armée avec la toute dernière promotion en tant que ‘prof-milicien’. À Saffraanberg, il était instructeur pour les systèmes hydrauliques et électriques des avions. Tandis que les autres buvaient un pot le soir, il apprenait les langues. « Mes compétences linguistiques (allemand, néerlandais, russe, espagnol ...) ont contribué à l'internationalisation de ma carrière. » En tant qu'indépendant, il développera d'abord des logiciels d'entreprise, formera des étudiants HEC et assurera des traductions en freelance. Lorsque l'économie s'est redressée un peu plus tard, il a dirigé des équipes chez Techspace Aero (plus tard Safran) travaillant sur les systèmes de lubrification des réacteurs, les systèmes à hélium et les vannes des moteurs de fusée Ariane V, en plus d'être impliqué dans de nombreux projets de l'ESA. « Des technologies qui voleront quinze ans plus tard. » Pendant deux ans, il a dirigé le programme SuperJet100 Nacelle Podding. Il était directeur du site d'une nouvelle usine de production à Komsomolsk, sur la rivière Amour en Russie. Jeune marié, il espérait un travail plus sédentaire. Mais il s'est d'abord rendu à Madrid chez Europrop International pour coordonner entre les quatre sociétés partenaires du consortium les processus d'instrumentation/de validation/de test de l'Airbus A400M transporter. Pour Safran, il revient à Liège 2,5 ans plus tard pour travailler sur la stratégie industrielle et les bancs d'essais critiques. Trois ans plus tard, il commençait à travailler comme consultant indépendant en intérim/innovation/gestion du changement. Un an plus tard, il appelait Stalmans au sujet d'un appel d'offres à l'ESA …

Cadre: Mémoire de forme
Un fil à mémoire de forme déformé redevient, lorsqu'il est chauffé, à sa forme chaude ‘mémorisée’. L'on peut répéter le formage à froid et revenir plusieurs fois à la forme (chaude) mémorisée. Le processus de récupération de forme découle d'une transformation de phase réversible de l'austénite (chaude) à la martensite (froide). L'austénite se transforme en martensite lors du refroidissement. La martensite se transforme en austénite lorsqu'elle est chauffée. La transformation commence à une température initiale et se termine à une température finale. De nombreux paramètres (composition, traitements thermiques et vitesse de travail à froid) influencent les températures de transformation. Les alliages de Nitinol à haute teneur en nickel ont des températures de transformation inférieures à la température ambiante. Ce sont des alliages super élastiques. Les alliages à mémoire de forme sont des alliages de Nitinol à faible teneur en nickel et à des températures de transformation supérieures à la température ambiante.