Réseaux sans fil chronosensibles: quand chaque microseconde compte

Pour les systèmes qui doivent pouvoir fonctionner de manière totalement autonome, chaque (micro)seconde compte et la prise en charge par les réseaux chronosensibles (time-sensitive networks, ou TSN) est un impératif.

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( Photo: imec )

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ENGINEERINGNET.BE - Depuis les années 1980, on utilise principalement la technologie Ethernet pour l'échange de données chronosensibles dans les usines. Malgré leur caractère robuste, les TSN filaires présentent un énorme inconvénient: leur manque de souplesse lorsqu'un atelier doit être réaménagé. La demande de réseaux sans fil chronosensibles se fait donc de plus en plus forte. Mais la technologie sans fil est-elle capable de répondre aux exigences spécifiques des TSN ? Nous sommes allés demander l’avis d’Ingrid Moerman et de Jeroen Hoebeke, experts en technologie de réseau sans fil auprès de l’IDLab, un groupe de recherche imec comportant des chercheurs venant de l’UGent et de l’UAntwerpen.

Lorsque chaque microseconde compte  
Ces dernières années, les percées dans le secteur des télécommunications concernaient principalement la puissance et la bande passante. Pendant longtemps, on n’a accordé que peu d'attention au fait d’offrir des garanties en termes, par exemple, de temps de latence (ralentissement du signal) et de redondance (les mécanismes et systèmes de sauvegarde qui assurent que le réseau reste intact lorsqu'un ou plusieurs composants du réseau tombent en panne). Ces garanties sont pourtant cruciales pour garantir la production, surtout lorsque des réseaux de communication sont déployés sur des sites industriels. C'est le cas, par exemple, lorsque des applications d’Industrie 4.0 chronosensibles doivent être prises en charge. On pense ici aux drones, aux robots collaboratifs ou cobots, et aux véhicules à guidage automatique ou AGV, mais aussi aux systèmes de contrôle en boucle fermée. Pour de telles applications, un temps de latence limité, une qualité de service garantie et une synchronisation précise (souvent à la microseconde près) sont impératifs. Moerman: « C’est, en particulier, la synchronisation entre les différents appareils connectés qui devient aujourd’hui de plus en plus importante. Les systèmes de contrôle en boucle fermée, par exemple, dépendent de la rapidité et de la précision avec lesquelles l’on peut planifier la communication entre les capteurs et les actionneurs sous-jacents. Mais c’est aussi le cas des systèmes de haut-parleurs répartis, qui doivent diffuser le même son simultanément dans une pièce, ainsi que les applications avancées de réalité augmentée et virtuelle, et aussi de vidéo ; toutes sont très chronosensibles. Dans le cas de l'audio et de la vidéo, un manque de synchronisation est même audible et visible, et très dérangeant. »

Les TSN dans une usine sans fil  
La communauté Ethernet a rapidement pris les devants dans la prise en charge des TSN ; en partie grâce à l'introduction d'une spécification Ethernet basée sur les TSN (IEEE 802.1Qbv) qui aborde trois propriétés clés des réseaux filaires chronosensibles:

  • Un temps de latence de bout en bout de 2 ms (via 7 bonds) pour le trafic le plus critique ;
  • Une synchronisation inférieure à 1 µs, grâce à laquelle, dans certains scénarios, une précision de quelques nanosecondes est même présumée (et atteinte) ;
  • Une fiabilité de 99,99999%.

Toutefois, l'utilisation de réseaux filaires dans un environnement d'usine présente également des inconvénients. À chaque fois qu'une usine doit être réaménagée pour répondre à de nouveaux besoins de production, tous les câbles doivent être réacheminés. Cela nécessite une planification et une préparation immenses, coûte beaucoup de temps et d'argent et permet tout sauf d'agir rapidement. De plus, l'installation de chaque nouvelle machine (et de chaque capteur individuel) implique le déploiement d'encore plus de câbles, et ces derniers sont souvent même installés en double pour des raisons de redondance. La demande de TSN sans fil est donc de plus en plus forte de la part de l'industrie. C’est tout sauf évident: les réseaux sans fil sont intrinsèquement beaucoup plus sensibles aux interférences, aux limitations de bande passante et aux signaux bloqués que leurs homologues câblés. Bien que les réseaux sans fil aient fait des progrès importants ces dernières années en termes de stabilité et de fiabilité, il reste du pain sur la planche, notamment en matière de synchronisation. La question est donc de savoir si les TSN sans fil sont une option réaliste pour l'usine de demain. Et si oui, le déploiement de ces réseaux doit-il s'appuyer sur la technologie cellulaire (4G ou 5G), ou plutôt sur le Wi-Fi ?

Grâce à la recherche sur le Wi-Fi ouvert, imec a été le premier à améliorer la synchronisation du Wi-Fi d'un facteur 10.000 par rapport à la technologie la plus avancée, soit de l’ordre de 1 µs.

5G ou wifi ?  
Moerman: «  La communauté 5G s'est pleinement engagée dans la fonctionnalité de communication ultra-fiable à faible latence (ultra-reliable low-latency communication ou URLLC) pour le déploiement des TSN sans fil. Avec cette proposition, l'objectif est de se rapprocher le plus possible des performances des TSN basés sur Ethernet. Les objectifs concrets sont un temps de latence d’au plus 1 ms, une synchronisation allant jusqu'à 1 µs et une fiabilité de 99,999% Mais le Wi-Fi aussi a ses avantages. D'une part, le Wi-Fi peut être installé beaucoup plus facilement, plus rapidement et à moindre coût ; d'autre part, il y a lieu de tenir compte de la compatibilité. En effet, Ethernet (IEEE 802.3) et Wi-Fi (IEEE 802.11) font partie de la même famille de normes. Cela étant dit, au niveau radio, la 5G et le Wi-Fi se ressemblent fortement. La grande différence est que la 5G utilise un spectre sous licence qui est attribué exclusivement aux opérateurs de télécom. Le Wi-Fi, en revanche, fonctionne dans le spectre libre et est donc lié plutôt à des règles de bienséance. » Hoebeke intervient: « Lorsqu'un appareil Wi-Fi souhaite utiliser le spectre libre, il doit d'abord vérifier si aucun autre appareil ne communique dans la même bande radio à ce moment-là. Une pause plus ou moins courte (imprévisible) doit donc être insérée à chaque transmission. Cela peut conduire à un temps de latence plus long. De ce point de vue, la 5G, aux normes plus strictes, présente donc un avantage. Cela changera peut-être. Dans certains pays, il est déjà possible d'acheter du spectre local pour déployer un réseau 5G privé. Étant donné que le spectre est technologiquement neutre, il est possible d’appliquer le même principe à la configuration d'un réseau Wi-Fi qui n'est plus lié par ces ‘règles de bienséance’.  » Moerman: « En raison de leur plus grande portée, les technologies cellulaires telles que la 5G auront un léger avantage lorsque les TSN sont déployés à l'extérieur, tandis que le Wi-Fi est pré-adapté pour fonctionner dans des environnements intérieurs où la compacité et la facilité d'installation sont primordiales. Mais en définitive, tout dépend de la mesure dans laquelle les deux technologies permettront une synchronisation encore plus précise. »

« Nous verrons progressivement plus de fonctionnalités TSN apparaître dans les réseaux sans fil dans les années à venir, mais cela se fera étape par étape, » selon Jeroen Hoebeke

Exclusivité: La puce Wi-Fi ouvert prend en charge la synchronisation avec une précision de 1 µs  
Hoebeke: « Pour tout réseau chronosensible basé sur le Wi-Fi, la communication doit être préplanifiée dans des créneaux horaires. Une synchronisation précise de l'heure entre les différents appareils connectés est cruciale, car toute imprécision de synchronisation doit être absorbée par des tampons ; c’est ce que l'on appelle le temps de garde. Mais cela se fait alors au détriment du rendement: en effet, on désire planifier les créneaux horaires utiles au plus près les uns des autres, et maintenir les tampons dans lesquels aucune communication n'est possible aussi courts que possible. Le problème avec le Wi-Fi est que la technologie d'aujourd'hui ne permet une synchronisation précise qu'à quelques dizaines de ms près, alors qu'un paquet Wi-Fi typique ne dure qu'une centaine de µs. » Moerman: « Mais il existe maintenant le Wi-Fi ouvert, notre puce radio personnalisée grâce à laquelle nous avons un contrôle total sur le matériel dans lequel les fonctionnalités de synchronisation sont intégrées. Si vous utilisez des puces commerciales, vous n'avez généralement pas accès à ce type de fonctionnalité. Grâce à notre recherche sur le Wi-Fi ouvert, nous avons été les premiers à améliorer la synchronisation du Wi-Fi d'un facteur 10.000 par rapport à la technologie la plus avancée, soit de l’ordre de 1 µs. C'est même bien mieux que les ambitions de l’ Alliance Wi-Fi internationale, qui fixe un objectif de 5,5 µs.  »

« La synchronisation entre les différents appareils connectés devient de plus en plus importante, » selon Ingrid Moerman

Accélérer l'innovation grâce à des logiciels libres et l'accès aux installations d'essai à distance   
Moerman: « Pour accélérer encore l'innovation des TSN sans fil, nous avons choisi de rendre disponibles certaines fonctionnalités de base de notre puce à Wi-Fi ouvert en tant que logiciel libre (open source). De cette façon, nous voulons donner la possibilité d'expérimenter le Wi-Fi ouvert. Nos installations de test à distance sont également disponibles. »  Sur Github, la plus grande plate-forme de développement de logiciels libres au monde, le Wi-Fi ouvert est déjà très populaire: il figure non seulement dans le top 4 des contributions FPGA les plus appréciées, mais a également été téléchargé plus de 200 fois. Hoebeke: « De plus, il existe entre-temps un projet SBO soutenu par le Fonds flamand pour la recherche scientifique. Dans cette optique, nous donnons aux partenaires industriels la possibilité de tester leurs applications avec le Wi-Fi ouvert et d'évaluer si elles sont compatibles avec les solutions Wi-Fi chronosensibles de demain. Dans le cadre de notre engagement scientifique industriel, nous donnons à nos partenaires la possibilité de tester un certain nombre de fonctionnalités TSN basées sur le Wi-Fi, en dehors des mises en œuvre et des ensembles de puces (chipsets) spécifiques aux fournisseurs, qui ne sont de toute manière pas encore disponibles dans le commerce. Cela fournira à long terme, à nos partenaires un avantage concurrentiel certain. Et en attendant, nous offrons une valeur ajoutée supplémentaire car nous pouvons désormais enrichir les paquets Wi-Fi avec des informations de surveillance de réseau en temps réel et de bout en bout. Nous pouvons ainsi déterminer les performances du réseau Wi-Fi à tout moment, y compris entre les applications finales. De plus, nous mesurons ce que subit un paquet Wi-Fi, sans induire de trafic supplémentaire dans le réseau par des informations de mesure. De cette façon, l’on sait exactement où chercher quand quelque chose ne va pas. Mais vous pouvez tout aussi bien utiliser cette entrée dans le cadre de reconfigurations, ou simplement pour vérifier si l’on obtient la qualité de service convenue. »

Conclusion   
Reste la question de savoir quand les installations industrielles pourront utiliser des TSN sans fil ? Moerman et Hoebeke sont tout à fait d'accord sur ce point: ce n'est pas encore pour demain. « Nous verrons progressivement plus de fonctionnalités TSN apparaître dans les réseaux sans fil dans les années à venir, mais cela se fera étape par étape. Il y a lieu, tout d'abord, de développer des puces commerciales qui prennent en charge les fonctionnalités nécessaires, et ce n'est qu'ensuite que les applications suivront. Mais ce qui est malgré tout intéressant, c’est d’observer les étapes que franchiront, tant la 5G que le Wi-Fi au cours des prochains mois. Parce qu'ils voient tous les deux une valeur ajoutée évidente dans la facilitation des applications chronosensibles. »

Cadre: Commencer vous-même avec le Wi-Fi ouvert ?  
Le Wi-Fi ouvert est l'un des résultats du projet ORCA soutenu par le programme européen Horizon 2020. Voudriez-vous commencer vous-même avec le Wi-Fi ouvert ? Un kit d'évaluation sera bientôt lancé avec une pile Wi-Fi TSN complète et le support nécessaire permettant aux entreprises d'expérimenter des réseaux Wi-Fi chronosensibles de manière unique et accessible, et d'évaluer comment leurs applications se comportent. Pour plus d’informations, contactez Ingrid.Moerman@imec.be.