Travailler moins pour le même salaire? Oui, mais ce n’est pas viable pour tout le monde

Si nous devons tous travailler, la manière diffère. Avant que la crise du coronavirus n’éclate, des voix s’étaient élevées pour avoir un meilleur équilibre entre le travail et la vie privée. La pandémie nous a appris que quand c’est nécessaire.

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( Photo: Femma )

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ENGINEERINGNET.BE De nombreux travailleurs ne veulent plus revenir à l’ancien modèle. Les entreprises expérimentent. À l’issue d’une période d’essai d’un an, l’organisation féministe Femma a mis en place une semaine de travail de 32 heures avec un salaire à temps plein. Mais l’introduction de la semaine de quatre jours de travail comme nouvelle norme en Flandre n’est pas encore économiquement viable.

Tout le monde s’accorde à dire que le marché du travail manque de flexibilité mais la manière d’organiser la flexibilité dépend de chaque entreprise et même de chaque collaborateur. Il n’en saurait être autrement d’après l’économiste en chef Bart Van Craeynest de Voka. « Notre cadre politique n’est pas conçu pour cela.

Aujourd’hui, nous naviguons entre le tout ou rien. Soit vous êtes au chômage complet ou au travail à temps plein, soit 100% en incapacité de travail. Les solutions intermédiaires restent compliquées. Les écarts par rapport à la norme exigent trop de bureaucratie. Nous atteignons des limites. » Il est temps que la législation du travail évolue, estime Lode Godderis, directeur général de Groep Idewe.

« Actuellement, la législation détermine comment organiser le travail. Elle ne laisse pas trop le choix aux entreprises et aux travailleurs et limite les opportunités. Pourtant, le coronavirus et l’obligation du télétravail ont montré que les décideurs politiques pouvaient influencer notre manière de travailler. Il est important de poursuivre l’élan. Cela demande un changement de mentalité majeur de la société. » Godderis avance l’Espagne comme exemple. « En été, la semaine de travail est plus courte qu’en hiver. Les travailleurs commencent plus tôt le matin pour profiter de la journée l’après-midi. La société est adaptée à cela. »

Bart Van Craeynest: « Pour le moment, le dommage économique ne l’emporte pas sur les avantages du système. » (Photo VOKA)

Femma, un pionnier   
« Les entreprises demandent plus de flexibilité », poursuit Van Craeynest. « Mais nous sommes confrontés à une pénurie sur le marché du travail. Pour les entreprises, il n’est déjà pas évident d’attirer des collaborateurs et de les garder. La jeune génération perçoit le travail autrement et aspire à un meilleur équilibre entre le travail et la vie privée. Les entreprises doivent répondre à cela. » Femma l’a compris bien avant la pandémie. L’association fonctionne indépendamment du temps et du lieu depuis sept ans.

Femma Wereldvrouwen compte 730 réseaux locaux de femmes en Flandre et à Bruxelles. L’association s’engage pour que les femmes puissent concilier le travail, la santé et les loisirs de manière équilibrée et qualitative. En 2019, le principe a été déployé dans ses rangs. Un an plus tard, les collaborateurs prestaient 30 heures par semaine au lieu de 36. Le groupe de recherche TOR de la VUB a conduit le projet pilote. « Femma n’a pas négocié, dans le cadre de la concertation sociale, une perte de salaire en échange d’une diminution du temps de travail.

L’objectif était d’étudier les effets de la diminution du temps de travail sur la vie des gens. Quels choix font-ils s’ils doivent travailler et être payés pour 30 heures par semaine ? Diminuer le salaire influence le processus décisionnel et les options des répondants »,   explique Ilse de Vooght de Femma. Elle a co-piloté le projet en interne. « Les collaborateurs ont pu choisir entre une formule de quatre ou cinq jours de travail de 30 heures par semaine. Nous les avons coachés pour gérer le temps libre de manière émancipatrice, sans pour autant perdre de vue les objectifs de travail fixés.

Nous avons constitué des nouvelles équipes en fonction du travail. » Cela a nécessité une autre organisation du travail mais cela s’est avéré payant. Les résultats étaient très encourageants. « Nous travaillions plus efficacement sans être orienté résultats. Les collaborateurs ressentaient moins de pression temporelle, ils pouvaient mieux se focaliser sur le travail car il était mieux planifié. D’après notre partenaire Kind & Samenleving, la relation entre le parent et l’enfant s’est améliorée. Les enfants passaient moins de temps à la garderie. Il y avait aussi moins de stress dans le ménage. Bref, le temps est une condition de base pour mieux s’accorder dans les domaines de la vie. »

Ilse de Vooght: « Nous travaillons plus efficacement sans être orienté résultats. Les collaborateurs ont moins ressenti la pression temporelle et pouvaient mieux se concentrer sur leur travail. » (Photo Femma Wereldvrouwen)

Qui paye?   
La question qui survient naturellement est de savoir si cette approche est financièrement viable à plus long terme. « L’investissement d’un an a pu être supporté par Femma. Nous avons élaboré plusieurs scénarios et sommes parvenus à une semaine de 32 heures avec le maintien du salaire. Via la concertation sociale, il a été convenu que la journée libre pouvait être prise en une fois ou en deux demi-journées et pas un mardi ni un jeudi. Ces accords sont repris depuis janvier dans une convention collective du travail de deux ans. L’équipe de recherche TOR continue de suivre cela », souligne de Vooght.

« L’introduction d’une semaine de travail de quatre jours avec le maintien du salaire correspond à une augmentation de salaire de 27%, ce qui n’est possible que si vous pouvez être plus productif de 25% en moins de jours. La digitalisation croissante offre de nouvelles opportunités. Nous travaillons aujourd’hui plus intelligemment que jadis. Mais il n’y a pas encore une recette pour tous. On ne peut pas appliquer cela à tous les emplois, pensez à la production, et ce n’est pas encore économiquement viable », souligne Van Craeynest.

« Le dommage économique ne l’emporte pas sur les avantages du système. Nous risquons de voir de nombreuses entreprises délocaliser leur production à l’étranger. » L’économiste en chef croit plutôt en un processus organique. « Le coronavirus a mis certaines choses en mouvement. Chez de nombreuses entreprises, on a compris qu’il ne faut pas nécessairement venir travailler tous les jours au bureau. Des entrepreneurs font des expérimentations pour répondre à la demande croissante de plus de flexibilité. Ils étudient comment organiser autrement le travail au sein d’un cadre financièrement tenable. »  

Lode Goddeeris: « La semaine de travail de quatre jours peut être une manière d’atteindre un meilleur équilibre entre le travail et la vie privée à condition que ce soit bien organisé. » (Photo IDEWE)

De bons accords   
D’après Godderis, nous sommes confrontés à un défi majeur. « L’essentiel est de faire de bons accords, tant sur l’accessibilité que sur la disponibilité des collaborateurs. Vous pouvez travailler à temps partiel mais le volume de travail ne diminue pas. Réaliser le même travail en moins de jours mais avec des journées plus longues, parfois 10 heures, n’offre pas beaucoup d’avantages », explique-t-il en résumant la problématique.

Lode Godderis met aussi en garde. « Le nombre d’absences de longue durée augmente encore et on veut faire travailler les gens plus longtemps. Nous vivons dans une société instantanée. Nous sommes habitués à ce que nos commandes en ligne soient livrées dans les 24 heures. Nos attentes envers l’autre évoluent selon cette tendance et c’est inquiétant. La semaine de travail de quatre jours peut être une manière d’atteindre un meilleur équilibre entre le travail et la vie privée à condition que ce soit bien organisé.

Pourquoi ne pas proposer l’alternance ? Il y a des moments dans notre vie où on veut travailler moins pour s’occuper des enfants. Et il y a des moments, avant d’avoir des enfants ou une fois qu’ils quittent le domicile, où on a plus de temps à consacrer à son travail. L’époque où on faisait une carrière de quarante ans dans une entreprise est bien révolue. »