ENGINEERINGNET.BE - «Tester, tester et encore tester. Si on veut concevoir des instruments innovants pour les interventions critiques des cliniciens, il faut proposer des systèmes sûrs », déclare Emmanuel Vander Poorten.
Dès la phase de conception, les chercheurs procèdent à de nombreuses itérations avec les cliniciens. Lors d’opérations chirurgicales par un minuscule orifice, les cliniciens travaillent souvent avec un œil fixé à l’écran.
« Pour l’utilisateur, l’interface, l’affichage des données, doit être la plus intuitive possible pour contrôler quasiment à l’aveugle l’instrument ou le robot. » L’aide des cliniciens de l’UZ Leuven est indispensable dans ce processus. Le laboratoire compte 20 étudiants doctorants et cinq postdoctorants. Depuis octobre, un responsable de l’innovation traduit la recherche vers le marché. Le labo compte à peine 30% de Belges.
Les chercheurs viennent de France, du Portugal, d’Italie mais aussi du Pakistan, de Chine, d’Amérique, du Brésil … L’anglais est la langue de travail. En collaboration avec le département LRD (Leuven Research & Development), Emmanuel Vander Poorten étudie la possibilité de lancer une startup ou d’octroyer une licence pour la technologie.
CPRE robotisée avec détection de forme
« Nous procédons à un rétro-ingénierie des cathéters utilisés aujourd’hui dans diverses applications et nous essayons d’y ajouter des fonctionnalités supplémentaires », poursuit Emmanuel Vander Poorten.
« Quand nous développons quelque chose, mieux vaut ne pas trop s’écarter du flux de travail afin que les cliniciens puissent l’utiliser rapidement. Aujourd’hui, ils sont déjà très agiles dans des procédures comme la Cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE). » Pour cet examen, le clinicien insère un endoscope par la bouche, qui est avancé dans l’œsophage, l’estomac puis dans le duodénum via l’ampoule de vater – à l’abouchement du canal cholédoque – pour l’amener jusqu’au pancréas ou à la vésicule biliaire.
L’endoscopiste introduit un cathéter, via un canal dans l’endoscope, pour par exemple retirer des calculs biliaires ou poser un stent. L’accès à l’ampoule de vater reste un défi. Il y a un risque d’un contact trop intense et d’une inflammation. « Nous étudions la possibilité d’améliorer cela avec la robotique et la mesure de forces. Avec l’aide de FBGS International à Geel, nous travaillons également sur la détection de forme pour visualiser l’ensemble de l’instrument. »
Une lumière envoyée à travers une fibre de verre multi-coeur dans l’instrument calcule la forme 3D à partir de la lumière réfléchie. La forme peut ensuite être affichée sur un écran 3D, par exemple. « Cela permet de savoir précisément où se situent les instruments », explique l’ingénieur en robotique Zain Syed Mehdi (31) qui travaille sur le projet depuis trois ans. Cette technique vise à limiter l’impact des rayons X, c’est-à-dire le rayonnement et les vêtements de protection en plomb que doivent porter les cliniciens.

Foetoscopie avec cartographie automatique de la sonde à ultrasons
Actuellement en quatrième année de doctorat, le Chinois Yuyu Cai (28) a mis au point, en collaboration avec le Prof. Jan Deprest, une technologie assistive pour simplifier la foetoscopie. Pour cet examen, on utilise une tige longue de 30 cm dotée à son extrémité d’une caméra chip on tip et d’une source lumineuse intégrée.
Elle contient également une fibre de verre de 0,6 mm d’épaisseur qui achemine la lumière laser jusqu’au placenta. L’objectif est d’offrir une aide lors du traitement du syndrome transfuseur-transfusé (STT) en cas de grossesse monochoriale de jumeaux monozygotes partageant le même placenta in utero. Le risque de décès pour les deux fœtus est de 90%. L’ablation au laser permet de séparer le placenta de chacun des fœtus.
C’est une intervention complexe qui nécessite trois personnes. Un premier chirurgien fœtal commande la fibre laser. Le second tient le foetoscope et le troisième est l’échographiste. Il utilise une sonde à ultrasons qui fournit une image constante du foetoscope. Cette expertise nécessite une longue courbe d’apprentissage. La manipulation de la sonde est ergonomiquement contraignante pour le poignet de l’échographiste.
« Nous voulons alléger la charge ». L’installation de démonstration est équipée de deux bras robotisés Haption avec une rétroaction haptique. L’un tient le foetoscope, le second la sonde à ultrasons. Pendant que le chirurgien fœtal positionne le foetoscope à l’aide d’un premier bras robotisé, le second bras Haption déplace la sonde d’avant en arrière sur l’abdomen de la patiente pour visualiser le foetoscope sur les images échographiques.
« L’objectif est d’assembler les images et de réaliser une carte en 3D du placenta afin de manipuler le foetoscope à pointe laser correctement jusqu’à l’endroit d’ablation des vaisseaux sanguins du placenta. L’échographiste surveille l’ensemble et ajuste si nécessaire. Bien entendu, nous tenons compte du fait que les fœtus sont en mouvement constant. » Le niveau de maturité de la technologie est actuellement est de 3 à 4 sur l’échelle TRL.
Chirurgie robotique
« Les Etats-Unis dominent aujourd’hui la chirurgie robotique », avance Emmanuel Vander Poorten. Cela s’explique par le fait qu’Intuitive Surgical détenait jusqu’à récemment un quasi-monopole avec ses robots Vinci et que sa propriété intellectuelle entravait habilement l’accès au marché. Depuis l’expiration d’un brevet important il y a quatre ans, une poignée d’entreprises ont sorti des nouveaux robots : Hugo de l’entreprise américaine Medtronic, hinotori de l’entreprise japonaise Medicaroid, Bitrack de Rob Surgical à Barcelone,…
La Chine et la Corée ne sont pas en reste. Entretemps, Intuitive continue d’innover. L’entreprise a mis au point un système d’accès à port unique qui ne réalise pas quatre incisions mais une seule pour permettre le déploiement de plusieurs instruments une fois à l’intérieur du corps. La chirurgie robotique est un domaine très dynamique. Aujourd’hui, plusieurs entreprises sont chacune actives sur une partie du corps. « Bien souvent, on commence dans un domaine puis on passe à un autre. » Intuitive a évolué ces dernières décennies de la chirurgie cardiaque à la laparoscopie, l’urologie et la gynécologie.
« A la KULeuven, nous avons commencé avec la microchirurgie de l’œil assistée par robot, et nous nous intéressons désormais aussi aux cathéters robotisés pour les traitements coronariens. Il y a de l’activité dans ce domaine en Europe : Siemens Healthineers avec CorPath GRX, le Français Robocath avec R-One et Sentante d’UAB Inovatyvi Medicina en Lituanie. « Il y a assez de travail. » La question est de savoir comment faire la différence et si le marché est suffisamment grand, car suivre strictement la réglementation coûte cher », souligne Emmanuel Vander Poorten.
« Mais la volonté de développer et d’évoluer est là. » Emmanuel Vander Poorten estime que 60 à 70 robots chirurgicaux sont en activité en Belgique. « Ils ne sont pas bon marché et le coût des soins de santé ne va faire qu’augmenter. Il est donc important de faire du développement local afin que l’histoire ne se limite pas à des dépenses, et que l’on puisse à terme générer des revenus pour les réinjecter et améliorer les soins de santé. »