La biologie moléculaire comme source d'inspiration pour la réduction des émissions de CO2

L'innovation est omniprésente dans le pays, mais l'innovation industrielle résultant de l'imitation d'un process moléculaire, c'est pour le moins remarquable. Une histoire de recherche pionnière, qui a conduit à une start-up prometteuse.

Mots clés: #CO2, #Q-Pinch

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( Photo: Borealis )

ENGINEERINGNET.BE - Le fait que la production de chaleur à des fins industrielles, bien que réellement énergivore, soit beaucoup moins dans les spotlights est probablement dû à la méconnaissance du grand public. Et c'est bien dommage, car on pourrait faire d'une pierre deux coups : une production de chaleur plus efficace réduit non seulement les émissions de CO2 mais réduit également l'obligation de faire usage de sources d'énergie non renouvelables.

Pour qui veut limiter la production de chaleur dans l'industrie de process, il est possible de miser sur plusieurs chevaux. Les entreprises peuvent rendre leurs process et composants associés plus écoénergétiques : des composants plus efficaces, des sous-process mieux adaptés, des applications d'isolants … C'est le chemin qui a été suivi depuis plus longtemps qu'aujourd'hui. Une deuxième approche est l'approche circulaire. La chaleur déjà présente des process est réutilisée dans cette approche. Un exemple bien connu est celui des réseaux de chaleur. Dans ces derniers, la chaleur résiduelle provenant, par exemple, des incinérateurs est utilisée pour chauffer les bâtiments à proximité. Mais d'autres défis se posent dans l'industrie.

Amener la chaleur résiduelle à une température plus élevée afin qu'elle puisse être réutilisée dans le même process ou ailleurs dans l'usine, par exemple. Mais comment ramener de l'eau de traitement d'environ 75 °C à exactement 150 °C, sans voir la consommation d'électricité monter en flèche ? Les pompes à chaleur sont ici une piste intéressante. Cependant, elles ne peuvent pas être utilisées à de très grandes puissances car la demande en électricité deviendrait alors exagérée. Il doit donc exister un autre moyen de créer un gain de température significatif à partir de la chaleur du procédé avec une faible consommation d'électricité.

Le cycle ATP-ADP est la base 
Wouter Ducheyne a également planché sur ce thème. En tant qu'ingénieur de procédés chez un géant de la chimie, il a fréquemment été confronté à la problématique de la chaleur résiduelle. Sa réponse nous amène aux éléments de base de tout être vivant : le cycle ATP-ADP. Tout organisme vivant a besoin d'énergie. Les cellules les trouvent dans certaines molécules organiques. Le cycle ATP-ADP joue un rôle central dans ce processus. Dans ce cycle, l'adénosine triphosphate (ATP) est une molécule qui régule la dégradation des substances macromoléculaires des aliments et alimente ainsi en énergie les processus énergivores du corps.

La réaction chimique qui libère de la chaleur. (Photo QPinch)

Une molécule d'ATP se compose de trois groupes principaux : une base azotée (adénine), du ribose (sucre) et trois groupes phosphates. Ces derniers sont maintenus ensemble par des liaisons et ce sont ces liaisons qui contiennent de l'énergie. Pour la libérer, il suffit de libérer l'un des composés phosphatés. L'ADP (adénosine diphosphate) se crée de cette manière. Le résultat se décline par une énergie libérée qui peut être utilisée pour maintenir l'organisme en vie. Ce processus moléculaire a inspiré le développement d'une application industrielle dans laquelle une réaction chimique inverse est utilisée pour transférer la chaleur d'une température plus basse à un niveau plus élevé.

De la molécule à l'installation industrielle 
La recherche de cette solution thermique a conduit à la création d'une start-up appelée Q-Pinch. Le soutien académique est venu de l'Université de Gand en la personne du professeur Christian Stevens, chef de service du département SynBioC. Ils ont développé conjointement en 2016 un premier prototype du transformateur de chaleur (100 kWth) testé sur l'incinérateur de déchets d'Indaver. En appliquant le procédé physico-chimique avec des phosphates liquides et de l'eau, ce système a prouvé que la chaleur à 100 °C peut être portée à 150 °C. Le process se déroule en plusieurs étapes. Tout d'abord, l'eau est éliminée par évaporation par la chaleur résiduelle avant d'être condensée avec l'air ambiant ou l'eau de refroidissement.

En éliminant l'eau et en chauffant l'acide phosphorique et les sels avec la chaleur résiduelle, une polymérisation endothermique a lieu. Le produit polymérisé est porté à une étape suivante. Dans celle-ci l'eau est ajoutée, après avoir été condensée par refroidissement avec un dissipateur thermique et évaporée avec la source de chaleur résiduelle. La condensation de l'eau dans l'acide liquide et ses sels associés génère une forte réaction d'hydrolyse exothermique conduisant à une forte élévation de température du médium de travail dépolymérisé.

L'échauffement est relativement important car l'énergie de condensation de l'eau en combinaison avec l'énergie d'hydrolyse, en fonction du degré de polymérisation, est relativement élevée (estimée à 2.500 kJ/kg) en comparaison avec le pouvoir calorifique du médium acide phosphorique liquide (environ 1,6 kJ/kgK). Après l'hydrolyse et la condensation, les acides, les sels et le mélange aqueux sont renvoyés dans le premier réacteur endothermique et la boucle est bouclée. Contrairement à l'utilisation des pompes à chaleur conventionnelles, ce process fermé permet de minimiser les coûts d'exploitation et la consommation d'électricité.

Réaction exothermique et endothermique 
Erik Verdeyen (Q-Pinch) : « Chez Indaver, l'objectif principal était d'apprendre et d'analyser. Cependant, nous travaillons actuellement sur de nouveaux projets plus importants à l'échelle commerciale. Par exemple, nous travaillons actuellement sur une installation au département polyéthylène basse densité (PEBD) de Borealis. Il s'agit d'une puissance thermique résiduelle qui oscille entre 2 et 3 MW selon les sources d'approvisionnement. Fondamentalement, il s'agit d'une boucle de refroidissement d'eau provenant de la réaction exothermique. L'eau chaude à 140 °C est refroidie à 130 °C, produisant de la vapeur à 10 bars (G) qui est renvoyée en amont du réacteur exothermique.

Appliquée à grande échelle, elle offre un énorme avantage par rapport aux pompes à chaleur. (Photo Qpinch)

Notre système se compose d'un réacteur froid et d'un autre chaud. Entre eux se trouve une boucle fermée d'acide phosphorique et d'eau. Du côté froid, on met indirectement l'acide phosphorique en contact avec la chaleur résiduelle. Il en résulte une réaction dans laquelle l'eau est séparée des molécules d'acide phosphorique. De l'autre côté, on remet sous d'autres conditions l'eau en contact avec l'acide phosphorique et on obtient une réaction exothermique. À stipuler à propos de cette dernière réaction est qu'elle a lieu à une température beaucoup plus élevée en comparaison avec la réaction endothermique du côté froid. Ce principe est à la base de notre installation. »

Valable pour toute entreprise ayant une certaine puissance thermique résiduelle 
« En principe, notre système convient à toutes les entreprises disposant de chaleur résiduelle et capables également de la réutiliser en interne. Dans les entreprises où la puissance thermique est de l'ordre de centaines ou de milliers de mégawatts, les pompes à chaleur ordinaires sont trop énergivores. Avec notre solution, la puissance électrique requise n'est que de 3 à 4% de la puissance thermique disponible. Nous complétons donc le segment où les pompes à chaleur standards ne peuvent pas être utilisées.

Les raffineries, la pétrochimie, l'industrie agroalimentaire et papetière sont les secteurs typiques où notre technologie prend tout son sens.  En principe, l'impact sur l'installation existante est limité et nous travaillons également avec des composants industriels standards. Seuls un raccordement doit être prévu pour l'apport de chaleur résiduelle et pour la conduite de retour. Des longs temps d'arrêt ne sont donc pas exigés. »