Walter Buydens : "Un turbo chez Turbulent"

« Notre mini-turbine génère autant d'énergie qu'un terrain de football entier couvert de panneaux solaires », calcule Walter Buydens (63 ans) ; il est devenu en juin 2021 PDG du constructeur flamand de turbines hydrauliques Turbulent.

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Ingénieurs de haut niveau

( Photo: LDS )

ENGINEERINGNET.BE - La start-up de 2015 avait jusqu'en 2022 vendu au total tout juste quatre installations, de respectivement 15 kW, 30 kW, 50 kW et 70 kW. « Aujourd'hui, le bilan est de seize turbines vendues d'une moyenne de 50 kW. »

«J'avais envie de faire ‘quelque chose’ en Afrique relative à la sécurité alimentaire. Ce qui explique que je me suis retrouvé ingénieur agronome », explique Buydens, qui commençait ses études à Leuven en 1976. Aujourd'hui, le titre est celui de bioingénieur. « Mon grand-père était agriculteur. En été, nous allions lui prêter main-forte. »

À la maison, le jardin-potager et celui de plantes aromatiques le fascinaient. Mais ce sont surtout les images de la faim au Biafra (1967-70), au Bangladesh (1970) ... et le rapport du Club de Rome (sur les Limites de la Croissance, 1972) qui le remuaient profondément. « L'explosion démographique annoncée est actuellement une réalité.

Comment contrôler la poursuite de la croissance démographique ? C'est l'un des grands problèmes de la nature. Comment protégeons-nous les ‘autres bêtes’ ? Nous ne voyons plus les animaux qu'en cage. Nous observons une population d'insectes fortement amoindrie. Allons-nous devoir élever des insectes ? Ce sont toutes des bombes à retardement. Lorsque l'urgence viendra, lorsqu'elle sera vraiment urgente, il sera trop tard. »

Phytotechnie et hydroponie 
La phytotechnie, techniques qui étudient la production des plantes cultivées et l'hydroponie le fascinaient. C'était aussi l'époque des centres informatiques et des ordinateurs tournant sur cartes perforées. Pour sa thèse, il simulait la croissance du blé d'hiver.

« Les modèles de croissance de l'époque étaient déjà capables d'estimer la récolte avec une précision de 10%. » En tant qu'ingénieur agronome frais émoulu, en spécialité eau, il commençait immédiatement à travailler en 1981 comme assistant hydrographe au ministère des travaux publics. Il cartographiait les épaves et les bancs de sable en mer du Nord.

« J'y étais statutaire mais … il y avait encore tellement de choses à faire dans la vie », sourit-il. Il décrochait rapidement une bourse de l'IHE Delft Institute for Water Education. « Une étude internationale et pluridisciplinaire focalisée sur les aspects économiques et financiers. » Avec ce deuxième équivalent Mastère en poche, il pouvait commencer un doctorat en intelligence artificielle en 1984 à Delft. Il avait simultanément l'opportunité de travailler au Niger.

« Si je ne pars pas maintenant, je n'aurai jamais d'expérience internationale dans les économies ‘émergentes’ », pensait-il. Et il était parti. En tant qu'hydrologue à l'Organisation météorologique mondiale (OMM), il surveillait les cours d'eau et la sécheresse dans la bande sahélienne. Il simulait de sa propre initiative la désertification du Niger. Il concluait que le fleuve s'assécherait.

Cela ne s'était jamais présenté auparavant. Lorsqu'il tirait la sonnette d'alarme, il ne rencontrait qu'incrédulité et résistance des patrons français. « Je calculais cinq mois à l'avance que le fleuve se viderait le 5 mai 1984. Je ne me suis trompé que de deux jours. »

Plus de poids dans la balance 
Il décidait alors d'obtenir un doctorat après tout. Dépité car mal compris. Avec un doctorat, il voulait pouvoir mettre plus de poids dans la balance. « Pour avoir un impact. J'avais aussi vu ce que ‘développement’ signifiait. Les Français étaient au Niger pour les mines d'uranium, pas pour l'épanouissement des Nigérians. »

En 1987, six ans après l'obtention de son premier diplôme, il se rendait à la Cornell University (NY, USA) pour faire un doctorat en génie hydraulique et optimisation des ressources en eau. « J'y enseignais également en tant qu'assistant scientifique, donc je n'ai pas eu à payer de minerval. Parallèlement, il commençait à travailler comme consultant indépendant à la nouvelle division environnement de la Banque mondiale.

Il s'était marié un an plus tôt, sa femme l'avait suivi au Niger. « Nous y avons organisé une grande fête africaine. » Elle était diplômée et travaillait au Niger en tant que graphiste. Elle croquait des dessins de dinosaures trouvés dans le désert. Aux É.-U. elle était assistante en pharmacie, concevait des panneaux d'affichage en bois et travaillait à la bibliothèque de Cornell.

Grandiose pour une jeune famille. « La troisième année, nous partions aux Indes pour mes recherches sur site. » De grands projets d'irrigation, les ressources en eau, l'impact environnemental, économie et équité sociale … 

« Le pouvoir prédictif des modèles continuait à m'intéresser. Je les ai appliqués en Inde ; j'incluais également dans mes formules les aspects sociaux, comme l'optimisation de l'utilisation de l'eau et son pillage. »

« Notre technologie est au niveau TRL 9. Cela signifie qu'elle doit être déployée maintenant », déclare le PDG Walter Buydens, qui promeut également Hydra As A Service (HAAS). « En plus des kW, nous voulons également pouvoir vendre des kWh. » (Photo LDS)

Management et ventes 
Une fois cette étape doctorale franchie, la famille revenait en Belgique fin 1991. Il prenait la direction du cabinet d'ingénieurs-conseils en environnement ARIES/Royal Haskoning. « Cela m'a catapulté dans le management et la vente. »

C'était nouveau. Leur plan était d'éventuellement retourner sous les tropiques, mais cela ne s'est jamais produit. Leur premier fils naissait. La stabilité s'imposait. Chez Haskoning, c'était repartir de zéro. Après trois ans, Buydens devenait également le pionnier de l'anglo-américain ERM en tant que directeur associé. En Belgique d'abord et plus tard, à partir de 2001, également en France et aux Pays-Bas.

Les gens parlaient d'ERM Gaule. « Ce fut l'une de mes meilleures expériences. Quelques personnes vous accompagnent dans l'aventure et tout à coup, ça marche. Le Décret Sol était édicté et nous informions les garagistes et les concessionnaires automobiles. Nous étions en avance sur la loi. De là, nous nous étendions à d'autres domaines comme par exemple l'éducation environnementale.

Nous voyions le fruit de notre travail. Nous pouvions ‘récolter’. Rien que du bonheur. Fête. C'était aussi international. » En cours de route, en 1997-98, Buydens suivait quelques cours de courte durée à l'Insead « ce qui me comblait. C'est à recommander pour tout le monde. Si l'on dirige une entreprise, l'on n'est pas directement obligé de suivre un MBA ; cependant il est toujours utile d'aborder les aspects pratiques en rapport avec son poste. »

Nouvelle mission 
« Après douze ans, ma mission se terminait. » Il avait 49 ans, avait reçu pas mal d'offres mais se sentait trop identifié à ERM. Il optait pour la variation et pour ABO, en forte croissance, où il aidait à la conduite du changement. Moins d'un an plus tard, Royal Haskoning lui offrait l'opportunité de faire évoluer la division environnementale en Belgique et aux Pays-Bas, puis ensuite, globalement.

« Je pouvais diriger 480 personnes. » Cela le menait au Vietnam, en Indonésie, en Ukraine, au Gabon, dans les Balkans, en Roumanie. Il fondait également l'agence de Doha au Qatar. Une chose en amenait une autre. Trois ans plus tard, en 2014, Vito l'engageait pour créer Vito Middle East à partir du même Doha et plus tard également VITO Arabia LLC aux Émirats arabes unis.

« Ces fonctions commerciales me fixaient au Moyen-Orient pendant huit ans. » Toutes les trois à cinq semaines, il faisait la navette entre le travail et la famille. Il se faisait ensuite octroyer l'opportunité de devenir Group CEO du désamianteur belge Care for Future. Deux ans plus tard, en juin 2021, il était recruté via un chasseur de tête comme PDG du flamand Turbulent.

Vortex 
La turbine moyenne de Turbulent développe 50 kW. « Mais nous projetons également des pico-turbines de 800 W à 5 kW », déclare Buydens. Son focus en tant que PDG est désormais principalement axé sur l'augmentation de capital. Ce dernier est nécessaire pour produire plus mais aussi pour proposer un nouveau service : Hydra As A Service (HAAS).

« En plus des kW, nous voulons également pouvoir vendre des kWh. Le client paie alors moins à l'achat et nous partageons en partie le risque du rendement. Notre technologie est au niveau TRL 9. Cela signifie qu'elle doit être déployée maintenant. » Il calcule que les ingénieurs passent encore 20% de leur temps en R&D.

« Ils sont prêts à normaliser maintenant. » D'un autre côté, ils entrent toujours en action à chaque projet. « Nous calculons la taille des pales, la vitesse ou la lenteur de leur rotation, la taille du générateur et du réducteur. » Certains travaux de génie civil pourraient être préfabriqués, admet-il, mais … Ce n'est pas aussi simple que d'imbriquer une piscine dans sa pelouse.

Chaque situation est quand même légèrement différente. L'entreprise surveille les travaux et s'occupe également de l'entretien par la suite. « Nous créons un tourbillon et convertissons cette énergie potentielle en énergie électrique par un moulin hydraulique à rotation horizontale. De l'énergie potentielle à la prise, nous atteignons un rendement de 65%. » 

Il le compare au solaire (18%) et à l'éolien (20%). « Nous sommes à un niveau bien plus élevé. Le coût Levellized Cost of Energy (LCOE) de notre turbine est de 4 centimes d'euro par kWh. Nous sommes un concurrent valable de l'énergie solaire. « Notre turbine de 75 kW produit autant qu'un terrain de football entier couvert de panneaux solaires et nous n'avons pas besoin d'utiliser de terres rares pour cela. »

Respectueux du poisson 
« Nous produisons de l'énergie de manière écologiquement responsable. » Les centrales sont ‘à faible dénivellation’- sans aucune perturbation visuelle du paysage - et la turbine tourne lentement sous l'eau, silencieusement. Elle respecte également la nature piscicole. La vitesse relative d'un poisson est la même. La différence de pression entre l'eau entrante et la sortante est minime.

A peine 0,1 bar. Avec une turbine Kaplan traditionnelle, en revanche, la différence est de 2 à 3 bar. De telles différences de pression soudaines déchirent les organes internes des poissons. Ce n'est pas le cas avec Turbulent. Buydens n'a pas une crainte immédiate de la concurrence. En outre, la technologie brevetée (application en 2016, attribution en 2021), n'est pas non plus si facile à copier.

Pendant ce temps, le département R&D adapte les turbines au changement climatique. « Le débit des ruisseaux et des rivières changera. Nous fabriquons nos turbines ‘climate change proof’. » Le coût moyen oscille actuellement autour de 3.000 euros par kW. La turbine peut atteindre un rendement de plus de 60%. Cela se décline par des délais d'amortissement courts.

Le chemin de moindre résistance 
« En Belgique, selon nos calculs, il y a une capacité à atteindre allant jusqu'à 3 GW. » Le plus gros obstacle chez nous, ce sont les permis (environnementaux). « L'administration n'est pas familière avec la microhydra. On pense tout de suite à des barrages géants pour lesquels des populations entières doivent disparaître ...

Nous sommes donc principalement actifs ici en Wallonie, où c'est un peu plus facile administrativement qu'en Flandre. Mais aussi en France et en Angleterre. J'évolue sur le chemin de ‘moindre résistance’. » Ailleurs, c'était beaucoup plus facile. Par exemple là où une installation sera installée sur des canaux d'irrigation, avec des exemples à Taïwan et au Congo ; ou encore à la sortie de stations d'épuration, comme celle qui fonctionne pour Suez à Versailles en France depuis plusieurs années. 

« Nous recevons beaucoup de demandes. Cette année déjà près de 3.000 », compte Buydens, qui évoque également le problème des ventes réactives : « Quels types d’investissements suivre actuellement ? Je veux mener un marketing actif dans sept à dix pays. C'est pour cette raison que nous réorganisons actuellement le service commercial. »

Ensuite, bien sûr, la production doit pouvoir suivre mais il y a encore beaucoup de flexibilité dans ce département. Nous commençons également à sous-traiter certains ensembles. » Les délais de livraison sont de cinq à sept mois. Des partenaires globaux, généralement suite à des accords avec les soi-disant  Independent Power Producers , reçoivent une formation à Leuven. « Nous parvenons à résoudre la plupart des cas grâce à des vidéoconférences. »

Rentabilité proportionnelle à la grandeur d'échelle 
D'ici fin 2023, l'entreprise prévoit de connecter 1,6 MW. Elle vise 10 MW d'ici 2025. 2022 devrait dégager un chiffre d’affaires d'1,2 million d'euros ; puis environ 4 millions d'euros en 2023 pour passer à 20 millions d'euros d'ici 2025. « Pour une croissance rentable, il faut pouvoir travailler en clusters et déployer jusqu'à 10 MW pour un seul et même client. »

Buydens voit l'avenir dans des projets de plus en plus grande ampleur. La rentabilité de l'entreprise dépendra de la grandeur d'échelle. Mais cela requiert de l'argent. Il est actuellement à la recherche de 2 à 2,5 millions d'euros auprès d' ‘investisseurs à impact’ et d' ‘amis’ de Turbulent, prêts à prendre un risque. Il espère boucler ce tour de table d'ici la mi-novembre. Dans un tour ultérieur, il vise de 10 à 15 millions d'euros, pour pousser davantage la formule HAAS.

« Ensuite, l'électricité produite va générer des royalties, des kWh de revenus, mais étalés sur des années. Un capital est nécessaire pour faire le saut. À moins que nous ne puissions le générer nous-mêmes avec nos turbines. » L'incertitude géopolitique et économique du marché en fait un environnement difficile pour trouver de l'argent de nos jours. « D'un autre côté, tout le monde manque d'énergie. C'est l'avantage. »

Délai d'amortissement de 2,5 à 4 ans 
L'orientation commerciale n'est plus mise sur les pays en développement. Les premières turbines ont été installées en Estonie, près de Paris, au Chili et à Bali. Aujourd'hui, des livraisons sont faites aux É.-U., au RU, au Portugal, au Congo, en Thaïlande et à Taïwan.

« Nous regroupons plusieurs turbines de 50 kW et 75 kW sur un tronçon du fleuve. Cela nous permet d'atteindre jusqu'à 400 kW en cascade. Nos installations ont une période d'amortissement de 2,5 à 4 ans. Leur longévité est de 30 ans. C'est précisément pourquoi il est intéressant de travailler via la formule HAAS et de collecter soi-même une partie du rendement électrique. »

L'entretien est minimal. Changer l'huile tous les ans et la turbine tous les dix ans. « Nous surveillons toutes les installations depuis Leuven. Si un problème se présente, nous pouvons le traiter de manière préventive. » Turbulent emploie actuellement dix-sept personnes dont treize équivalents temps plein. Ingénieurs en mécanique, électricité et construction.

La technologie 
Le système de turbine de Turbulent fonctionne avec des composants modulaires, préfabriqués et facilement transportables : une turbine à vortex et une hélice en acier inoxydable, un générateur avec un réducteur, une commande automatique d'écluse qui gère le débit d'eau, et les ouvrages nécessaires, de la dérivation à un bassin en spirale dans lequel le tourbillon est créé, sur une rivière, un canal ou un ruisseau.

Ce vortex accélère l'eau circulant dans la turbine. Un rendement élevé à faible vitesse de rotation était l'option choisie. Les aubes de turbine sont soumises à la fois aux composantes tangentielle, axiale et radiale du vortex d'eau. Pour effectuer les calculs, l'expertise d'Actiflow (dynamique des fluides et conception fonctionnelle de la turbine à eau) et de VITO a été sollicitée. Une fois installé, le système fonctionne 24h/24 et 7j/7. Un contrôleur IEC-61131-3 surveille en permanence les performances pour la maintenance préventive.