ENGINEERINGNET.BE - La startup est issue de la R&D du groupe de recherche inBio de l’Université de Gand et de l’usine pilote Bio Base Europe et produit des biosurfactants microbiens durables à partir de flux de déchets de l’industrie agroalimentaire comme les fruits et les légumes périmés des supermarchés, les huiles de friture usagées, etc.
Avec cet investissement, l’entreprise va renforcer son équipe, élargir sa gamme de biosurfactants et s’orienter vers l’industrialisation. La construction d’une usine pouvant produire 2.000 tonnes annuellement dans une première phase est prévue.
Pour ce faire, la startup veut lever les fonds, cette année encore. « Notre usine représente au moins 20 millions d’euros », estime le bioingénieur Bernd Everaert (33), CTO d’AmphiStar, dont les laboratoires sont installés chez le bio-incubateur gantois VIB-PMV.
Une analyse du cycle de vie exceptionnelle et inspirante
Chaque année, quelque 20 millions de tonnes de surfactants sont produits dans le monde. Les surfactants - ou agents tensio-actifs - réduisent la tension superficielle d’un liquide, ce qui facilite le moussage, le mélange, … Ils se présentent sous de nombreuses formulations et sont utilisés dans des produits de soins personnels et domestiques, des savons aux cosmétiques, en passant par les encres, les peintures, etc. La startup innove avec l’interprétation des termes ‘bio’, ‘circularité’ et ‘processus de fermentation douce’ comme alternative aux matières premières fossiles et à base d’huile de palme.
La recherche à l’UGent est en cours depuis 20 ans. Après une analyse du cycle de vie en 2015, les chercheurs ont réalisé que même s’ils utilisaient des fermenteurs et démarraient leur processus avec des matériaux biosourcés, ils n’obtiendraient pas de meilleurs résultats que les autres en termes de durabilité ! « 80% de l’impact environnemental de notre produit provient de la matière première qui fournit les sucres ou les huiles – typiquement le colza – pour le processus de fermentation. Cela implique l’utilisation directe des sols, l’eau, les engrais, le désherbage, le transport, le traitement, … « Nous avions largement sous-estimé cet impact. » Il fallait donc procéder autrement.
« Avec AmphiStar, nous extrayons désormais des surfactants de déchets ou flux secondaires industriels disponibles localement, qui n’ont pas d’impact direct sur l’utilisation des sols, ne nécessitent pas de combustibles fossiles et n’affectent pas les cultures vivrières. » La plupart des surfactants sont produits chimiquement et peu biodégradables. « Les nôtres ne sont pas écotoxiques et bien biodégradables. Mais quand vous vous lancez sur le marché, c’est le coût et les performances qui comptent. »
« Les fossiles sont limités. Plus tôt nous laisserons le pétrole dans le sol, mieux ce sera », déclare la COO dr. Sophie Roelants (41), cofondatrice et CEO initiale. L’essor d’internet et des réseaux sociaux exerce une pression sur les grandes entreprises pour qu’elles atteignent leurs objectifs de développement durable.
« Je voulais commencer plus tôt », signale Sophie Roelants, qui est active sur la plateforme depuis 2009. Mais le timing est primordial, lui a expliqué le cofondateur, Wim Soetaert. Elle a d’abord obtenu son doctorat avant de se lancer dans une série de projets européens (du Biosurfing, Carbosurf au Waste2Func) et un projet IWT, portant sur une offre plus large/diverse de surfactants. AmphiStar a démarré il y a trois ans, en 2021.

Focus et évolution avec un concept à capex élevé
Le défi: un développement à capex élevé. « Nous parlons de ‘deeptech’, la modification de souches de levure, le prétraitement des déchets et des flux secondaires industriels, la production-fermentation et purification, la formulation, … » Pour la production, il est question de faire appel à des CMO’s (customer manufacturing organisation) ou des sous-traitants. « Les sous-traitants qui pratiquent la fermentation de précision en Europe et produisent pour l’industrie alimentaire et pharmaceutique, n’associent pas directement la transformation de ‘déchets’ aux ‘matières premières’. Difficile donc pour AmphiStar d’augmenter sa production en externe.
« Avec nos biosurfactants plus coûteux, nous devons nous intéresser à des produits à plus grande valeur ajoutée et plus chers. Pour passer à l’échelle, il fait baisser les prix et s’adresser à un marché plus large. » Aujourd’hui, la startup cible les soins à domicile et les soins personnels. Elle ne s’attend pas à remplacer à court terme la majeure partie des fabricants de produits chimiques. Le ‘green premium’ – ce que le consommateur est prêt à payer en plus pour un produit plus durable – n’est que de 10%. C’est le ‘cost of use’ – ou coût par performance – qui compte. Cela peut coûter un peu plus cher si le produit est plus performant. »
Un processus robuste
« Il s’agit de développer un processus robuste. Même si vous partez d’un flux impur, il faut être capable à un moment d’extraire vos matières premières. » Dans le cadre du projet européen SurfsUp, AmphiStar collabore avec l’entreprise estonienne Fibenol qui veut valoriser la sciure de bois. Cela concerne les sucres C5 et C6 pour produire les surfactants.
Les déchets ne sont pas gratuits. L’un des flux qu’AmphiStar exploite parfois est la graisse de friture usagée. La forte demande de l’aviation qui l’utilise comme biocarburant a pour effet étrange que l’huile usagée est parfois aussi chère que l’huile de colza en magasin. AmphiStar ne veut pas devenir un collecteur de déchets. « Nous préférons la ‘co-location’ avec les flux de déchets utiles », explique Bernd Everaert.
Go-to-market
Il y a trois ans, AmphiStar lançait un modèle de licence. « Nous avions remarqué que les producteurs de surfactants chimiques ne savent rien d’un processus biologique. Il y avait de l’hésitation. » La startup n’avait pas encore levé de fonds. « Chaque modèle de licence exige de la crédibilité. D’un autre côté, les marques ont trouvé notre approche ‘super intéressante’. Elles veulent donc les produits. Mais qui va se charger de la production ?
Nous avons vite compris qu’il fallait assurer la première production. Nous nous concentrons désormais sur un modèle de production. Mais si une partie veut un accord de production, nous n’y sommes pas opposés. »
Les études d’ingénierie de la première usine sont en cours. Elle devrait produire 2.000 tonnes d’ici fin 2027, peut-être dans le port d’Anvers sur l’ancien site d’Opel, NextGen. D’ici un an, une trentaine de personnes rejoindront AmphiStar qui comptera 55 personnes. Cette usine de démonstration continue nécessitera des fonds supplémentaires. Aujourd’hui, trois ans plus tard, l’entreprise veut s’orienter vers une co-location avec un partenaire commercial, une bioraffinerie, un collecteur de déchets … et une usine d’au moins 20.000 tonnes.
« Nous envisageons de créer des joint-ventures avec des entreprises. » Nous cherchons des accords de développement conjoint avec des acteurs du marché qui souhaitent co-investir dans la R&D. « L’avenir d’AmphiStar réside dans les nouveaux biosurfactants du portefeuille, mais il faut poursuivre la R&D. Nous discutons avec des petites, moyennes et grandes entreprises, des marques privées et des distributeurs. Nous explorons des stratégies de mise sur le marché. Plusieurs nouveaux produits sont dans le pipeline. »
Biosurfactants
Un surfactant diminue la tension superficielle d’un liquide, ce qui facilite la formation de grandes surfaces. Si on ajoute un peu d’agent tensioactif, comme du liquide vaisselle ou du savon à l’eau, on peut faire des bulles mais aussi permettre à l’eau et au savon de pénétrer plus facilement dans les textiles. Les surfactants sont utilisés dans les liquides vaisselle, les détergents, les gels douche, les shampoings, les dentifrices, les crèmes pour la peau, les encres, les peintures, les colles … Il existe de nombreux types, chacun ayant des propriétés spécifiques. Les surfactants amphiphiles, par exemple, possèdent à la fois une partie hydrophile et une partie lipophile. Une application demande parfois un cocktail de surfactants pour équilibrer les propriétés.
Chaque année, environ 20 millions de tonnes de surfactants sont produits. « Le problème, c’est que 98% des surfactants sont produits de manière non durable. 45% sont fabriqués à partir de matières premières fossiles. Environ 50% sont en partie d’origine fossile et végétale, mais il s’agit généralement d’huile de palme tropicale associée à la déforestation. » Les 5% restants sont des surfactants biosourcés, produits chimiquement à partir d’huile de palme et de sucres. « Moins d’un centième est le produit de micro-organismes et d’extraits de plantes, comme les saponines ou la noix de cajou ‘savonneuse’. »
Modification génétique
AmphiStar parvient à diversifier son offre en surfactants en modifiant génétiquement les micro-organismes responsables de la fermentation ciblée. Contrairement aux OGM dans l’agriculture et au risque de perte de biodiversité, leur fermentation ou production a lieu dans des systèmes fermés. L’utilisation est confinée. L’OGM est séparé du surfactant, il s’agit donc de dérivés d’OGM. D’autres produits dérivés d’OGM sont couramment utilisés dans les détergents, les jus de fruits (sans pulpe), la production d’insuline, … « Des micro-organismes sûrs et des mutations qui pourraient se produire dans la nature », d’après la COO dr. Sophie Roelants.
AmphiStar, le nom fait référence aux molécules ‘amphiphiles’, aux liaisons chimiques qui ont à la fois des propriétés hydrophiles et lipophiles, c’est-à-dire les surfactants. ‘Star’ fait référence à la levure spécifique qui a tout déclenché : la Starmerella bombicola. Isolée dans les années ’70 à partir de miel de bourdon, cette levure produit des surfactants aux propriétés antimicrobiennes. « On peut utiliser la chimie verte pour décomposer nos surfactants et développer d’autres molécules. Avec l’ozone, il est possible de fabriquer des surfactants à chaîne courte aux propriétés particulières. »AmphiStar a ses laboratoires chez le bio-incubateur gantois VIB-PMV qui abrite une vingtaine de startups biotechnologiques.