ENGINEERINGNET.BE - Cette nouvelle formation à la KU Leuven est unique en Flandre. Il existait déjà un master-na-master anglais en IA et des options IA dans d’autres orientations mais cette formation s’adresse spécifiquement aux ingénieurs.
« La société a de plus en plus besoin d’ingénieurs capables d’appliquer l’IA dans des environnements complexes et de développer les techniques IA », explique Jelle De Borger, responsable communication à la Faculté des Sciences de l’ingénieur de la KU Leuven. « Un ingénieur ne doit pas utiliser l’IA aveuglément mais l’intégrer dans une approche systémique plus large. Ce n’est pas une fin en soi mais un outil puissant dans un puzzle plus vaste. »
ette approche d’ingénieur typique est, selon elle, le cœur de la formation. « Les ingénieurs pensent en termes de solutions, partent notamment des mathématiques, des sciences informatiques, de la physique et de la chimie puis traduisent les connaissances en des applications. Nous transposons désormais cela à l’IA. Il ne s’agit pas d’une formation en mathématiques appliquées, en sciences informatiques ou en électronique mais d’un cours sur les aspects techniques de l’IA. »
Le nouveau master répond à la large applicabilité de l’IA dans les secteurs classiques comme la construction et la mécanique mais aussi dans la logistique, la chaîne d’approvisionnement, les soins de santé et même l’enseignement. « Nous voulons former des ingénieurs capables de faire la différence dans chaque domaine », souligne Jelle De Borger.
« C’est pourquoi la formation comprend également des cours sur l’éthique, la cognition et la philosophie. L’IA demande beaucoup d’énergie, elle peut être utilisée à mauvais escient et soulève des questions sur la vie privée et les rapports de force. Nous voulons des ingénieurs capables d’assumer cette responsabilité. L’IA ne concerne pas que la technologie mais aussi la manière dont vous la gérez de manière consciente et critique. Voilà pourquoi les étudiants apprennent à construire des modèles et à réfléchir aux implications sociétales. »

Jelle De Borger souligne l’importance de la perspective humaine. « Notre formation est fondée sur la recherche. De nombreux professeurs participent à la recherche de pointe sur l’IA et partagent leurs connaissances avec des professeurs étrangers. Parallèlement, nous continuons d’investir dans la pédagogie, l’interaction et l’éthique. » L’IA n’est pas seulement enseignée dans la nouvelle formation mais s’infiltre dans d’autres formations de la KU Leuven.
« Pas toujours comme une matière à part entière », souligne Jelle De Borger, « mais comme un outil : des transcriptions automatiques, la reconnaissance vocale, l’analyse de données … Les étudiants doivent pouvoir utiliser l’IA pour renforcer leur travail, sans suivre aveuglément ce que dit le système. »
Le master dure deux ans. Les premiers étudiants seront diplômés l’année académique prochaine. « Les réactions sont déjà positives. L’IA n’est plus un effet de mode, c’est une évolution structurelle. Notre formation doit évoluer avec la technologie et les besoins sociétaux. » La Faculté vise une niche importante.
« Compte tenu du contexte géopolitique, nous sommes constamment confrontés à des nouveaux défis. Il devient par exemple de plus en plus difficile de déterminer les informations qui sont réelles et fiables. » Les premiers étudiants travaillent sur le master initial. « Ils ont commencé par une licence en sciences de l’ingénieur et seront, à l’issue de cette formation, des experts en IA actifs dans des entreprises de haute technologie, des instituts de recherche et des universités, des institutions financières et économiques, des administrations publiques, les startups et scale-ups, mais aussi dans le monde pharmaceutique et biomédical, la recherche, le développement et la consultance. »
Le recrutement international est un must
Senior manager au cabinet de recrutement international Robert Walters, Jülide Tunali se consacre depuis 15 ans au pourvoi de postes d’ingénieurs stratégiques à Istanbul mais aussi en Espagne, en Italie, en France, en Allemagne et, depuis sept ans, en Belgique. Elle constate chaque jour à quel point la demande de profils possédant des connaissances en IA, analyse de données et automatisation augmente.
« Trop peu de personnes possèdent les compétences requises. Dans des domaines comme la production et la chaîne d’approvisionnement, on constate parfois que cinq entreprises d’une région recherchent les mêmes profils. La lutte pour attirer les talents est alors intense », explique-t-elle. « Industrie 4.0 est en plein essor mais nous n’avons pas assez de personnes en Belgique pour lui donner forme. Je peux recruter partout dans le monde, mais les employeurs belges sont souvent trop traditionnels à cet égard. »

Elle appelle donc à regarder au-delà des frontières linguistiques et nationales. « Les profils internationaux sont souvent techniquement performants mais ils se heurtent aux barrières linguistiques en Belgique. De nombreuses entreprises industrielles ne sont pas établies à Bruxelles, Anvers ou Gand mais dans des petites villes ou des villages. Le néerlandais y est indispensable, ce qui limite l’afflux. La Belgique doit s’ouvrir davantage sinon nous perdrons des talents. Notre production se déplace vers des pays où les coûts sont moins élevés et où l’IA est utilisée pour contrôler la production à distance. Comment allons-nous résoudre ce problème ? Si l’IA se développe et que nous continuons à refuser les candidats internationaux capables de transformer cette technologie, alors nous faisons fausse route. »
Un couteau suisse dans une usine
D’après Jülide Tunali, les organisations mettent trop souvent l’accent sur des critères rigides comme la maîtrise des langues, en particulier l’anglais, lors du recrutement. « Si vous ne parlez pas anglais, vous ne pouvez pas être intégré au monde numérique. L’ingénieur de demain doit avant tout posséder des qualités interpersonnelles. Le capital humain reste une priorité. Sans les humains, les cobots ne peuvent pas fonctionner. Certaines fonctions peuvent disparaître à cause de l’IA mais cela n’entraîne pas de chômage. Il est important de recycler les fonctions dans l’organisation. C’est aux ingénieurs de l’entreprise de réaffecter les personnes. Le robot ne peut pas reprendre la culture, l’ADN de l’entreprise. Il faut un leader humain pour inspirer et diriger l’usine car les robots ne le feront pas. »
L’IA s’immisce également dans le monde du recrutement mais Jülide Tunali reste prudente. « Certaines entreprises expérimentent des entretiens d’embauche pilotés par l’IA. L’un de mes candidats a passé un entretien avec un robot, sans retour humain. Il ne s’est pas senti entendu. Cela ne fonctionne pas, surtout avec les profils stratégiques. L’IA peut accélérer les processus mais le jugement humain fait défaut. Un recruteur voit plus qu’un CV : il sent si une personne va s’intégrer dans une équipe, si elle a un potentiel de leadership. Cela reste un travail humain. » La dimension éthique prend plus d’importance dans le domaine professionnel, remarque Jülide Tunali.
« Les entreprises ont besoin de personnes capables de regarder au-delà de leurs écrans. L’IA n’est pas neutre. L’ingénieur de demain doit avoir une capacité d’évaluation : que construit-on, pourquoi et pour qui ? Quelles sont les conséquences si nous nous trompons ? L’IA est un moyen, pas une fin. Elle peut nous aider mais elle ne peut pas nous remplacer. Il faut renforcer les personnes, pas les déplacer. Nous voulons des ingénieurs qui soient à la fois des IT’s, des communicateurs, des project managers et des analystes. Ils sont les couteaux suisses de demain : polyvalents, rapidement adaptables et orientés vers l’humain. » D’après la chasseuse de têtes, les compétences relationnelles deviennent plus importantes.
« L’ouverture aux autres cultures, la flexibilité, la communication – voilà ce qui est déterminant. La technique s’apprend, mais l’attitude vient de l’intérieur. »