ENGINEERINGNET.BE - «En août 1981, mes parents érigeaient une usine de batteries. J'avais dix ans. » La voiture a été sortie du garage, les étagères s’alignaient contre le mur, quelques batteries dessus et l'affaire a démarré. « Quand j'avais quatorze ans, papa est entré dans ma chambre et m'a demandé si je continuerai l'entreprise plus tard. Moi : oui bien sûr. Marché conclus alors. »
Quatre ans plus tard, il voulait quand même encore poursuivre ses études. « Encore quatre ans plus tard, avec mon master en poche, il n'y avait plus d'excuse. » Après papa et maman, il devenait le troisième dans l'entreprise familiale : Emrol. « J'avais le monopole de la sagesse et mon approche serait différente. Papa a souri. J'ai finalement embauché du monde et l'entreprise a grandi. Nous avons continué de croître, à l'exception de l'année de crise de 2008. Des bénéfices ont bien été réalisés de la première à la quarantième année. »
Il en est à juste titre fier. Il a également cerné d'autres opportunités au sein de l'activité batteries. Il a fusionné trois acquisitions dans l'entreprise et en a créé deux autres qu'il a ensuite vendues. Au moment d'aller sous presse, on apprend qu'Emrol a été vendu à l'américain Ecobat. « Soit je devais grandir de manière inorganique, soit laisser l'entreprise à d'autres, ce que j'ai finalement choisi », explique Stefan Louis. « Ecobat est une entreprise américaine de plus grande envergure qui est à la pointe du recyclage. Avec ça, je peux maintenant me concentrer pleinement sur l'Inde. »
Les ficelles du métier
Il lançait par exemple Fullriver Europe début 2011 pour vendre les batteries du fabricant chinois. Et en 2012, Trineuron était portée sur les fonts baptismaux. « J'ai perçu une forte croissance du lithium. » En tant qu'actionnaire unique, il a finalement choisi de vendre l'entreprise et de « croître judicieusement ». Pour des actions du suisse Leclanché.
« Il y a six ans, en 2015, la Suisse me faisait des appels du pieds. » Il n'y résistait pas. « Pour la première fois, j'ai travaillé pour un patron. Dans ma carrière, j'ai tout appris et tout fait moi-même. Travailler pour une entreprise est différent. Je dis aujourd'hui à mes enfants : « Il faut absolument devenir indépendant, mais pas au commencement. Apprenez d'abord les ficelles du métier autre part, dans une organisation ayant pignon sur rue. Leclanché investit massivement dans la technologie depuis plus d'une décennie et a besoin de plus en plus d'argent frais. Un management intensif s’impose. Cela offre une expérience complètement différente que celle de démarrer sa propre entreprise au premier jour. Emrol, c'était ‘achat et vente’ aux cycles très courts et des rotations rapides de stock.
Ce dernier était vendu tous les deux mois. Plus cette roue peut tourner, plus de sous tombent dans l'escarcelle. Dans une entreprise technologique, cela demande plus de temps, de patience et de ressources. J'y ai appris ce qu'est le capital-risque. » Travailler pour un patron n'est pas toujours aisé. « Ma personnalité me permet de respecter les aînés qui ont une vue d'ensemble. Si vous ne comprenez pas une décision et l'exprimez, le manager doit pouvoir l'expliquer. Chez Leclanché je suis membre du Comité Exécutif. J'ai un aperçu du comment et du pourquoi. » Leclanché essaie de vendre non seulement ses produits mais aussi sa technologie. « Exide Leclanche Energy est né de cette maxime, avec Nexcharge comme marque. »
Culture locale
Louis a eu sa première expérience internationale avec Trineuron. Travailler en Suisse et maintenant aussi aux Indes est enrichissant pour lui. « Grandir au sein d'une culture locale vous en fait ignorer les composantes et les êtres humains qui en font partie. Vivre ailleurs ouvre les yeux. » En tant que distributeur du fabricant chinois de batteries, par exemple, il a constaté qu'un autre distributeur avait également été désigné en Belgique.
« Un Européen de l'Ouest penserait qu'une relation à long terme vous éviterait ce genre d'aléas. Ce n'est donc pas le cas. Dans la mentalité chinoise, une nouvelle demande est une excellente nouvelle et le demandeur recevra la même liste de prix que le distributeur fidèle. À tomber le cul par terre. Le respect entre le fournisseur et le distributeur est quelque chose d'occidental et ne fait pas partie de l'homme », ainsi l'apprenait Louis.
« Cela ne rend pas la démarche chinoise erronée, mais bien différente. L'expérience internationale donne un aperçu de sa propre culture. J'aime beaucoup cette orientation internationale, c'est une valeur ajoutée. Cela crée également des opportunités pour faire des affaires dans son propre pays ou marché. »
Mais pourquoi aller si loin ? Techniquement, il se sentait bien armé. Exide Industries n'est pas non plus des moindres. L'entreprise, leader avec 60% de part de marché, a opté pour le lithium-ion. L'Inde a une culture politique stable. Il y a beaucoup de pollution. Le gouvernement encourage le transport électrique … « Vous avez tous les atouts en main pour réussir : un marché, de l'argent et la technologie. Je peux avoir un impact sur le transport électrique. C'est pourquoi je me suis engagé. Passer de la Suisse aux Indes plus chaotiques a bien été une adaptation. »
Ingénierie Jugaad
Exide Industries est une société indienne qui a pris une licence il y a environ septante ans pour la technologie des batteries au plomb. Le nom suivait le brevet. « Depuis trois quarts de siècle, l'entreprise est rentable et saine et a déjà fourni des pionniers du véhicule électrique. » Leclanché cherchait un partenaire aux Indes. Un plus un fait trois. « J'ai élaboré le business plan et élaboré le projet avec l'équipe de direction. Avec mes hypothèses occidentales. J'étais complètement à côté », dit Louis en dodelinant de la tête.
« L'Inde a des besoins très différents de ceux du reste du monde. Il n'y a pas de marché plus difficile pour les batteries. Le climat est chaud et humide. Les routes sont en mauvais état. Les batteries doivent pouvoir résister à ces aléas. Les gens ne sont pas intéressés à payer plus pour cela. » Et puis, il y a la culture de la négociation. « Si vous ne comprenez pas pleinement la valeur pour le client lors du développement de votre produit, vous perdez votre temps. Les produits sont dépouillés jusqu'à l'os en termes de coût. » Cela a parfois un impact sur la qualité. En Inde, vous êtes confronté à la soi-disant ingénierie Jugaad. Une approche flexible de la résolution de problèmes en utilisant vos ressources limitées de manière innovante. Simplement : s'arranger pour que cela fonctionne.
Un ‘quick fix’. Louis l'appelle aussi ‘l'ingénierie frugale’ : le processus qui réduit la complexité et le coût d'un produit et de sa production. Pour ce faire, vous retirez les articles non essentiels du produit le plus durable. « C'est une méthodique journalière. Les gens d'ici sont curieux. Si quelque chose ne fonctionne pas, ils attrapent un tournevis et ... Ici, vous devez donc rendre les choses démontables et sûres. Vous n'y trouverez pas un Brico. Mais bien des petits commerces spécialisés, dans un garage box. La Belgique des années 1970, peut-être. Non mondialisée. Une culture locale. »
Outil de production
« Ma mission consiste à monter une usine. L'outil de production est actuellement opérationnel. D'ici quelques mois, tout tourne à plein régime », explique Louis. « Nous achetons les cellules. Nous les assemblons et y ajoutons l'électronique (matériel et logiciel). Nous en fabriquons des modules. » Des packs de batteries. « Nous planifions entre-temps déjà la prochaine phase. » Actuellement, la cellule lithium-ion est toujours importée. « Les trois quarts de la production mondiale vient de Chine. Nous voulons bientôt changer la donne. Nous planifions la production de cellules. »
Louis parle d'un investissement de 400 à 500 millions d'euros. « Une décision finale quant à ceux qu'Exide Industries impliquera dans la nouvelle joint-venture n'a pas encore été prise. » À l'origine, en 2018, on espérait encore avec enthousiasme que la ligne d'assemblage de modules et de batteries serait opérationnelle à la mi-2019. Le pronostic actuel est qu'une usine de cellules lithium-ion devrait être opérationnelle vers la mi-2020. D’ici-là, les cellules proviendront de l'usine de Leclanché à Willstätt, en Allemagne.
Le retard a plusieurs causes. Lorsque le business plan initial nécessitait des ajustements, il était nécessaire de se faire une idée plus précise des exigences du marché et de définir une stratégie en conséquence. Recruter les rares ressources techniques expérimentées est chronophage. Il y avait la Covid-19 aussi. En outre, il y avait aussi des complications géopolitiques entre la Chine et l'Inde relatives à la fourniture de produits et l'embauche d'ingénieurs pour construire les lignes de production.
Mobilité sur batterie
Quelle idée d'aller implanter une usine de batteries en Inde ? Louis explique que l'Inde importe beaucoup de pétrole. Cela crée une dépendance. Le pays a une mauvaise réputation en matière de pollution de l'air. En hiver, l'air de Delhi est à peine respirable. Mais le gouvernement prend des mesures. Les bus de la ville de l'État seront entièrement électriques. Cela concerne 5 000 véhicules dans une première phase. De forts investissements sont réalisés en énergie photovoltaïque. Des installations au niveau du Gigawatt sont mises en ligne. Le gouvernement soutient ceux qui achètent un véhicule électrique …
L'usine de batteries lithium-ion d'Exide Leclanche Energy dans le Gujarat a une capacité de production annuelle de 1,5 GWh de packs de batteries. La production sera principalement destinée au marché indien. L'actionnaire majoritaire Exide Industries a investi plus de 26,5 millions d'euros dans l'usine. Leclanché apporte sa PI et son savoir-faire à la JV. Les batteries lithium-fer-phosphate et lithium-nickel-manganèse-cobalt sont assemblées. L'usine compte environ 160 collaborateurs. Ils seront 200 d'ici la fin de l'année. Exide Leclanche Energy dispose de deux autres sites de R&D à Bangalore avec une cinquantaine d'ingénieurs. L'objectif de la JV est clairement le e-transport.
« Tout ce qui roule. E-bus, e-wheelers et e-rickshaws, mais nous ciblons également les systèmes de stockage fixes, les télécommunications (industrielles et résidentielles) et les applications spéciales. » Par exemple, une batterie a été fournie dans un conteneur à un distributeur d'électricité qui l'a placée à côté d'un hôpital pour assurer la stabilité du réseau. En Inde, les scooters et les motos sont le moyen de transport le plus populaire. 80% de ces derniers sont de cylindrée inférieure à 125 cc.
Le plus grand constructeur mondial de deux-roues, Hero MotoCorp, a une capacité de production annuelle de 9 millions d'unités. « L'analyse de rentabilisation de l'électrification est déjà rentable aujourd'hui », calcule Louis. « Cela ira vite. » Certains aspects favorisent la transition. La batterie d'un deux-roues par exemple est portable. La recharge peut donc se faire à domicile. Le réseau électrique étant souvent surchargé, la plupart des ménages disposent déjà d'un onduleur et de batteries domestiques. Le stockage d'énergie résidentiel n'est pas nouveau. « La distribution d'électricité en Inde n'est pas la meilleure au monde, mais la transmission est correcte. »
Recyclage
« Nous fabriquons également des batteries interchangeables. » Un autre constructeur indien, Ola Electric, construit une usine à Pochampalli (Tamil Nadu). Elle devrait à terme être en mesure de fabriquer 10 millions de scooters électriques par an. Soit 15% de tous les e-scooters électriques au monde d'ici la mi-2022. Cet été, les premiers modèles de la gamme étaient proposés à un prix d'environ 1.200 euros pour un scooter entièrement équipé. Avec tableau de bord, moteur de 5 kW, batterie à l'autonomie de 180 km et une vitesse de pointe de 118 km/h. « Fréquemment, la solution est issue d'une organisation d'envergure injectant des fonds pour devenir un leader du marché.
Tout comme Panasonic, LG et Samsung ont investi des milliards dans le lithium-ion, il en sera de même pour l'hydrogène. » Que vous importiez du pétrole ou des matières premières pour les batteries au lithium, la dépendance demeure, non ? « Vous pouvez recycler les métaux lithium aussi souvent que vous le souhaitez. » Exide Industries est depuis un certain temps active dans le recyclage des batteries plomb-acide et recyclera également en temps voulu les batteries au lithium. « Le recyclage assure la stabilité du prix des matières premières. Cependant, une ‘boucle fermée’ requiert du volume et l'Inde n'en est pas encore là. »
Cela prendra encore quelques années
Avec cette joint-venture, Nexcharge passe par un processus d'intégration en amont. « Vous commencez par acheter et vendre des batteries. Puis vous traitez des batteries plus complexes et développez des systèmes de gestion de batterie pour finalement également produire les cellules. » Pour Louis, l'ensemble du projet est une expérience d'apprentissage. « Extrêmement stimulant et très motivant. Je peux compter sur un Conseil d'Administration professionnel que j'apprécie beaucoup. Il y a aussi de bons ingénieurs. »
Le coronavirus et le travail à domicile lui ont permis d'avoir plus de temps pour faire de l'exercice (vélo, yoga …) et vivre une vie plus saine, manger végétarien. Un chauffeur le conduit. Il est le seul étranger dans l'entreprise. « Je serai encore ici pour quelques années. Certains charmes de mon pays d'origine me manquent bien. »