Satellites à basse altitude

Le lien entre le secteur spatial et la défense est très étroit dans le cas des nouveaux satellites à orbite terrestre très basse (VLEO). La société Redwire Europe, à Kruibeke, est l’une des premières à construire un tel satellite.

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Engineering

( Photo: Redwire )

ENGINEERINGNET.BE - L’intérêt des satellites VLEO n’est cependant pas que militaire. Les orbites plus courantes (entre 500 et 800 km d’altitude) deviennent en effet saturées, et il y a aussi le problème des débris spatiaux.

Suivant l’effet Kessler, chaque débris dans l’espace augmente le risque de collision avec un satellite, et chaque nouvelle collision génère exponentiellement plus de débris, qui restent en orbite pendant des années. Il arrive un moment où le risque de collision devient si grand que certaines orbites sont impraticables.

Une orbite VLEO contient en revanche beaucoup moins de débris puisque, à très basse altitude, l’orbite des débris et des satellites se « dégrade » continuellement de sorte qu’après quelques mois ils finissent par s’enflammer dans l’atmosphère. Revers de la médaille : le maintien d’un satellite sur une telle orbite requiert une propulsion pour le « remonter » occasionnellement. De plus, ces orbites sont perturbées par certains phénomènes atmosphériques. Y déployer un satellite qui puisse y survivre plusieurs années est donc un défi. Le satellite SkimSat – développé conjointement par Redwire Europe et le britannique Thales Alenia Space pour la mission SkimSat de l’ESA – doit démontrer que c’est possible.

Le travail ne part pas de zéro. Entre 2009 et 2013, le satellite européen GOCE, un des tout premiers vaisseaux VLEO, avait réalisé des mesures de gravité à 260 km d’altitude. Ces données sont toujours en cours d’analyse aujourd’hui. À cette très basse altitude, la résolution de l’image et le rapport signal/bruit sont (bien) meilleurs : on obtient de meilleures résolutions avec des caméras moins chères, ou on peut voir beaucoup plus avec des caméras plus chères.

De plus, communiquer requiert moins de puissance, la latence est meilleure et la détection (RF, instruments à micro-ondes, …) plus performante. L’électronique des satellites est sensible aux radiations, mais l’orbite VLEO permet l’utilisation de composants conventionnels, moins durcis. Naturellement, il y a aussi un intérêt militaire. Il y a aussi le défi de l’oxygène atomique, très corrosif pour certains matériaux. On cherche des revêtements et d’autres solutions pour lutter contre la dégradation des panneaux solaires, caméras, etc.

De nombreux défis à relever 
Redwire (voir encadré 1) développe deux types de satellites VLEO. Aux États-Unis, ils travaillent sur le SabreSat, qui aura une propulsion électrique « à prise d’air », développée par la DARPA (programme Otter). Ils conçoivent aussi la plateforme Phantom, qui portera le satellite européen SkimSat, avec une propulsion plus classique, mais aussi électrique, et non chimique. Pour compenser la friction, un gaz – xénon, krypton ou autre – sera ionisé et expulsé par bouffées de quelques dixièmes de Newtons. « Notre partenaire britannique, Thales Alenia Space, est responsable de la mission de démonstration et du système de propulsion. La plus grande partie est développée et intégrée par nos soins », dit Frank Preud’homme (58 ans), directeur du développement commercial de Redwire Europe.

Phantom, la plateforme VLEO européenne de Redwire, vue de face. (Photo : Redwire)

La plateforme Phantom, que Redwire Europe se charge d’intégrer, pèsera moins de 300 kg pour une charge utile de 50 kg. Sa conception aérodynamique réduira la friction et donc la consommation de carburant. « Pour définir la structure et la forme du satellite, nous effectuons des tests (de simulation) en collaboration avec l’Institut Von Karman (VKI) », explique Preud’homme. La Charte Zéro Débris exige que l’engin transporte le carburant nécessaire pour quitter son orbite et s’enflammer dans l’atmosphère au bout de 5 ans.

L’idée à plus long terme est de ne plus transporter de gaz du tout mais de voler assez bas pour prendre de l’air ou de l’azote. Un satellite à prise d’air, donc.  « Cette technologie, qui n’est pas encore au point, permettrait de rester indéfiniment dans l’espace. C’est une évolution que nous envisageons. » Cela fonctionnera-t-il dans la pratique ? « L’ionosphère, au-dessus de 100 km, n’a pas encore été suffisamment étudiée », répond Preud’homme.  
Descendre un satellite de 500 à 250 km d’altitude – c.-à-d. d’une orbite basse (LEO) à très basse (VLEO) – pour « prendre de l’air » avant de remonter,  
« c’est le rêve des militaires, mais actuellement c’est physiquement impossible : cela exige toutes sortes de précautions supplémentaires. »

À très basse altitude, l’oxygène atomique (ATOX) et les particules chargées dégradent toutes sortes de matériaux. « Nous perdons de la matière, quelques dixièmes de millimètres. Les matériaux doivent être choisis avec soin pour cet environnement », explique Akos Haasz (35 ans), chef du projet SkimSat chez Redwire Europe. L’altitude des satellites VLEO changera selon les cycles solaires car ceux-ci modifient la densité de l’air. « La différence peut être de quelques dizaines de kilomètres. »

La plateforme DEMSI (Digitally Engineered Mission Systems & Integration) de Redwire soutiendra les programmes VLEO. Elle s’appuie sur des modèles physiques et de météo spatiale pour contrer la friction atmosphérique et la dégradation des matériaux causée par l’oxygène atomique. Le lancement est prévu pour 2027 au plus tard. « Ça devient même un peu court », admet Preud’homme. Le but est de rester opérationnel pendant 5 ans. 

« Pour la mission de démonstration, nous misons sur un budget de développement de 20 millions €. Le projet avait été mis en veilleuse un moment pour des raisons financières, mais nous venons de reprendre ». La propulsion électrique reste un défi. « Nous recherchons une alternative plus mature, mais même dans ce cas il faut toujours modifier le satellite ».

Motivations 
« Phantom et SabreSat sont des produits Redwire, mais l’Europe et l’Amérique ne collaborent pas au niveau technique. Il y a des restrictions à l’exportation pour ce type de technologie », explique Haasz. « Pour SkimSat, nous développons un seul et unique engin. La mission de démonstration doit prouver le concept d’orbite VLEO », précise Haasz.

« Nous éliminons les risques techniques. Mais des commandes ultérieures seront possibles. C’est pourquoi tout le monde veut aller vite. Le délai de commercialisation est crucial, c’est une vraie course contre la montre. » Aujourd’hui, le projet en est encore au stade de conception préliminaire, mais l’équipe de Haasz prépare déjà la phase suivante : la conception détaillée. Après l’« examen critique du design », ils commenceront à fabriquer les composants, et ensuite …

(photo: Redwire)

Les vaisseaux VLEO se justifient donc par la congestion des orbites plus hautes et le risque posé par les débris spatiaux. « Pour éviter le risque de collision, faible mais réel, des systèmes de surveillance et d’évitement des débris de plus en plus performants existent. » Mais la possibilité de pouvoir glisser vers les orbites plus basses avec des technologies quasi standard motive aussi.

« Nous utilisons à la fois des composants disponibles sur le marché et nos propres composants. Notre avionique est conçue en interne », précise Haasz. Un 3ème avantage des VLEO est d’éviter le coût élevé d’équipements de plus en plus complexes. « L’altitude deux fois moins haute des VLEO permet d’obtenir une qualité identique, si pas supérieure, avec un équipement moins bon et moins cher. »

Cadre 1: Verhaert, Qinetiq, Redwire 
Frank Preud’homme (58 ans), directeur du développement commercial de Redwire Europe, a rejoint l’entreprise de Kruibeke quand elle s’appelait encore Verhaert et comptait 5 employés. « Lorsque l’anglais Qinetiq a repris l’activité en 2005, il était question de bâtir une entreprise européenne. Mais 15 ans plus tard, c’était encore toujours une co-entreprise belgo-britannique, avec une activité en Belgique orientée vers le spatial et une autre au Royaume-Uni axée sur la défense. Faute de stratégie européenne, nous avons été mis en vente. L’américain Redwire est entré en scène assez tardivement, mais culturellement les liens se sont vite resserrés. Depuis octobre 2022, nous faisons partie d’un groupe 100% spatial. » C’est une relation gagnant-gagnant. « Nous avons désormais accès au vaste marché américain, tandis que Redwire renforce sa présence sur le marché européen en pleine croissance. » Au cours des 5 dernières années, Redwire Europe a doublé son chiffre d’affaires et ses effectifs, forts de 180 salariés aujourd’hui.

Redwire a été fondée il y a 4 ans par des sociétés de capital-risque qui voulaient mettre sur le marché un nouvel acteur de taille moyenne. Une startup de plus. Mais en trois ans, ils ont acheté pas moins de 9 entreprises. « Elles ont été restructurées sous forme d’entreprise unique l’année passée. Aux États-Unis, deux grandes entités emploient ensemble 700 personnes. En Europe, nous sommes la 3ème unité. Redwire Europe représente un quart des effectifs et du chiffre d’affaire. » Une ancienne division au Luxembourg employant quelques 30 personnes a également rejoint Redwire Europe.

Cadre 2: GEO, MEO et LEO 
Les satellites en orbite géostationnaire (GEO) restent en permanence au-dessus d’un point fixe de la terre à 36.000 km d’altitude. Il s’agit notamment des satellites météorologiques, de télévision et de communication. Les satellites à orbite moyenne (MEO), comme les satellites GPS, Galileo et d’autres systèmes de navigation, évoluent généralement entre 5.000 et 20.000 km d’altitude. Les satellites Internet et de communication à orbite basse (LEO), comme la Station spatiale internationale (ISS), évoluent à une altitude de 500 à 1.200 km. Plus de 8.000 tonnes de débris flotteraient dans tout l’espace terrestre. Il s’agit notamment de quelques 30.000 morceaux de  satellites désaffectés et autres débris, de quelques centimètres à… beaucoup plus. Tous ces débris doivent être surveillés afin d’éviter le risque de collision avec un satellite coûteux. Le réseau américain de surveillance spatiale tient un catalogue des débris de plus de 5 à 10 cm en orbite basse, et des débris de 30 à 100 cm en orbite géostationnaire (GEO). La NASA estime que près d’un demi-million de débris de 1 à 10 cm sont en orbite autour de la terre, et 128 millions débris de plus d’1 millimètre. En orbite basse, ces objets peuvent atteindre une vitesse de 8 km/s, soit quasi 30.000 km/h. Cela peut faire beaucoup de dégâts, avec pour conséquence : encore plus de débris!