ENGINEERINGNET.BE - Allianz Trade a examiné d’autres métaux ‘critiques’. « Les fluctuations des prix des métaux critiques perturbent la transition énergétique mondiale », déclare Johan Geeroms, director risk underwriting Benelux.
« Cela crée de l’incertitude et pousse les investisseurs à appuyer sur le frein. Ce retard est une mauvaise nouvelle pour l’Europe car l’Union européenne veut rattraper son retard dans l’exploitation de métaux critiques pour réduire sa dépendance envers des pays comme la Chine. Or, c’est le contraire qui se produit. »
Les métaux comme le lithium, le cobalt et le nickel, le cuivre et les terres rares sont essentiels à la fabrication de batteries, au stockage de l’énergie, aux véhicules électriques, aux éoliennes et aux panneaux solaires, entre autres, et cruciaux pour la transition énergétique.
« Compte tenu des mesures climatiques, ces métaux devraient être une mine d’or mais la situation du marché a changé. La demande de tels métaux augmente pour pouvoir réaliser les objectifs climatiques. On peut donc s’attendre à une augmentation des prix. Or, nous assistons à des baisses importantes. L’une des principales causes de la chute des prix du lithium est une augmentation significative de l’offre, de 70 pourcents depuis 2021. » La spéculation joue aussi un rôle dans l’évolution des prix, ajoute Johan Geeroms.
Un fossé de plus en plus profond
« Les fluctuations de prix ont un effet paralysant. L’exploitation minière exige des investissements à long terme. Le 'mining lead time’, c’est-à-dire le délai s’écoulant entre la découverte du métal et son exploitation commerciale, s’allonge. Il est aujourd’hui de 18 ans contre 13 ans durant la période 2005-2009. Il faut donc plus de temps pour récupérer l’investissement. Si on ajoute à cela les fluctuations de prix, on comprend mieux pourquoi les investisseurs potentiels se montrent réticents. » En Europe, les choses se présentent mal.

« Tout comme pour le pétrole, la dépendance augmente. L’UE devient vulnérable à la manipulation et aux guerres commerciales. À l’instar de l’OPEC, une sorte d’OMEC émerge. Les pays possédant de tels métaux déterminent le prix et l’offre. L’Europe tente de s’en affranchir mais les développements du marché ne font que compliquer les choses. »
La législation européenne CRM (Critical Raw Materials) stipule notamment que l’Europe veut extraire 10 pourcents de 18 matières premières sélectionnées de ses mines. « Notre département de recherche indique que ce sera très difficile », poursuit Johan Geeroms. « A nos yeux, c’est trop peu et trop tard. »
Des budgets d’exploration en baisse
L’analyse d’Allianz Trade montre que les budgets d’exploration pour l’extraction de métaux rares ont chuté de 3 pourcents dans le monde en 2023 par rapport à 2022. Le spécialiste de l’assurance-
crédit ne s’attend pas à une augmentation significative à court terme. « Pour combler les déficits d’approvisionnement, Bruxelles devrait conclure des alliances et des partenariats avec des pays riches en minéraux. Pour le secteur minier, on peut envisager des mesures absorbant partiellement le risque pour les investisseurs. Et le recyclage doit figurer à l’agenda des gouvernements et des entreprises. »
Stratégie européenne
Le gouvernement européen souhaite que 10 pourcents des besoins de l’Europe en matières premières critiques soient extraits sur le continent d’ici 2030 afin de réduire la dépendance envers la Chine. « La stratégie européenne repose sur quatre piliers », signale Kris Piessens, géologue à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique – et le Muséum – (IRSNB/KBIN).
« La diversification des importations, l’utilisation économique, le recyclage et l’exploitation de minerais en Europe. La Commission européenne en a identifié 34 comme étant critiques. Nous avons cartographié les endroits où l’on peut trouver ces ressources dans notre sous-sol. Nous avons constaté que c’est le cas pour environ la moitié de ces matières premières. Mais il faut poursuivre les recherches, car si nous connaissons relativement bien les couches géologiques supérieures, très peu de forages ont été réalisés à de grandes profondeurs, et pour une grande partie du pays, nous n’avons aucune connaissance à plus de quelques centaines de mètres. »
Les géologues savent que le sous-sol renferme certaines matières premières, mais la question est de savoir si elles sont disponibles en quantités exploitables et si la technologie actuelle permet une exploitation. « Pour certaines matières premières, les volumes risquent d’être marginaux. Il faut oser chercher dans des recoins inattendus. Les forages géothermiques en Campine nous ont appris que les nappes phréatiques contiennent une forte concentration de sels de lithium. Peut-être pourrions-nous exploiter ce lithium comme sous-produit de la géothermie. »
Réserves belges
Selon l’atlas publié récemment par l’IRSNB/KBIN, le Massif de Stavelot comprend des roches enrichies en manganèse et en lithium, et la deuxième plus grande réserve de roche phosphatée sédimentaire (apatite) d’Europe se trouve dans le Bassin de Mons. Le phosphate est un ingrédient des engrais mais c’est aussi une matière première pour les batteries lithium-fer-phosphate. En outre, les minéraux phosphatés contiennent souvent des terres rares, qui peuvent former un sous-produit intéressant. Les gisements de sulfures dans le sud (souterrain) du Massif du Brabant sont associés au cuivre, au bismuth et à l’arsenic.
Jusqu’au dix-neuvième siècle, le plomb et le zinc étaient exploités à Plombières, à La Calamine et dans les environs. « Les gisements de zinc contiennent des métaux critiques comme du germanium. Auparavant, on n’y prêtait pas attention », poursuit Christian Burlet, géologue à l’IRSNB/KBIN.

« Des études en cours tentent de déterminer si des quantités significatives de métaux critiques sont présentes dans les anciens terrils. Grâce à des technologies innovantes, on pourrait, dans l’avenir, exploiter des nouveaux gisements dans des mines existantes, et peut-être même ouvrir des nouvelles mines. Outre le germanium, le gallium a été détecté dans d’anciens échantillons de minerais, ce qui pourrait rendre son exploitation économiquement pertinente. »
Une exploitation minière innovante
« Par nouvelles technologies, j’entends principalement la robotique. L’un des grands défis consiste à développer des robots capables de travailler dans des mines inondées. Les robots peuvent être utilisés dans des galeries plus étroites pour améliorer la stabilité des mines et réduire les déchets de minerais. »
Pour développer cette technologie, un consortium de 14 partenaires européens – dont l’IRSNB/KBIN – a lancé le projet Robominers. « Mais il faudra plusieurs années avant de pouvoir utiliser cette technologie dans la pratique. Il y a un autre projet - LIBS-Screen - auquel nous participons ainsi que les universités de Liège, de Mons et de Leuven côté belge.
« Ce projet vise à développer une méthode digitale pour analyser, via des capteurs sur les robots, des échantillons de minerais pour décider rapidement s’il est judicieux de laisser les robots creuser davantage sur le site d’échantillonnage », conclut Christian Burlet.