ENGINEERINGNET.BE - «J'ai commencé ici au département Analytical, Environmental and Geo-Chemistry (AMGC). Le groupe comptait quinze personnes. Aujourd'hui, septante. Initialement, la recherche se limitait à l'océanographie et à quelques recherches sur l'Escaut. Aujourd'hui, sont aussi considérés, les météorites, les restes d'humains et de dinosaures, c’est à dire de la géologie pure.»
Le groupe est très international et très jeune. La dynamique est forte. Il y a toujours beaucoup de nouveau visages. Cependant, Brion s'avère être un phare dans la houle. Elle se rend compte qu'après presque 25 ans de carrière (elle a été embauchée en 1998) et des tonnes d'expériences, elle est toujours à sa place originelle. «D'autres sont entrés dans le giron du personnel académique. Cela ne m'est jamais arrivé.»
Elle pense que c'est un peu bizarre mais «je pense qu'il faut faire ce dont on a envie, ce qui intéresse. J'ai suivi cette voie et je suis allée de projet en projet parce que cela m’allait bien. Beaucoup de collègues dans la même situation ont abandonné sous la pression de l'incertitude qui frappe tous les trois ou quatre ans lorsqu'un projet touche à sa fin.»
Il faut comprendre ce qui se passe en coulisse
«Je voulais absolument faire de la science et comprendre le pourquoi des choses. Mais quelle section choisir?» À ses yeux le choix était d’être ingénieure agronome; l'appellation actuelle est bio-ingénierie, orientation plus polyvalente. Après les candidatures, elle s'orientait vers la biochimie et devenait ‘ingénieur chimiste et des industries agricoles’.
«J'espérais avoir plus d'opportunités d'emploi.» En effet, trouver un emploi dans cette période était une gageure. Elle terminait ses études en microbiologie environnementale. Pour sa thèse de maîtrise, elle a travaillé dans l'estuaire de la Seine en France. «Le contact direct avec la nature, les prélèvements, le labo … me fascinaient.»
Elle obtenait une bourse en 1993 pour faire un doctorat sur la nitrification des estuaires. «Principalement sur la Seine mais aussi un peu sur l'Escaut.» Peu était connu de ces systèmes. Dans la Seine polluée par des matières organiques et des eaux usées non traitées, le taux d'oxygène était pratiquement zéro.
«Puis, au-delà de Paris, dans l'estuaire, le taux d'oxygène baissait à nouveau; alors qu'il n'y avait pas de contamination par des matières organiques. La nitrification s'est avérée être la cause.» Les bactéries autotrophes à croissance lente ont oxydé l'ammonium en nitrate en deux étapes. «Le fait que nous ayons trouvé une si grande biomasse de ces bactéries s'est avéré être lié aux marées. Le flux et le reflux gardaient ces bactéries plus longtemps dans le système. En fin de compte, c'est devenu une étude complète de l'écosystème.» Quatre ans plus tard, elle passait son doctorat.
Relation avec le climat
«Le prof. Leo Goeyens de la VUB me contactait. Il avait un projet de recherche européen en cours (OMEX) et désirait un chercheur pour terminer les deux dernières années. Mon expertise du cycle de l'azote me désignait comme candidat idéal.» L'accent était mis sur les côtes atlantique de l'Espagne et du Portugal.
La question était de savoir pourquoi elles étaient si riches en poissons. Brion participait à une campagne maritime et écrivait des publications pendant un an. «L'eau profonde de l'océan, riche en nutriments, vient avec un ‘upwelling’ (remontée d'eau) à la limite du plateau continental ; la lumière à cet endroit donne un boost au phytoplancton tout au long de la chaîne.»
Les chercheurs ont mis au point une méthode d'analyse qui mesure le taux d'absorption d'azote par le plancton. « Nous utilisions des isotopes stables comme traceurs pour calculer les flux de transfert. Nous les introduisions alors dans des modèles pour tout calculer à grande échelle. » Cette recherche était également en relation avec le climat.
«La pompe biologique utilise l'azote pour convertir le CO2 en biomasse. Elle tombe ensuite au fond de l'océan et y reste sous forme de sédiments pendant des siècles.» Comme une sorte de ‘séquestration’. «Mais cette sédimentation n'est peut-être pas aussi importante que nous ne le pensions auparavant. En effet, une grande part du phytoplancton est reminéralisée et reste en mouvement. Seule une plus petite fraction se dépose. Au final, il y a un gradient qui se répartit sur toute la colonne d'eau.» Le projet OMEX n'a eu aucune suite. Plusieurs projets belges ont suivi.
Fixation de l'azote
Brion coordonnait un projet Belspo conjoint ULB et Université de Liège pour faire un bilan de masse du cycle du carbone, du phosphore et de l'azote en mer du Nord. «Nous avons quantifié le taux d'azote, l'ULB le phosphore et Liège le carbone. Pendant quatre ans, nous avons passé chaque mois une semaine sur le Belgica, à prélever des échantillons.»
C'était plaisant et «pour la première fois, tous les estuaires de nos rivières ont également été examinés. Nous avons quantifié tous les flux entrant et sortant de la mer du Nord et développé une méthode pour les bilans de masse. Pour l'azote cependant, les données semblaient tronquées. Il y avait une ‘missing source’ d'azote. Il s'agissait in fine de ‘diazotrophie’ (fixation biologique de l’azote). Cela s'est produit dans certaines zones non pas à la côte mais plutôt au grand large.» Au bout de quatre ans, le projet était terminé et elle passait à autre chose.
Biogéochimie dans l'Escaut
Depuis 1996, le laboratoire mène un projet en Région flamande dans lequel un à deux échantillons sont prélevés chaque mois sur l'Escaut, entre Gand et la frontière néerlandaise. Ce monitoring multidisciplinaire s'est décliné par une base de données d'envergure.
«L'Escaut était principalement polluée par les eaux usées urbaines non traitées. Après 2000 et le boost réalisé en épuration d'eau, la qualité de l'eau s'est grandement améliorée. Les nutriments et le phosphore particulièrement ont diminué. L'ammonium a pratiquement disparu. Nous avons vu le retour du phytoplancton et sa migration en amont.» Son attention s'est ensuite portée sur la Senne. C'est un système d'égouts à ciel ouvert qui transportait les eaux usées non traitées d'un million de personnes.
«Mon intérêt a toujours été les cycles biogéochimiques des éléments: de l'azote, du carbone … et maintenant aussi de l'or. C'est toujours de la biogéochimie. Comment un élément se transforme-t-il d'une phase à une autre ? Il s'agit de circulation, de transformation, influencées par des processus biologiques, chimiques et géologiques.»
Ses recherches dans plusieurs projets pluriannuels d'Innoviris, le réseau bruxellois pour la promotion des sciences, ont servi de base aux choix politiques concernant la gestion de l'eau et l'amélioration de la qualité de l'eau à Bruxelles. Ce n'est que depuis 2008, à l'exception de quelques quartiers, que les eaux usées domestiques bruxelloises sont traitées avant de se déverser dans la Senne.
Bilan de masse pour la Senne
«Démarrer cette recherche était fort complexe», stipule Brion. La Senne est une petite rivière qui coule dans trois régions qui initialement ne dialoguaient pas. «À Bruxelles, la Senne coule sous terre dans une conduite où elle est gérée comme un égout, non comme une rivière. Quatre parties prenantes influent sur la qualité de cette eau.»
Elle organisait une table ronde pour obtenir leurs informations. «Au-delà de Bruxelles, la moitié de l'eau de la Senne provient des égouts.» L'on savait à peu près où se trouvaient ces derniers, mais ils étaient parfois débranchés. «La cartographie est quasi inexistante (les plans ne sont pas publics).» Avec des hydrologues, des sédimentologues ... elle faisait un bilan de masse de l'eau de la Senne dans laquelle un grand nombre de polluants étaient répertoriés.
«L'outil devenait pertinent pour l'Institut Bruxellois de Gestion de l'Environnement. Des simulations de différentes situations météorologiques ont également été réalisées. Nous avons présenté les résultats au Parlement de Bruxelles-Capitale. Avec des recommandations.» L'étude de la Senne a été le premier grand projet qu'elle a coordonné.
«J'y ai appris à travailler avec d'autres personnes, à nouer des contacts, également avec l'administration, à gérer les conflits … C'était un environnement bouillonnant qui m'a donné beaucoup de confiance personnelle. Après cela, j'ai su que je pouvais engager et mener un projet. Désormais, j'étais un meneur.»
De l'or dans les égouts : l'idée était quelque peu folle
Le nouvel appel à projet d'Innoviris concernait la chimie verte. «Ne pas postuler n'était pas une option. Seulement … nous devions y réfléchir.» Avec les collègues de l'ULB, le laboratoire faisait un brainstorming relatif aux boues extraites du nouveau système d'épuration des eaux. Les études bibliographiques parlent de l'extraction du phosphore et d'autres molécules organiques.
«Nous avons trouvé un article américain relatif à de l'or dans les boues d'épuration à des concentrations bien supérieures à celles naturelles dans la croûte terrestre. Il en allait de même pour d'autres métaux précieux comme l'argent, le groupe platine, le palladium, l'iridium … Il s'agit en fait de concentrations assez importantes. En résumé, nous allions suivre le projet. L'idée était quelque peu folle. Mais il s'agit quand même de quelques kilos par an. C'est la même chose que dans une mine à faible teneur qui produit environ un gramme d'or par tonne extraite. Le projet ne semble donc pas aussi exotique qu'il paraît à première vue.»
Elle a cherché et trouvé des partenaires pour développer des méthodes vertes d'extraction de l'or. Un premier partenaire était l'Institut Meurice (Anderlecht) et son laboratoire Labiris dédié à la biolixiviation : l'extraction des métaux des minerais en utilisant les organismes vivants. Elle trouvait un deuxième partenaire à l'ULB. Ce dernier fonctionnalise avec la nanotechnologie (un coating organique) des matériaux afin qu'ils aient une forte capacité d'absorption de l'or.
Trois ans plus tard
Trois ans plus tard, il apparaît que l'or ne s'accumule pas dans les boues minérales bruxelloises. «Nous ne pouvions tout simplement pas le trouver dans le ‘technosand’ de la station d'épuration d'Aquiris». «C'était bien assez excitant», s’exclame Brion. En effet, les chercheurs avaient l'intention de traiter ces boues. Mais si l'or n'était pas là, où était-il?
«Nous avons dû revisiter nos plans.» La quasi-absence d'or dans les boues de la station d'épuration de Bruxelles-Nord s'est avérée être une conséquence de sa technique de traitement d'oxydation par voie humide (wet oxidation). «Après épuration biologique, 80% de l'or se retrouve dans les boues primaires. Ces boues riches en or sont déshydratées et traitées en de multiples étapes. Il y a d'abord la digestion anaérobie. Puis, l'oxydation par voie humide: la station injecte de l'oxygène à haute température et sous haute pression pour transformer par oxydation une partie de ses composés organiques.
«Lors de la déshydratation des boues dans les filtres, l'or est simplement lavé des boues et se retrouve dans le courant d'eau. Il est réinjecté dans le biotraitement des eaux usées et continue ainsi à circuler.» Les chercheurs n'avaient donc pas affaire à une boue solide, mais à un liquide.
«L'ULB travaillait au niveau des nanoparticules; en parallèle nous commencions à travailler avec Labiris sur la biosorption.» Une méthode à ce sujet était développée avec de la levure de bière. Nous avons même réussi, en jouant avec le taux d'acidité, à incrémenter le taux de résultats.
«Nous ne savons pas encore très bien pourquoi cela réussit, mais c'est le cas. La méthode fonctionne également de manière assez sélective si le pH est correct.» La biosorption a lieu à pH 8. «La réaction est alcaline et si on acidifie, le résultat est encore meilleur.» Elle a également essayé différents types de levure de bière. «Une très courante, la saccharomyces cerevisiae, donne les meilleurs résultats.»
4 kg d'or annuels
Il reste donc des questions. Sous quelle forme peut-on trouver l'or dissous? «L'or est toujours complexé avec d'autres composants. Actuellement, il est oxydé. On pensait qu'il se complexait avec des chlorures, mais ce pouvait aussi être avec des matières organiques dissoutes.»
Brion calcule que 4 kg d'or pourraient être extraits annuellement des effluents. Initialement, l'on pensait que le double serait atteint. D'où vient l'or des égouts bruxellois? Aucune véritable étude n'a été faite sur la source de l'or. On note cependant que sa présence est plus fréquente dans certaines villes comme Anvers, et moins ailleurs.
«Mais il y en a toujours un peu.» Au départ, le projet a enquêté sur ‘l'importation’ annuelle d'or à Bruxelles. «Ce que nous avons extrait des effluents représentait environ 10 à 11% de la consommation bruxelloise. Une hypothèse est que l'or extrait est issu des déchets de bijouteries, de l'érosion de ces derniers et proviendrait même des restes de certains médicaments.»
Il existe par exemple des médicaments antirhumatismaux qui contiennent de l'or … Le projet impliquait également plusieurs études périphériques. Les chercheurs ont voulu extraire le plomb, le cadmium et le zinc des résidus par biolixiviation. «Cela réussit même très bien pour certains métaux», déclare Brion, «mais on ne peut pas monter une exploitation économiquement rentable avec les quantités extraites».
Microplastiques?
Brion prépare un nouveau projet de recherche sur les microplastiques dans la Senne: établir un bilan de masse des microplastiques dans une ville, quantifier la consommation, quels dépôts trouve-t-on dans la Senne? Que peut-on collecter? … Le projet passera-t-il?
«Nous collaborons avec un groupe de recherche pharmaceutique spécialisé dans l'identification de molécules associées aux microplastiques. Les microplastiques sont un grand groupe. Leur caractère hydrophobe signifie que les micropolluants persistants, également hydrophobes dans la rivière vont se coller aux microplastiques.»
Le prélèvement d'échantillons, la caractérisation des polymères, la quantification des métaux et des composants organiques, les expérimentations in vitro sur les plastiques et leur rattachement d'un modèle dynamique … «Cela ne s'est pas encore fait à Bruxelles. Cependant, nous ne partons pas de zéro. Nous avons l'instrumentation nécessaire dans notre laboratoire multidisciplinaire.»
Aucun plan prédéfini
Actuellement, Brion a passé toute sa carrière à faire de la recherche tous azimuts. «Je ne me voyais pas travailler sur un seul projet toute ma vie.» Elle a donc passé d'un projet à l'autre. «Je développe constamment de nouveaux projets.» En tant que collaboratrice scientifique avec un contrat à durée indéterminée, elle n'est payée que pour ses projets.
«Lors de l'attribution, la VUB gère les finances et je suis payée du début à la fin. Des projets m'ont toujours été alloués.» Cela m'a donné un grand degré de liberté. «Je fais ce que je veux, quand je veux. Je suis également sollicitée pour des travaux d'expertise en gestion de l'eau, en formation …» en néerlandais, français et anglais.
«J'enseigne aussi un peu. Gratuitement. En chimie environnementale. C'est généralement lié à mes recherches. Également en relation avec la dynamique de l'or dans les stations d'épuration et la dynamique des nutriments dans les estuaires. Théorie, exercices et travaux de terrain.» Elle encadre des étudiants à la maîtrise et au doctorat.
«J'aime le faire, mais toujours en combinaison avec mes propres recherches. Je ne me voyais pas enseigner la chimie générale à des bacheliers. J'aurais bien aimé occuper un poste à temps partiel pour une matière plus étoffée», songe-t-elle. Mais ce genre de fonction ‘10% des mandats’ est limité.
A-t-elle un plan? «Je n'ai aucun plan prédéfini. Je vais continuer à travailler sur l'or pendant un certain temps. Plus que tout autre, ce projet a retenu l'attention. Non seulement en France et en Angleterre, mais également au Canada et surtout en Flandre.»
En attendant, elle développe une autre demande de projet. «J'ai également d'autres activités.» La sculpture prend beaucoup de son temps libre. Elle travaille fréquemment avec des assemblages de bois, de béton, de plâtre, de pierre, de papier … et expose également.