Les femmes vont-elles rendre l’IA plus sûr dans l’avenir?

« Faisons une pause de six mois dans le développement de l’intelligence artificielle », appellent le CEO de Tesla et de Twitter Elon Musk et le fondateur d’Apple, Steve Wozniak. Même les professeurs belges soutiennent l’appel.

Mots clés: #IA, #intelligence artificielle, #sécurité

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( Photo: 123RF )

ENGINEERINGNET.BE - D’après l’ingénieure en IA, Geertrui Mieke De Ketelaere, les femmes ont un rôle important à jouer.

« Chaque développement de l’IA doit être précédé d’un débat multidisciplinaire. Le regard critique des femmes est indispensable », a-t-elle déclaré lors d’un déjeuner organisé par Robert Walters à l’occasion de la Journée internationale de la femme. Le problème est que trop peu de femmes optent pour de telles études. Les modèles féminins sont donc recherchés. 

Bien qu’il n’existe pas de définition unique de l’IA, il est généralement admis que c’est un système capable d’apprendre par lui-même. L’IA est partout, voyez les offres personnalisées des magasins, les feux de circulation qui s’autorégulent, les courriels qui atterrissent automatiquement dans votre boîte de courrier indésirable … « Les systèmes IA d’aujourd’hui sont capables de traiter des informations et de rechercher des modèles. Mais il leur manque des capacités de raisonnement.  Ils ne peuvent pas encore rivaliser avec le niveau de l’intelligence humaine », explique De Ketelaere, professeure IA adjoint à la Vlerick Business School. 

« Cependant, les chercheurs travaillent sur un vaste système IA capable de passer d’une tâche à l’autre et de contrôler automatiquement diverses fonctions. Un ordinateur doit alors être capable d’agir dans un monde complexe et évolutif en interagissant avec l’environnement. Mais nous sommes encore loin du compte. » L’IA envahit pourtant nos vies à une vitesse fulgurante. Voyez ChatGPT. « C’est une évolution intéressante car nous sommes passés de l’apprentissage de données à la génération de textes, d’images et bientôt – qui sait – d’odeurs. » On ne sait pas aujourd’hui de quoi l’IA sera capable à terme. Va-t-elle égaler l’intelligence humaine, voire à la dépasser ? « Certains experts le pensent. Reste à savoir si elle en est capable et quelle forme elle prendra. »

Débat multidisciplinaire 
Faut-il dès lors s’en inquiéter et appuyer sur la touche pause pour réfléchir à la manière d’utiliser l’IA en toute sécurité dans l’avenir ? « L’Europe travaille à une AI Act mais pour l’instant, il n’existe pas de cadre juridique solide. Il en faudra un mais il ne peut suffire à lui seul. L’utilisation de l’IA requiert également un esprit critique et un sens des responsabilités de la part de tous ceux qui sont amenés à travailler avec l’IA », souligne l’ingénieure en IA.

Où est le danger ? « L’IA doit nous aider dans des situations où la capacité de l’intelligence humaine est insuffisante. Comme le système apprend aujourd’hui sur la base de données antérieures, il peut contenir des erreurs, dues par exemple à des préjugés humains qui ne sont plus exacts », détaille De Ketelaere. « L’IA est aujourd’hui principalement entre les mains de techniciens masculins qui, à juste titre, considèrent les choses sous un angle technologique. Mais certaines erreurs ne sont pas visibles à l’oeil technologique.

µUn débat multidisciplinaire s’impose au début du développement d’un système IA. Percevoir le système à travers un prisme philosophique, sociologique, RH et féminin peut permettre de révéler certains problèmes, voire d’empêcher leur développement. Cela se fait encore trop peu. »

Le monde artificiel de l’homme 
« Cette prise de conscience, qu’il peut y avoir des biais dans le système, nécessite un esprit critique. Les femmes jouent un rôle important à cet égard, en posant des liens et en réfléchissant de manière critique à l’utilisation de l’IA », poursuit De Ketelaere. Mais trop peu de femmes choisissent une formation technologique. L’ingénieure en IA sait de quoi elle parle. Elle a étudié la robotique et était pratiquement la seule femme.

Geertrui Mieke De Ketelaere, spécialiste de l’IA : « Il faut que l’employeur fasse preuve de volonté et d’ouverture d’esprit pour stimuler les femmes et leur esprit critique à l’IA. » (©EL)

Cette situation a presque perduré dans la suite de sa carrière. « J’ai eu la chance que ma mère ne me freine pas dans mon choix d’études, mais cela arrive encore souvent. En conséquence, les femmes se retrouvent souvent dans des emplois du secteur ‘doux’ comme les soins de santé, alors que ce ne doit pas être le cas. De toute évidence, être une femme ingénieure n’a rien d’évident.

« Même lors de ma formation, j’étais perçue différemment par les enseignants : je devais par exemple faire mes preuves à deux reprises pendant les calculs. » A 21 ans, elle part en Nouvelle-Zélande réaliser un doctorat en intelligence artificielle. Elle ne l’a pas terminé. « J’ai abandonné pour des raisons éthiques. Je devais faire quelque chose qui n’était pas éthique.

Plus tard dans ma carrière, je voulais pouvoir me regarder dans le miroir le soir », explique l’évangéliste en IA éthique. Elle a souvent dû faire face à des préjugés. « Cela vous durcit mais ce n’est pas l’objectif et c’est dommage. Il faut du courage pour aller à l’encontre de quelque chose, les femmes n’osent peut-être pas. Trop souvent, elles endossent un rôle qui leur est imposé, mais qui n’est pas dans leurs gênes. La pression de la société est parfois si forte que l’on se perd. C’est là une deuxième raison pour laquelle trop peu de femmes sont actives dans l’IA. »

On recherche: plus de modèles 
Elle voit une troisième raison dans le manque de modèles. « S’il y en avait, ils avaient une mentalité extrêmement masculine. Il était plus courant pour les entreprises de m’engager en tant que femme ingénieure pour mon énergie et mon charisme. Mais la première chose qu’elles faisaient était de limiter cette énergie et ce sentiment de liberté.

Aujourd’hui, on attend toujours d’une femme qu’elle ne soit pas une pile électrique mais qu’elle se comporte de manière réservée. Il faut que l’employeur fasse preuve de volonté et d’ouverture d’esprit pour stimuler les femmes et leur esprit critique à l’IA, afin de leur permettre de participer au débat multidisciplinaire nécessaire. C’est encore trop peu le cas aujourd’hui. »