ENGINEERINGNET.BE - La société entre dorénavant sur le marché avec des métiers à tisser de haute technologie. «Nous construisons par exemple une machine à tisser qui tissera des panneaux thermiques en fibre de carbone de 7,5 cm d’épaisseur pour recouvrir la capsule revenant d’une mission d’échantillonnage de la NASA sur Mars.»
Ses machines tissent des stents et des valvules cardiaques et maintenant aussi des aortes et des bifurcations. Cela se fait généralement avec un multi-filament en polyester. Actuellement, cette production destinée aux applications médicales est principalement vendue à des entreprises américaines.
Au salon ITMA de Milan, Lambrecht présentait une navette motorisée pour ce genre de tissus médicaux. «Nous tisserons bientôt également avec cette navette des textiles à mémoire 3D.»
Le microbe textile
«Mon père avait une entreprise de tissage à domicile. Je copiais ses machines avec du Fisher Technics», explique Lambrecht. Après deux années de
'Moderne' au collège de Waregem, il rejoignait le VTI. «Je voulais devenir électricien.»
À la maison, il soudait des appareils et des émetteurs Morse … Après un an, il optait finalement pour les sciences industrielles. Un peu plus de maths. Un échelon plus haut. «Une orientation magnifique», pense-t-il toujours. Il partait ensuite pour Louvain pour devenir ingénieur civil mécanicien, option mécatronique. «Je ne voulais absolument pas devenir ingénieur textile.»
C'était encore possible à l'époque. Maintenant plus. Mon choix était très conscient. «Je voulais concevoir des systèmes dynamiques, commander des moteurs. Au plus vite cela bouge, au mieux c’est.» Le microbe textile attendait patiemment dans un coin.
Bourrasque indienne
Après ses études de mécatronique à la KUL, Lambrecht travaillait d'abord pendant treize ans en tant que manager R&D puis directeur commercial chez Meersschaert à Kuurne. C'est un fabricant de métiers à tisser Jacquard et à fils pour tissus de velours. À cette époque, ces machines effectuaient 30 mouvements différents entraînés par un seul moteur.
«J'ai repensé une machine en y intégrant dix servomoteurs pour la rendre plus efficace et plus flexible. En ligne, et pendant les opérations, divers profils pouvaient être modifiés.»
Cela a pris quelques années et en 2003, son design était peaufiné. Quelques nouveaux clients étrangers achetaient la machine. Puis c'était le calme plat pendant un an. «Ceux qui l'utilisaient recommandaient soudainement non pas une, mais trois, cinq, vingt machines.» Meersschaert, qui ne vendait à l'époque que dans sa région, recevait une bourrasque de commandes en provenance des Indes.
«Nous avons à cette époque triplé notre chiffre d’affaires en un an.» 80% des commandes provenait des tisserands de soie de Bangalore et de ses environs. «En 2006, nous commencions également à exporter vers la Chine et l'Amérique.»
La bonne technologie au bon moment
«En 2003, nous livrions la bonne technologie au bon moment. Je connaissais les possibilités de la machine et j'ai donc suivi la partie vente.» Il apprenait à penser commercialement. Sur le tas. À l’étranger, après d’âpres négociations, les contrats sont souvent signés immédiatement sur place. Il devait calculer les prix rapidement, comprendre les aspects juridiques …
«Je pense toujours que ma formation d'ingénieur est fantastique. Mais dans le domaine commercial, chaque formation d’ingénieur tire trop court. Combien coûte une modification de la machine ? Qu’en est-il de ses propres revenus, des frais de personnel, des frais d’expédition, de l'assurance ? Qu’en est-il des garanties bancaires ? Des lettre de crédit ... ? Je n'avais pas le temps pour des formations. J’ai dû apprendre sur le tas.»
Stress positif suivi de crise
C'était une période de stress positif. «Pour que tout soit fourni à temps. C’était une période de croissance.» Jusqu'au début de la crise en 2008. «De nombreuses commandes étaient soudainement suspendues ou annulées. Ce n'était hélas pas que la récession. La tendance évoluait également.» Les machines qu'il vendait à l'époque tissaient de nombreux et grands motifs.
«En période de récession, les architectes d'intérieur se tournent vers ‘l'épuré’. In fine, les tissus avec peu de motifs sont fabriqués sur des machines moins chères.» La machine de Meersschaert n'emportait plus les suffrages après la récession.
«Nous devions donc faire quelque chose de différent», ce que savait Lambrecht qui souhaitait développer une nouvelle machine à tisser. Mais cela n'était pas possible chez Meersschaert où le propriétaire espérait un retour du marché. «J’ai alors décidé de créer Qmatex et de me spécialiser dans les tissus techniques haut de gamme, moins sensibles aux tendances.»
La start-up acquiert des racines profondes
L'idée originale derrière Qmatex, érigée par Lambrecht avec un seul ingénieur en 2015, était de rechercher des niches dans le monde du velours. Il développait une machine haut de gamme pour des tissus en velours de haute qualité : vêtements d'église, manteaux royaux … «Un client lyonnais utilisait un métier à tisser à la main pour tisser de la soie de qualité supérieure à raison de 20 cm par jour. Nous avons modifié le métier à tisser, imité le processus manuel et porté la production à 30 m par jour.»
La petite histoire ? La machine était conçue, mais Lambrecht n'osait pas la commercialiser. La demande de brevet venait d'être déposée. Il a néanmoins expliqué son idée à un client du sud de la France. «Nous avions un client pour une machine qui restait à fabriquer. C'est ainsi que nous avons commencé avec Qmatex.» Lambrecht souligne un sérieux problème lors du démarrage d'une nouvelle entreprise produisant des biens d'investissement. «Vous n’avez aucun fondement. Je n'achèterais pas moi-même une machine à 250 000 euros auprès d'une start-up.»
Mais en 2020, Qmatex reprenait la division textile de Meersschaert. L'entreprise familiale n'avait aucun successeur. «La division textile n'était plus aussi grande. La division production était reprise par Shapes Metalworks (Gullegem) ; l'avantage de cette reprise était de nous donner des racines profondes.»
Du velours aux applications techniques
«Entre temps, nous avions vendu quelques métiers à tisser le velours en Amérique et en Inde. J'arrivais également à vendre la nouvelle machine à certains clients indiens. Et en Flandre», précise Lambrecht. «Mais je continuais à miser sur le velours sujet aux tendances. La nature cyclique du secteur, la sensibilité à la mode, ne disparaîtront jamais.»
À une occasion, aux États-Unis, son vol vers l'Inde était annulé. Il visitait alors quelques clients de plus. «C’est ainsi que j’ai eu mes premiers contacts avec un client spécialisé dans le tissage de valvules cardiaques.» Un autre client tissait pour la NASA.
«C'était très plaisant. Je pouvais transférer mes connaissances des tissus velours vers les tissus techniques avec des applications en aérospatiale.»
Fibres de carbone épaisses tissées pour l'espace
In concreto. Pour une mission sans pilote sur Mars qui ramènera des échantillons de sol sur Terre, la capsule dite MSR (Mars Sample Return) sera équipée d'un bouclier thermique en épaisse fibre de carbone tissée. Ce bouclier est constitué de plusieurs 'plaques' de 2 m sur 3 m. «Cela semble facile, mais ce n'est pas du tout le cas», stipule Lambrecht.
De la poussière est toujours libérée lors du tissage et le carbone est conducteur. «La machine qui fabriquera ce tissu épais pèse 38 tonnes. Cela est nécessaire car le roseau a une force d'impact de 18.000 kg.» Le tissu est tissé si serré qu’il s’agit en réalité d’une plaque. Tellement lourde qu'il faut un chariot élévateur pour la manipuler. «Le client investit 1,5 million d'euros pour réaliser six plaques seulement.»
De nouveaux projets sont désormais en cours pour tisser des profilés en carbone plus légers et plus résistants que l'acier. Par exemple, lors du dernier salon ITMA, un client a acheté une machine pour produire des aubes en fibre de carbone 3D pour un moteur à réaction.
«Le résultat se déclinerait par un moteur consommant 10% de carburant en moins.» Sur la même machine, des clients pourraient également tisser des tubes sans soudure pour une transformation ultérieure en hélices.
Applications médicales
Lambrecht par exemple, développait également une machine pour tisser les valvules cardiaques. «Nous devions réaliser un tissage plat et avions déjà de l'expérience avec le fil de soie fin. Il a simplement fallu transformer les points pour les délicats fils de polyester des valvules cardiaques. Ceux-ci sont insérés dans le patient par l’aine. Nous avons vendu certaines de ces machines aux États-Unis.»
Ensuite, des requêtes étaient issues pour un tissu tubulaire pour implants biomédicaux. La contrainte de traction exercée sur le fil fin s'est avérée cruciale. «Nous n'y sommes pas parvenus de manière conventionnelle. Nous développions alors une navette à moteur intégré qui contrôle le déroulement du trou. En fin de compte, il s'agit de deux tissus plats posés l'un sur l'autre que l'on relie à gauche et à droite. La tension contrôlée du fil garantit qu'aucun espace n'est visible lorsque les deux couches sont étirées.»
Le même principe pouvait également être utilisé par la suite pour les tissus tubulaires en carbone. La bobine à moteur à courant continu intégré et sa propre commande ont nécessité un an et demi de temps de développement. «Le moteur varie en 400 ms de 0 à 10.000 tours par minute. Et retour.» Le moteur est actuellement également utilisé pour tisser des bifurcations de diamètre variable sur mesure pour le patient.
«Grâce au scanner, la taille de l'aorte est connue. De cette manière, la veine peut être tissée sur mesure et insérée par endoscopie. Temps de récupération du patient : immédiatement au lieu de 4 à 6 semaines.» Chaque fil à tisser est composé de 18 filaments. Aucun ne peut être endommagé. Cela peut arriver à cause de la tension.
«Aujourd'hui, les tissus sont vérifiés à posteriori. Intégrer la mesure de la qualité dans le métier à tisser ? Il y aura une suite à cette idée.» Entre-temps, Lambrecht s'intéresse aux matériaux à mémoire, au fil conjonctif … «Notre machine à navette, fonctionne toujours avec un seul fil.» Jusqu'à présent.
Personnel
«On ne navigue pas seul. L'on se fixe un objectif puis l'on définit la course. Mais la route dépend toujours du vent. Il faut aussi du personnel compétent.» En 2018, Qmatex employait six personnes. Cinq ans plus tard, ils sont douze. «Nous sommes une petite entreprise avec de nombreux ingénieurs.»
Ils conçoivent, développent et assemblent les machines. Les fournisseurs sont situés dans un rayon de 5 km. L'entreprise réalise un chiffre d'affaires de 3,4 millions d'euros. «Notre stratégie est de croître jusqu'à 25 employés et de nous limiter à des niches de haut de gamme. Ces marchés ne seront jamais gigantesques», estime Lambrecht.
«Si tel serait le cas, des concurrents se profileraient sans aucun doute. Nous devrons nous réinventer en permanence.» Sa force est de pouvoir être à l'écoute du client puis d'allier les connaissances du textile, de l'électronique et de la mécanique. Cependant, l'avenir appartient aux 'données' et à 'l'intelligence artificielle' ; il en est conscient.
«Ma génération manquera probablement ce train. Nous devrons attirer des jeunes pour engranger ces connaissances.» Mais il ne craint rien. «La continuité est garantie par l'existant. Si des données ne sont pas disponibles, nous pouvons les générer de manière créative.»
Le bon marché n'existe plus
Cependant, trouver des profils techniques n’est pas chose aisée. Il note que de nombreux ingénieurs diplômés ne suivent pas leur orientation technique, mais évoluent vers des postes de direction où ils peuvent gagner un peu plus.
Ou en prodiguant des services conseils. «Quiconque est diplômé tourneur ou fraiseur se retrouve souvent policier ou dans une autre fonction. En revanche, les entreprises techniques modernes peuvent s’avérer très excitantes. Nous pêchons tous dans le même vivier.» Que peut-on y faire ?
«Offrir une grande indépendance et des projets stimulants où la créativité est récompensée. Après tout, la seule façon de survivre ici est d’innover. Nous ne pouvons plus produire à bas prix. Le bon marché n'existe plus.»
Lambrecht, marié et père de deux enfants, voyageait partout et loin. Depuis la Covid-19, de nombreux déplacements ont été remplacés par des réunions Teams «mais le contact personnel est toujours là». Il encourage les jeunes ingénieurs à oser, à sympathiser et à s'ouvrir aux autres cultures.
«Osez voir que c'est différent et toutefois non malveillant. Soyez professionnel et déontologiquement correct. Les jeunes doivent comprendre qu’ils devront rivaliser avec les étrangers. Cela ne se fera pas tout seul, mais il y aura sans aucun doute des opportunités.»
Investir en période du coronavirus
«J'avais acheté un terrain dans la zone industrielle Evolis à Courtrai. Mais la Covid-19 s'invitait juste après. Je craignais une répétition de la crise de 2008», souligne Henk Lambrecht, PDG de Qmatex. Il travaillait alors chez Meersschaert. «Nous sommes alors retombés à 30% du chiffre d'affaires.» Que faire alors ? S'il faut commencer à réduire ses dépenses, l'on peut se séparer de personnel que l'on ne retrouvera plus jamais après la crise, ou …
«Nous décidions, avec la coopération de Leiedal, de revendre ce terrain. Cela nous a donné une marge de manœuvre pour survivre pendant un an et demi sans commande.» En fin de compte, tout s’est bien passé. «À peine six mois plus tard, nous décidions d'acheter à nouveau un terrain, cette fois à De Spijker à Deerlijk.» Qmatex y construisait son nouveau site pour 2,2 millions d'euros – 3.000 m² construits, avec bureaux, hall de montage et centre d'expérience - où elle emménageait en juin 2022.