Impression d’organes avec des bio-encres de Zwijnaarde

La plupart des matériaux d’impression 3D sont des plastiques, non aqueux et toxiques. «Nous développons des matériaux polymères et des gels biocompatibles et imprimables en 3D», déclare Jasper Van Hoorick,CEO de l’entreprise gantoise Bio Inx.

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Biotech & Pharma

( Photo: Bio Inx )

ENGINEERINGNET.BE - Dans une première phase, les matériaux seront utilisés pour imprimer des tissus et des mini-organes pour tester des médicaments et des produits cosmétiques sans recourir à des animaux. À terme, l’objectif est de développer des matériaux permettant d’imprimer des tissus humains pour des applications cliniques.

Bio Inx produit des formulations de bio-encres à partir de trois matériaux de base – des gélatines, des polyesters et des hydrogels synthétiques – pour diverses technologies d’impression 3D comme le DLP (digital light processing), l’impression par dépôt, l’impression volumétrique et la lithographie multiphotonique. « Nous voulons exploiter les avantages de chacune de ces technologies d’impression. » 

Dans les laboratoires du Parc technologique de Zwijnaarde, nous avons vu des technologies d’impression par dépôt – notamment par extrusion – et des technologies utilisant de la lumière.  « La technique par déposition/jet d’encre implique des forces de cisaillement et la résolution est souvent limitée. Pour reproduire la complexité des systèmes biologiques, nous avons besoin d’une technologie utilisant la lumière. »

À l’été 2021, la startup a lancé sa résine Hydrobio Inx U200 avec l’entreprise Upnano Gmbh basée à Vienne. C’est la toute première résine capable d’imprimer des cellules vivantes à l’échelle micrométrique par polymérisation à 2 photons sur l’imprimante NanoOne Bio d’Upnano GmbH. Le processus de polymérisation à 2 photons (TPP) utilise un laser femtoseconde pulsé en proche infrarouge (NIR).

Le faisceau laser pulsé à haute énergie expose une résine photoréactive dans un récipient. La longueur d’onde du laser NIR est deux fois plus longue que celle typiquement nécessaire au durcissement de la résine. Le faisceau laser ne durcit/polymérise la résine qu’au point focal du faisceau laser lors de l’absorption de deux photons ou plus. Cette technique fournit des composants à une résolution extrêmement élevée (à l’échelle micro à nanométrique). « Entretemps, il est possible d’imprimer des structures à l’échelle millimétrique. » 

« Notre grand défi est de ne pas rater le coche. Mais nous ne voulons pas être trop tôt. Il s’agit d’être sur le marché au bon moment, précisément lors du point de basculement » Jasper Van Hoorick, CEO de Bio Inx

En juin 2023,  l’entreprise a lancé sa première résine de litographie multiphotonique Hydrobio Inx N400 pour l’impression de cellules ‘vivantes’ selon une résolution micrométrique sur les appareils de l’entreprise allemande Nanoscribe, spin-off du Karlsruhe Institute of Technology (KIT). Celle-ci fait désormais partie du BICO group AB suédois (Göteborg). Nanoscribe commercialise la résine pour ses équipements d’impression 3D. 

Juste avant l’été, Bio Inx a été la première entreprise à introduire une résine biodégradable pour l’impression 3D basée sur la lumière (DLP) avec ‘mémoire de forme’. Après l’impression, la structure peut être chauffée et compressée. Lors du refroidissement, elle conserve temporairement la forme compressée. Après le réchauffement – à la température du corps! – elle retrouve sa forme complexe originale. Le matériau peut être imprimé à des résolutions jusqu’à 100 µm, est biocompatible (non toxique) et biodégradable. La startup vise les applications de microchirurgie.

Le portefeuille comprend également le Readygel Inx, une résine Gel-MA (gélatine-méthacrylamide) pour l’impression 3D volumétrique ou tomographique. Bio Inx collabore avec l’entreprise suisse Readily3D qui a mis au point une technologie d’impression 3D ultra rapide, basée sur la lumière. « Pour les applications que nous ciblons, il ne faut pas de gros volumes. » Les produits se présentent sous forme de petites unités stériles de 1 à 20 ml. Pour l’extrusion, le matériau est placé dans des seringues que l’on insère dans la bio-imprimante.

Plug & Print 
Bio Inx bv est le résultat de recherches menées au Polymer Chemistry and Biomaterials Group (PBM, UGent) et du B-PHOT Brussels Photonics group (VUB). Aysu Arslan, CSO et cofondatrice, a fait son doctorat à Gand. Jasper Van Hoorick, chimiste, a fait un doctorat dans les deux universités. L’un en chimie, l’autre en ingénierie. Il a développé des matériaux biocompatibles pour former une cornée via l’impression 3D haute résolution laser. Il a décroché le Solvay Award 2019.

Ensuite, via un mandat innovation du VLAIO, il s’est lancé comme chercheur postdoctoral à l’UGent, une trajectoire au sein du projet européen ACTPHAST ayant finalement évolué vers PhotonHub Europe, qui, sous la coordination du Prof. Dr. Ir. Hugo Thienpont, conseille les pme et fournit un support photonique et des plateformes technologiques avancées. C’est de là qu’est née la résine Hydrobio Inx N400.

Chercheur postdoctoral à l’UGent, Jasper Van Hoorick a travaillé pendant deux ans à la sécurisation de l’expertise acquise dans le projet Xpect-INX, qui allait déboucher sur la spin-off Bio Inx en 2022. « Notre entreprise repose sur quatre brevets dont notamment Aysu et moi-même sommes à l’origine. Cela nous a permis de demander un financement au VLAIO. » Lors de la phase de démarrage, l’Industrieel Onderzoeksfonds (IOF) de l’Associatie Universiteit Gent et de l’UGent IOF Business Development Center ChemTech Life Sciences ont joué un rôle important. L’IOF et VLAIO ont contribué au financement de la preuve du concept. ChemTech a participé au développement de l’activité, principalement via un support pratique d’An Van Den Bulcke qui a développé le gel MA pendant son doctorat en 2000, sur lequel repose Bio Inx.

Bio Inx bv a été fondée en tant que spin-off de la VUB et de l’UGent. « Pour les brevets – la propriété intellectuelle du doctorat – nous avons obtenu une licence de l’UGent et de la VUB. » Les unités académiques ne participent pas aux actions de la spin-off. La startup propose des matériaux biocompatibles/dégradables standardisés et une garantie de qualité reproductible, une durée de conservation, une facilité d’utilisation, etc., pour l’impression 3D. Bio Inx avance le principe ‘plug & print’. « Nous travaillons actuellement à l’obtention de trois nouveaux brevets. »

S’en tenir au coeur de métier 
Outre la vente de ses produits, la valeur ajoutée réside dans l’expertise pour développer les matériaux et les affiner. Elle propose des services de recherche sur mesure, des preuves de concepts. Bio Inx continue de développer son portefeuille. « Nous partageons un post-doc - Hannah Agten – avec la KULeuven sur la régénération du cartilage. Le mandat innovation de VLAIO, qui a débuté le 1er avril 2024, s’appuie sur notre collaboration avec le prof. Veerle Bloemen de Prometheus KULeuven. »

Les services de Bio Inx peuvent prendre de nombreuses directions mais Jasper Van Hoorick préfère rester proche du cœur de métier. « Nous proposons des matériaux, pas de cellules ni de structures. Les applications spécifiques appartiennent à nos clients. Nous les aidons à les rendre aussi conformes que possible. Nos clients se soumettent au processus de certification et aux tests sur les animaux. À terme, cependant, l’objectif est de fournir des matériaux aux hôpitaux et aux cliniques.

Aujourd’hui, les produits prêts à l’emploi sont principalement achetés par le monde académique. « Cela permet d’avoir un retour rapide et nous montre la traction des développements. Les académiciens publient et fournissent des données avec lesquelles nous pouvons nous adresser aux acteurs industriels. Mais nous voulons vraiment passer aux environnements cliniques et précliniques. » Un partenaire clé dans cette vision est Rousselot, leader sur le marché des gélatines, avec qui la startup travaille depuis mars pour livrer ses gélatines de classe médicale X-pure GMP-ready (good manufacturing practices).

Pas trop tôt. Pas trop tard 
« Il est tentant de voir toutes les opportunités. Nous nous focalisons sur certains tissus : l’os, le cartilage et la cornée. C’est là que nous avons de l’expertise, un réseau et des accords de collaboration. D’un autre côté, nos matériaux sont relativement universels en termes de compatibilité cellulaire et nous tentons des percées dans d’autres directions. »

Quelle est la technologie d’impression qui va finalement dominer? « A mon avis, une combinaison de technologies sera nécessaire pour répondre aux exigences de l’impression à moyenne et haute résolution. Nous nous concentrons sur les technologies à base de lumière qui sont respectueuses des cellules vivantes qui doivent peupler les constructions et qui sont hautement évolutives et reproductibles. »

Quiconque opte pour l’impression 3D par extrusion est aujourd’hui limité à des résolutions maximales de 400 à 500 microns. Une cellule vivante a une diamètre de 20 à 50 microns. « Avec les technologies basées sur la lumière, comme la lithographie multiphotonique, nous pouvons atteindre des résolutions de 1 micron pour les hydrogels et même 150 nanomètres pour les polyesters. Nous nous attendons à ce que 1 à 10 microns devienne le sweet spot dans la bio-impression », estime Jasper Van Hoorick.

« Notre grand défi est de ne pas rater le coche. Mais nous ne voulons pas non plus être trop tôt. Il s’agit d’être sur le marché au bon moment, précisément lors du point de basculement. » Bio Inx compte aujourd’hui 7,5 à 8 collaborateurs. Jasper Van Hoorick s’attend à une croissance significative. L’année prochaine, l’entreprise vise 10 à 12 collaborateurs, et 50 à 60 personnes d’ici cinq ans.

Imprimer pendant que le patient est allongé sur la table 
Fin mai, Bio Inx a conclu un partenariat stratégique avec la société suisse Readily3D (Lausanne) pour développer des matériaux biocompatibles pour leur technologie d’impression 3D holographique révolutionnaire (Tomolite Volumetric Printing System). Cette technologie permet d’imprimer des structures de plusieurs centimètres selon une résolution micrométrique en quelques secondes. Il s’agit d’un processus ‘souple’ qui demande très peu d’énergie. Tout se passe dans un environnement stérile (tube à essai), idéal pour imprimer des cellules vivantes à haute viabilité/stabilité. « Imaginez une imprimante 3D dans un bloc opératoire et l’impression de cellules spécifiques au patient juste avant l’implantation, le patient étant sur la table d’opération. Nos matériaux sont optimisés pour cela », déclare Jasper Van Hoorick, CEO de Bio Inx.

Good Manufacturing Practices 
Depuis mars 2024, Bio Inx travaille avec Rousselot Biomedical, basée à Gand, sur des matériaux de qualité GMP pour la médecine régénérative.  
« Les clients demandent des matériaux de qualité GMP. Nous avons aujourd’hui un produit ‘GMP read’ mais nous pouvons fournir un ‘GMP full’ si nécessaire. » Nous suivons une tendance du marché pour travailler dès maintenant avec de tels matériaux.  
« Ce n’est plus de la recherche pure et simple et l’on applique les normes en vigueur. » 
L’un des matériaux les plus populaires est le Gel-MA de Rousselot. Il a été développé il y a 25 ans à Gand, au sein du groupe de recherche du dr. An Van Den Bulcke (PBM, UGent), actuellement business developer chez Chemtech UGent, à partir duquel Bio Inx s’est développée. « A Gand, nous sommes au berceau des bio-encres et de la bio-impression 3D. La proximité de cette industrie est très pratique. »

AstroCardia, un coeur sur puce pour l’espace 
Bio Inx participe au projet AstroCardia de VLAIO qui vise à envoyer un ‘cœur sur puce’  imprimé dans l’espace pour mesurer l’impact de l’apesanteur et du rayonnement spatial, autrement dit le vieillissement. Le projet est soutenu par un consortium. « Nous développons les matériaux et imprimons les cellules biologiques dont le SCK-CEN était responsable. Ceux-ci viennent sur une puce d’Antleron. La puce est intégrée à un système de support de vie installé dans l’ISS par Space Application Services. QBD prend en charge l’analyse et le traitement des données. »  
« Plus la puce est petite, moins il faut de matériau et de ‘composant d’intérêt’. On peut multiplexer davantage et réaliser des tests à moindre coût. » Pour Jasper Van Hoorick, la recherche spatiale a énormément de sens. L’impression du ‘cœur’ a lieu avec des tissus ‘jeunes’. Dans l’espace, les cellules cardiaques vieillissent vingt fois plus vite que sur Terre. « Nous pouvons tester des médicaments plus rapidement pour lutter contre le processus de vieillissement. À cette échelle extrêmement réduite, nous pouvons effectuer un screening plus rapidement et trouver des solutions spécifiques aux patients. » Le lancement est prévu en janvier 2026.